Côte d’Ivoire, Cameroun, Sénégal… Les PPP en Afrique, vraie panacée ou fausse bonne idée ?

Malgré l’urgence, la construction de routes, barrages et ports patine sur le continent. Pour combler ce déficit d’infrastructures, banques de développement et secteur privé plébiscitent les partenariats public-privé.

Le pont Henri-Konan-Bedié, inauguré en 2014, a permis de désengorger Abidjan. © Nabil Zorkot

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Publié le 22 août 2023 Lecture : 7 minutes.

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Les difficultés d’accès aux crédits mettent en péril les projets d’infrastructures dont le continent a tant besoin. Pourtant, des solutions existent.

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L’ouvrage, long de 1,3 kilomètre et haut de 14 mètres, domine les eaux tumultueuses du fleuve Sanaga. D’un coût de 1,2 milliard d’euros, le barrage de Nachtigal, au Cameroun, est l’un des plus grands partenariats public-privé (PPP) en cours sur le continent. Le projet, développé par Nachtigal Hydro Power Company (NHPC), est détenu à 40 % par le français EDF et à 20 % par la Société financière internationale (IFC), filiale de la Banque mondiale dévolue au secteur privé. L’État du Cameroun et Africa50 ont une participation de 15 %, les 10 % restants étant détenus par Stoa, un fonds d’investissement créé par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et l’Agence française de développement (AFD).

Le barrage, dont la livraison était initialement prévue en 2022, devrait finalement être opérationnel en 2024. Avec une capacité de 420 MW, il est censé fournir environ 30 % des besoins du pays en électricité et supposé pallier un déficit chronique de production d’électricité dans le pays. Malgré les retards à l’allumage, pour Boris Martor, avocat associé au cabinet Bird & Bird, qui a accompagné l’État camerounais sur le dossier, « ce projet est un succès » et son modèle pourrait  » être reproduit, afin d’accélérer le développement des infrastructures si indispensables au continent ». Électricité mais également routes, ports, chemins de fer, télécoms…

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Déficit d’infrastructures

Au total, la Banque africaine de développement (BAD) juge que près de 100 milliards de dollars par an qui seraient nécessaires pour résorber le déficit continental en matière d’infrastructures. En 2020, le total des engagements en faveur du financement des infrastructures en Afrique a atteint 81 milliards de dollars. Pour que le continent rattrape son retard, les investissements dans ce domaine devraient donc plus que doubler. Pour tenter d’y parvenir, depuis une quinzaine d’années, bailleurs de fonds, organisations régionales, secteur privé et gouvernements ont jeté leur dévolu sur ces fameux partenariats public-privé (PPP).

Si j’étais le gouvernement guinéen, je ferais des audits sur tous mes PPP

Le principe ? Une entité publique confie à un partenaire privé tout ou partie de la conception, de la construction, du financement, de l’exploitation et de la maintenance d’équipements publics (routes, hôpitaux, aéroports, centrales électriques, chemins de fer…) pour une durée de vingt à trente ans. En contrepartie, le partenaire privé se rémunère grâce à un loyer payé par cette même entité publique, par le biais de péages lorsqu’il s’agit d’une autoroute ou encore avec un tarif de rachat d’électricité dans le cas d’une centrale hydroélectrique, par exemple.

Un remède aux contraintes budgétaires ?

De fait, de nombreux gouvernements africains se sont emparés de ce mode de passation des marchés publics, souvent présentés comme un remède miracle aux contraintes budgétaires. Le partenaire privé finance le projet, ce qui permet au gouvernement d’éviter de recourir à l’emprunt. « Les PPP ont été vendus comme la panacée. Des cadres juridiques ont commencé à être élaborés, mais les gouvernements se sont précipités. Il s’agit d’un outil parmi d’autres. Il doit être utilisé à bon escient après avoir vérifié qu’il correspond bien aux besoins de tel ou tel projet », rappelle Carole Devidal, référente PPP au sein d’Expertise France, une filiale de l’AFD.

Ainsi, de nombreux PPP signés dans les années 2000 et 2010 l’ont été au détriment des États africains ou des usagers. On peut par exemple citer l’échec de la concession de Transrail pour l’exploitation de la ligne de chemin de fer entre Bamako et Dakar, signée en 2003 et résiliée en 2015. En 2013, la privatisation du secteur de l’électricité au Nigeria n’a pas non plus permis une amélioration du service, bien au contraire. « Si j’étais le gouvernement guinéen, je ferais des audits sur tous mes PPP », ajoute un expert de l’investissement dans les infrastructures en Afrique.

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Les PPP déséquilibrés ne sont pas l’apanage des pays en voie de développement, tant s’en faut. Mais l’émergence des PPP sur le continent a ouvert une brèche au sein de laquelle le secteur privé s’est parfois engouffré. « De nombreux projets se sont développés à l’initiative des investisseurs et, dans ces cas-là, les PPP sont signés de gré à gré, ce qui comporte des risques élevés pour les finances publiques, poursuit Carole Devidal. En Afrique, le contrat de gré à gré est même devenu la règle, et l’appel d’offres l’exception. » « Cela permet aux autorités de montrer à leur population qu’ils développent le pays », complète Boris Martor.

Ces dix dernières années, la Banque mondiale a recensé 292 projets de PPP en Afrique subsaharienne qui sont allés jusqu’au closing financier, pour un montant total de plus de 60 milliards de dollars. Trois sur quatre concernent la production d’électricité. « Les infrastructures de production d’électricité sont un modèle relativement simple, où les PPP sont parfaitement adaptés. Le prix d’achat de l’énergie est garanti », analyse Boris Martor.

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Un bilan plutôt maigre

Toujours selon les statistiques de la Banque mondiale, les ports arrivent en deuxième position et ont attiré près de 12 milliards de dollars d’investissement en dix ans. Viennent ensuite les télécommunications (11 projets), les routes (8), les aéroports (5) et les lignes de chemins de fer (3). Mis en perspective avec les besoins du continent, le bilan paraît bien maigre. « Lorsque les pays présentent des projets sans avoir mené d’études préalables de faisabilité et de pérennité budgétaire et alors qu’il n’existe pas de loi qui encadre les PPP, cela n’a que peu de chances d’aboutir et d’attirer les investisseurs », analyse Carole Devidal.

La situation est en train d’évoluer. En septembre 2022, une directive PPP, fruit de huit années de travail, a été promulguée par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Une fois transposée en droit national, le cadre juridique et institutionnel de mise en œuvre des partenariats public-privé sera harmonisé au sein des États membres.

La directive impose notamment la mise en place d’un régime fiscal adapté aux PPP, incite les partenaires privés à intégrer des PME issues de la région au sein de leurs offres, et demande aux États de créer des structures nationales spécialement dévolues aux PPP. Une directive équivalente est sur le point d’aboutir au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). « C’est un signal fort envoyé au secteur privé qui a besoin d’un contexte juridique clair pour s’engager sur ces contrats risqués », se réjouit Carole Devidal.

Exemple à suivre

Plusieurs pays de la région n’ont cependant pas attendu la directive pour mettre en place un environnement favorable au développement des PPP. « Partant du principe que nous voulions faire financer par le privé une partie de nos infrastructures, nous avons mis en place dès 2012 un cadre légal, explique Moussa Kouyaté, le président du Comité national de pilotage des partenariats public-privé en Côte d’Ivoire (CNP-PPP). Bien élaborés, les PPP présentent beaucoup d’avantages. Ils permettent un transfert des risques vers le privé, une amélioration des services et, surtout, de dégager des marges de manœuvre budgétaires pour que l’Etat puisse se concentrer sur les activités régaliennes. Ainsi, la Côte d’Ivoire a réalisé plus de 30 projets en PPP, ce qui représente plus de 6 milliards de dollars d’investissements. Et nous voulons encore accélérer le processus ».

Le pont Henri-Konan-Bedié, inauguré en 2014, qui a permis de désengorger Abidjan, est souvent présenté comme un exemple à suivre. En 2013, l’autoroute à péage entre Dakar et Diamniado était également précurseur dans le domaine. « Au Sénégal, personne ne pensait qu’on arriverait à faire payer des péages. Maintenant, cela fonctionne tellement bien que l’on va prolonger l’autoroute », indique Boris Martor.

Alors que les PPP concernent majoritairement des grands projets, leur avenir en Afrique sera peut-être celui des projets à taille humaine. Le Sénégal a par exemple défini 14 priorités : une gare routière, un abattoir, un marché couvert… De petits montants qui auront plus de difficultés à attirer l’attention du secteur privé, mais qui n’en répondent pas moins aux besoins des populations. La bonne définition du besoin ainsi qu’un cadre juridique et de régulation adéquat feront que le développement des PPP adaptés deviendront réalité. Car, s’ils ne sont pas parfaits, ils constituent une réponse aux besoins en infrastructures, lesquels demeurent et coûtent au continent, selon le FMI, deux points de PIB par an.

Les 14 péages, premiers PPP routiers camerounais

L’automatisation des postes de péage sur 14 sites camerounais est en route. Selon Laurent Germain, directeur général d’Egis, la mise en service des installations est prévue avant la fin de l’année. Un PPP de 230 millions d’euros, porté par Tollcam, une société détenue à parts égales par Razel-Bec (Groupe Fayat) et Egis. Pour le dirigeant, le projet est « un bel exemple de la manière dont le secteur privé peut contribuer au développement économique, en permettant de financer une infrastructure et de générer des recettes qui permettront ensuite de l’entretenir, et donc d’améliorer globalement la logistique à l’intérieur du pays ».

Pourtant, relativise Arnaud de Rugy, directeur Afrique du groupe, le prix unique fixé par l’État à 500 F CFA pour tous les véhicules, légers ou lourds, « ne correspond pas au revenu qui serait nécessaire pour entretenir ou développer le réseau routier concerné ». Le projet dégagera, certes, quelques recettes au-delà de l’amortissement des installations, mais le partenariat entré en vigueur pour vingt ans en juin 2022 « devra évoluer » au cours des prochaines années pour couvrir les dépenses touchant au réseau, assure-t-il. Arnaud de Rugy explique que la démarche adoptée était « pragmatique et efficace » : « Un PPP trop élevé n’aurait pas abouti, car inacceptable socialement. Il faut procéder par étapes, avec des investissements et des enjeux modestes au démarrage », assure-t-il.

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