L’Algérie survit entre canicule et coupures d’électricité

Si le sud du pays est habitué aux températures extrêmes, le nord est gagné à son tour. Les ventes de climatiseurs explosent, aggravant les problèmes d’approvisionnement en électricité.

Vague de chaleur dans le centre-ville d’Alger où la température a atteint 42 degrés, le 10 juillet 2023. © APP/NurPhoto/AFP

Publié le 18 juillet 2023 Lecture : 5 minutes.

Après un périple de 2 400 km et trois jours d’une très longue route entrecoupés de petites haltes pour dormir quelques heures et reprendre des forces, Slimane vient de débarquer de Tindouf, à l’extrême sud-ouest de l’Algérie. C’est là que cet ingénieur agronome s’est installé avec sa famille depuis des années.

Encore sous le coup de la fatigue, Slimane est choqué de voir que les températures de son petit village de Basse Kabylie se sont alignées sur celles du grand sud. « Je préfère encore Tindouf. Là au moins, c’est chaud mais c’est sec. Il n’y a pas toute cette maudite humidité ! » maugrée-t-il. Et pour cause, cela fait pratiquement une semaine que les températures du nord du pays oscillent entre 44 et 50 degrés, de jour comme de nuit. Du jamais vu.

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Couleurs du Sahara

Une vraie fournaise. Les bulletins d’alerte météo se suivent et se ressemblent, oscillant entre le rouge et l’orange. Chaque pic apporte un nouveau record. « Cette vague de chaleur est due à la remontée de masses d’air chaud provenant du sud et qui sont parfois bloquées au niveau des régions côtières. Il s’agit d’un phénomène extrême qui persistera les prochains jours », explique Said Chalmouni, ingénieur à l’Office national de météorologie (ONM).

Le sirocco, ce souffle brûlant du désert ne faiblit que rarement. La poussière et le sable drapent le ciel et tous les paysages des couleurs du Sahara. Chaque matin, les automobilistes doivent nettoyer leurs véhicules de la fine couche de sable ocre qui s’y est déposée.

Dôme de chaleur

Les humains ne sont pas les seuls à souffrir de cette chaleur inhabituelle, les animaux sauvages aussi. Chacal, sanglier, cigogne, vautour, serpent et autres espèces ont été filmées très mal en point, ou titubant sous l’effet de la température. Plusieurs vidéos de bêtes sauvées d’une mort certaine par de généreux inconnus qui ont partagé avec eux leur bouteille d’eau ont fait le buzz sur les réseaux sociaux.

Après un mois de juin inhabituellement doux et pluvieux, l’Algérie s’est donc retrouvée, début juillet, emprisonnée sous un étouffant dôme de chaleur, comme l’appellent les météorologues. Même Alger, ville côtière au climat habituellement tempéré, s’est invitée dans la liste des villes les plus chaudes au monde, telle qu’établie par le site Eldorado Weather qui recense quotidiennement les localités du globe où il ne fait pas bon se retrouver sous les rayons ardents du soleil. Un classement auquel sont déjà abonnées plusieurs villes algériennes telles que Tindouf, Adrar, In-Salah, Bouira, Chlef ou encore Biskra. « Voilà au moins un domaine ou l’on est classé parmi les premiers au monde », ironise Aïssa sur sa page Facebook.

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Mieux vaut en rire

Sur les réseaux sociaux, tout le monde y va de sa photo de photos de tableaux de bord de voiture affichant des températures hallucinantes. « C’est la journée des tableaux de bord ! » lâche le même Aïssa, toujours aussi sarcastique. Mieux vaut en rire qu’en pleurer. En effet, rien de mieux que l’humour décalé des Algériens pour dédramatiser une situation pénible.

Durant les dernières inondations qui avaient affecté plusieurs régions du pays au mois de juin, des groupes de jeunes n’avaient rien trouvé de mieux que de se livrer à des concours de plongeons dans les cours d’immeubles transformées en piscines. Un jeune homme a même été filmé en canoë-kayak pagayant furieusement au milieu d’une route nationale que les pluies diluviennes avaient transformée en torrent. Aujourd’hui, avec la canicule, des citoyens se filment en train de se faire une omelette avec une poêle simplement posée sur le capot de leur voiture.

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Réseau électrique saturé

Plus sérieusement, chaque canicule amène son lot d’incendies de forêts et chaque incendie ravive les craintes et les souvenirs douloureux des méga-feux de l’été 2021 qui ont fait des dizaines de morts. Toutefois, cette année, l’Algérie dispose au moins d’un bombardier d’eau acquis auprès des Russes tandis que les autorités affirment en avoir affrété plusieurs autres et mobilisé plus de 765 unités d’intervention de la Protection civile ainsi que 65 colonnes mobiles, 650 camions anti-incendie et 6 hélicoptères relevant du groupement volant de la Protection civile.

En plus des températures infernales, les coupures d’électricité et les chutes de tension sont devenues récurrentes sur tout le territoire national, réseau électrique saturé. Sans l’avouer publiquement, la Sonelgaz, l’opérateur historique des énergies électrique et gazière en Algérie, est obligé de recourir aux délestages. La demande dépasse largement l’offre : des records de consommation d’énergie électrique ont été enregistrés le 9 juillet avec 17 508 MW, 17 905 MW le 10 et 18 377 MW le jour suivant.

Auxiliaires de survie

La faute aux climatiseurs devenus d’indispensables auxiliaires de survie en milieu urbain. Les magasins spécialisés en électroménager sont pris d’assaut et les installateurs travaillent sans relâche. Il faut compter près de 70 000 dinars (environ 460 euros) pour un 2 600 W mais malgré leur prix, beaucoup de ménages se saignent pour s’en offrir un. « Ce n’est plus un luxe. C’est indispensable », dit Azzedine, gérant d’une petite supérette occupé à installer le sien.

Autre accessoire devenu indispensable pour beaucoup de citoyens : la citerne d’eau sur le toit de la maison ou sur le balcon. À défaut d’espace, elle est posée à même le trottoir pour servir de réserve d’eau. Avec sa pompe électrique et son surpresseur pour faire monter l’eau à l’étage, il faut compter une moyenne de 60 000 dinars. Là encore, pas question de lésiner sur la dépense, il s’agit de survie dans un pays touché de plein fouet par la sécheresse, le stress hydrique et le réchauffement climatique.

De l’eau une fois par semaine

Rationnée dans presque toutes les localités du pays, ce n’est pas tous les jours que l’eau coule du robinet. Dans beaucoup de villes, les citoyens s’estiment privilégiés d’avoir de l’eau une fois par semaine. Il est donc impératif de faire des réserves. Ces pénuries ont créé un nouveau job : vendeur d’eau itinérant. Il faut disposer d’un petit camion et de citernes pour livrer les consommateurs assoiffés et vendre l’eau à raison de 20 dinars le bidon de 10 litres.

Aux dernières nouvelles, la canicule devrait durer toute la semaine, mettant encore à l’épreuve la légendaire patience des Algériens et leur sens aigu de la dérision qui fait dire à quelques plaisantins sur Facebook : « Quelqu’un a dû oublier de fermer la porte de l’enfer… »

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