À Vertières, les esclaves d’Haïti font capituler les troupes de Napoléon
Le 18 novembre 1803, la révolution des esclaves, qui dure depuis plus de dix ans, aboutit à la capitulation des troupes françaises colonisatrices à Haïti. Un événement majeur dans l’histoire des résistances à l’oppression coloniale.
[Série] Ces batailles où l’Afrique a triomphé des colons
Face aux forces coloniales, du Maroc à l’Afrique du Sud, en passant par Haïti, l’Algérie ou le Ghana, les Africains du continent et de la diaspora ont souvent su profiter du sentiment de supériorité des Européens.
LES GRANDES VICTOIRES AFRICAINES (1/8). Une nuit chaude d’août 1791, l’une de celles qui portent en elles un « air de révolution ». L’atmosphère est lourde, pesante, une tempête tropicale gronde à l’horizon. C’est à Bois-Caïman, dans un lieu à l’abri des regards, tout au nord de Saint-Domingue – l’Haïti d’alors – que s’écrit le prologue du destin de la première république Noire au monde. Une réunion d’esclaves marrons, qui ont fui la propriété de leurs maîtres, et bravé l’interdiction de rassemblement nocturne.
La rumeur dit qu’à Paris, la Société des Amis des Noirs a envoyé des agents sur l’île pour inciter les esclaves à la rébellion. Même si le bruit est difficile à confirmer, il trouve écho de plantation en plantation, galvanisant les plus courageux et effrayant les autres.
Des héros devenus martyrs
Pour les historiens, cette cérémonie est considérée comme le mythe fondateur de la première expérience d’autodétermination d’afro-descendants des Amériques. En d’autres termes, le point de départ de la guerre d’indépendance des esclaves africains qui s’est déroulée sur le continent américain.
De Bois-Caïman, peu de souvenirs précis resteront finalement. Une cérémonie vaudou, un pacte sacré, une promesse de tuer, de se venger de l’homme blanc esclavagiste. La transmission du récit autochtone, génération après génération, achève de transformer l’évènement en légende. Et ses héros en martyrs. Jean-François, Jeannot, Dutty Boukman… Au début de cette première révolte des Noirs, ils seront tués, pendus, poignardés, exhibés en épouvantails pour dissuader leurs frères de poursuivre.
Mais le ver est dans le fruit. Aux quatre coins de l’île, d’autres figures émergent de cette cérémonie mi-vaudou mi-politique. Parmi lesquels un certain Toussaint, qui n’est pas encore Louverture. L’homme, amené à jouer un rôle majeur dans l’histoire du pays, et d’autres leaders noirs tireront parti, deux ans après Bois-Caïman, des conséquences de la Révolution française. Louis XVI est guillotiné en 1793, et aux Antilles, la France est affaiblie par les invasions britannique et espagnole. C’est ce contexte opportun qui convainc Louverture – lui-même ancien esclave – et son bataillon de rejoindre les troupes espagnoles pour combattre les Français. « D’un point de vue géopolitique, Saint-Domingue représentait l’équivalent d’un émirat du pétrole pour les puissances colonialistes européennes, et l’île attisait toutes les convoitises », décrypte Alin Louis Hall, collaborateur au journal haïtien Le Nouvelliste.
L’esclavage rétabli
Cela dit, la promulgation de l’abolition de l’esclavage à Saint-Domingue encourage Louverture à changer de camp. Il s’oppose alors victorieusement aux Espagnols en tant que général puis général en chef des armées françaises de Saint-Domingue. En 1798, c’est Toussaint Louverture qui signera le traité d’évacuation de l’île par les Espagnols et les Anglais. Puis, il s’autodésignera gouverneur à vie de Saint-Domingue et proclamera, en 1801, l’indépendance du territoire.
Noyades, pendaisons, bûchers, crucifixions sont devenus le pain quotidien à Saint-Domingue
C’était sans compter la détermination de Napoléon Bonaparte de conserver la pleine possession de son empire. Et en 1802, durant ce que l’histoire retiendra comme « l’expédition Leclerc » – du nom du général envoyé par l’empereur pour gouverner la colonie française – une troupe de 25 000 hommes est envoyée à Saint-Domingue pour contrer le pouvoir de Louverture, rétablissant l’esclavage en mai et arrêtant l’autoproclamé gouverneur. Conduit à Brest puis au fort de Joux dans le Jura, Toussaint Louverture mourra en détention en 1803. Il ne connaîtra jamais l’indépendance de son pays.
Malgré cette arrestation, la guerre perdure sur l’île. Parallèlement, une épidémie de fièvre jaune décime une large part des soldats français qui font la loi à Saint-Domingue. Le général Leclerc y succombe. Son successeur, Donatien de Rochambeau, en situation délicate face à un ennemi britannique à nouveau à ses portes, alerté depuis les États-Unis de la situation sanitaire et de la poursuite de l’opposition des esclaves ayant pris les armes, il impose un régime de terreur. « Noyades, pendaisons, bûchers, crucifixions : toute la panoplie des inventions meurtrières de l’humanité est devenue le pain quotidien de Saint-Domingue », expliquait le professeur Philippe Girard en 2010.
« En avant ! En avant ! »
C’est ce durcissement dans le traitement des Noirs, et l’intensification des représailles contre d’anciens esclaves qui précipitera la fin du règne français. Et ce sera des mains du lieutenant de Louverture, Jean-Jacques Dessalines, qui s’est retourné contre l’allié d’un temps, que viendra la victoire. « Les pères fondateurs ont fait une lecture pertinente à l’époque, analyse encore Alin Louis Hall. Le contexte favorable a été compris, il ne fallait rien négliger pour nuire à la France. » Même les alliances de circonstance.
Dessalines a mis la blanchitude, celle dite de valeur dominante, en panne d’inspiration
C’est donc aidé de la neuvième brigade commandée par François Capois dit Capois-la-Mort, et du soutien logistique des Britanniques, qu’il ordonne l’assaut du fort de Vertières dans le Nord, où sont retranchés les derniers soldats français encore vivants. Au bout de quatre tentatives, rythmées au cri des « En avant ! En avant ! », et diligentées par la féroce détermination des assaillants, que l’affrontement tournera à l’avantage des futurs haïtiens et à la capitulation de Rochambeau et des troupes françaises.
L’indépendance de Saint-Domingue, rebaptisée Haïti, est proclamée le 1er janvier 1804. « À Vertières, Dessalines a mis la “blanchitude comme valeur dominante” en panne d’inspiration », ponctue notre expert. Jean-Jacques Dessalines deviendra le premier empereur d’Haïti, et à jamais, le vrai symbole de l’indépendance.
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