En Tunisie, le torchon brûle à l’Éducation nationale
Entre demandes de titularisation non satisfaites et rétention des résultats, l’année scolaire s’achève sur une mauvaise note. Le ministre tente de passer en force, mais les nombreux problèmes de l’école attendent toujours d’être résolus.
« Pas de vacances pour les familles ». Cela pourrait être le titre d’un long métrage à suspense, entre pastiche et hommage au film – haletant – d’Alfred Hitchcock. À ceci près que le drame du grand réalisateur semblerait bien morne face aux innombrables coups de théâtre qui émaillent la crise qui sévit actuellement entre le ministère de l’Éducation nationale tunisien et la Fédération syndicale de l’enseignement de base.
La situation est dans une telle impasse que le syndicat a décidé de demander l’arbitrage du tribunal administratif. Car pour faire plier les enseignants qui bloquent la délivrance des notes, le ministre Mohamed Ali Boughdiri a employé la méthode forte en limogeant, début juillet, pas moins de 350 directeurs d’école et en gelant le salaire de 17 000 enseignants pendant un mois.
Le 10 juillet, en signe de solidarité avec les collègues renvoyés, un mouvement de démissions collectives de directeurs d’écoles a démarré. Il concernerait, selon le secrétaire général adjoint de l’Union générale de l’enseignement, Ikbel Azabi, 70 % d’entre eux.
Sept ministres en six ans…
« Pourquoi juste un mois alors que les notes n’ont pas été distribuées depuis septembre ? » se demande un parent d’élèves qui s’agace de ce qu’il considère comme une prise en otage systématique des enfants et des familles. Difficile de lui donner tort : depuis 2017, le bras de fer n’a jamais pu être géré alors que pas moins de sept ministres se sont succédé à la tête de l’Éducation nationale dont Neji Jalloul, Slim Khalbous, Hatem Ben Salem, Mohamed Hamdi, Fethi Sellouiti, des responsables politiques de bords différents à l’expérience non négligeable.
Les problèmes, bien réels, continuent à s’accumuler, tandis que promesses non tenues et doléances non entendues alimentent la mésentente. La nomination, en janvier 2023, de l’ancien dirigeant syndical Mohamed Ali Boughdiri au ministère laissait espérer que l’année scolaire, déjà perturbée par un premier trimestre houleux, pouvait encore être sauvée. Face à lui, la fédération maintenait ses revendications, dont la plus importante reste la titularisation, toujours promise mais jamais actée, des enseignants cantonnés à un statut précaire. Une promesse difficile à tenir pour le gouvernement puisqu’elle reviendrait à augmenter les effectifs de la fonction publique, en totale contradiction avec les engagements que les bailleurs internationaux veulent imposer à la Tunisie.
Passage en force
Les discussions ont également achoppé, d’une année sur l’autre, sur les augmentations salariales prévues dans le cadre des négociations sociales annuelles. Promesse compliquée à tenir là encore, la Tunisie étant confrontée depuis 2020 à une crise économique et financière sans précédent. Mais pour les enseignants, qui subissent de leur côté les effets de l’inflation, il en va de leur quotidien.
Face à ces revendications et aux contraintes qui lui sont imposées, le ministre a choisi la voie du passage en force. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois : début mars, il avait annoncé des titularisations sous le statut indéfini d’auxiliaire de l’enseignement, ce qui en pratique revenait à rétrograder des instituteurs ayant de l’ancienneté. Il misait alors sur l’adhésion des 80 % de suppléants recrutés en 2019, sans tenir compte du fait que d’autres enseignants sont toujours remplaçants après des années de service.
« Rafistolage »
La situation entretient une sentiment de précarité chez beaucoup de professeurs, qui critiquent aussi certains effets d’annonce, comme lorsque le ministre a évoqué une augmentation qui porterait les salaires mensuels à 1 500 dinars (près de 480 euros)… ce qui correspond en fait au niveau actuel des émoluments de départ selon la grille de la Fonction publique pour le personnel titularisé. « Du rafistolage, encore une fois, alors que la situation est grave », déplore Ridha Zahrouni, président de l’Association tunisienne des parents et des élèves (Atupe).
En cette fin d’année scolaire, la situation semble dans l’impasse et le ministre ne peut pas se permettre d’attendre : la rentrée scolaire a lieu dans deux mois et il lui faut préparer dès maintenant les capacités d’accueil. Sera-t-il contraint, en raison du blocage des notes, de faire passer en classe supérieure un maximum d’élèves sans contrôler leur niveau afin d’éviter un engorgement à la rentrée ? À l’issue d’une année sans notes ni appréciations, c’est la question qui taraude les parents, qui craignent une chute du niveau de l’enseignement.
Le problème se politise
Pour le secrétaire général de la Fédération générale de l’enseignement de base, Nabil Haouachi, les décisions de Boughdiri portent « atteinte au droit syndical et visent à mettre fin ainsi à tout esprit revendicatif ». Des arguments qui politisent un peu plus un problème dont les origines remontent à la réforme de l’enseignement de 1991, qui avait introduit l’arabisation des matières scientifiques, et dont l’échec était constaté dès 2002. Mais ce choix a été maintenu en utilisant des subterfuges, comme une contribution de 25 % du contrôle continu à la note du baccalauréat, et des passages de classes automatiques.
Cette gestion au coup par coup des crises touchant le secteur éducatif n’a pas enrayé la dégradation du secteur, au point que le taux de réussite au baccalauréat, unique examen de l’ensemble du cursus scolaire, est tombé à 36 %, tandis que le phénomène du décrochage scolaire touche plus de 100 000 élèves par an. « Il faudrait commencer par là, et entamer toute une réflexion sur ce qu’on attend de l’enseignement, le rôle de l’éducation nationale et la réhabilitation de l’image de l’enseignant », conclut un professeur qui craint que l’on ne néglige l’école. Il rappelle, bien qu’il précise être non pratiquant, que le premier mot du Coran est « Lis » ou « Étudie ». Une injonction d’instruction aussi forte qu’un précepte.
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