Barrage de la Renaissance : Le Caire et Addis-Abeba veulent « sauver ce qui peut l’être »
Réunis pour le sommet régional concernant la crise soudanaise, Égyptiens et Éthiopiens se sont mis d’accord pour relancer les négociations concernant le remplissage du barrage. Si la marge de manœuvre est faible, il s’agit d’un vrai signe de détente.
Invité au Caire pour assister jeudi au sommet des États voisins du Soudan, organisé par l’Égypte pour trouver une solution à la crise soudanaise, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a rencontré le président al-Sissi. Une occasion en or pour aborder le dossier épineux qui suscite colère et inquiétude en Égypte : le barrage de la Renaissance construit par l’Éthiopie, sur lequel les négociations sont à l’arrêt depuis février 2020, et dont une nouvelle et ultime phase de remplissage – synonyme de tensions avec les pays voisins – va débuter très prochainement.
Suite aux entretiens, le porte-parole de la présidence égyptienne, le conseiller Ahmed Fahmy, a indiqué sur sa page officielle que « les deux leaders ont discuté des moyens de surmonter le blocage actuel concernant les négociations sur le barrage de la Renaissance éthiopienne ». Selon le communiqué, al-Sissi et Ahmed ont convenu d’« entamer des négociations accélérées pour entériner un accord entre l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan, sur le remplissage et les règles de la mise en œuvre du barrage ». Il a noté que toutes les parties « vont faire tous les efforts nécessaires pour le signer dans quatre mois. »
Durant cette période des négociations, l’Éthiopie s’est engagée à ne causer aucun dommage majeur à l’Égypte et au Soudan dans le cadre du remplissage prévu durant la saison des pluies 2023-2024, de manière à assurer les besoins en eau des deux pays en aval, a précisé le communiqué.
Dernière phase de remplissage
Cette timide reprise de dialogue ne suffit pas, pour l’heure, à susciter l’enthousiasme. « L’Égypte n’attend pas de sortir gagnante des négociations, elle tente plutôt de sauver ce qui peut l’être. L’Éthiopie a réalisé le remplissage qu’elle veut », explique à Jeune Afrique Abbas Sharaky, professeur de ressources hydriques et de géologie à l’Université du Caire, et grand observateur du dossier.
« À partir du 14 juillet et pendant toute la saison des pluies, l’Éthiopie entame le blocage d’environ 25 milliards de mètres cube d’eau derrière le barrage, soit une fois et demie la quantité totale d’eau déjà bloquée pendant les trois phases annuelles précédentes de remplissage », poursuit le scientifique. « L’engagement de l’Éthiopie de ne pas nuire à l’Égypte pendant cette nouvelle phase de remplissage est plus diplomatique que réel, car la construction du barrage qui va bloquer l’eau est déjà réalisée et elle ne peut pas réduire la quantité qu’elle va bloquer ».
Les discussions sont au point mort depuis février 2020. Suite à des négociations organisées par Washington, les deux pays devaient à l’époque signer un accord sur les modalités de remplissage, mais l’Éthiopie s’était retirée du processus au dernier moment. Depuis, elle a réalisé deux phases de remplissage, sans aucune coordination avec les deux pays en aval. Une situation qui a provoqué la colère du Caire. Ce dernier a menacé à plusieurs reprises de recourir à la solution militaire.
Face à la dernière grande opération de remplissage qui se profile, l’Égypte n’a toutefois pas beaucoup d’options. Elle continue à insister pour trouver un accord légal – et contraignant – avec l’Éthiopie, mais il impliquera forcément beaucoup de concessions de la part des pays situés en aval du fleuve.
Alléger la tension dans la région
« Je pense qu’après 12 ans de négociations sans résultat, toutes les parties vont accepter un compromis, tout en montrant plus de flexibilité, surtout de la part du Caire. L’Égypte ne peut plus intervenir pour déterminer la quantité de remplissage, mais elle mise sur un accord qui lui permette au moins de participer au processus de mise en service du barrage, ainsi que d’assurer qu’aucun autre barrage ne sera construit à l’avenir sans son approbation », ajoute Abbas Sharaky.
Un accord entre les trois pays impliqués, même symbolique, pourrait cependant alléger le climat de tension que connaît la corne de l’Afrique aujourd’hui. « Un accord entre l’Égypte et l’Éthiopie servira les intérêts des deux pays et soulager les tensions non seulement entre eux mais aussi dans toute la région. Le Caire ne s’oppose pas au droit d’Addis-Abeba au développement, mais cette dernière doit aussi savoir qu’elle ne peut pas réaliser ce développement aux dépens des pays situés en aval du Nil », précise à Jeune Afrique l’ambassadeur Mohamed Hegazy, ancien ministre adjoint égyptien des Affaires étrangères.
« L’Éthiopie ne doit pas rater cette occasion de trouver un accord avec les pays en aval, qui va servir la sécurité et la stabilité de la région, et lui donner les moyens de son développement », conclut le diplomate.
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