Comment dit-on « ovni » au Maroc ?
En février dernier, le monde entier a de nouveau été saisi d’une brève « ovnimania » lorsque plusieurs objets volants non identifiés ont été signalés en Amérique du Nord. Le phénomène n’a pas épargné le royaume, où Hassan II s’était d’ailleurs, en son temps, très officiellement penché sur la question.
En février, des engins aperçus dans le ciel des États-Unis et du Canada – des ballons espions chinois finit par affirmer l’armée américaine, ce que Pékin n’a jamais voulu reconnaître – ont mis le monde entier en alerte. Plus récemment, le 10 juin dernier, le nom de David Grusch a fait le tour de la toile. Cet ex-agent de l’agence américaine de renseignement géospatiale, l’affirme : les États-Unis détiennent des engins « non humains » depuis des années, et imposent le silence autour de ces technologies.
Si la passion pour les ovnis, parfois relevée d’un soupçon de complotisme et largement alimentée par Hollywood, est un classique de la culture américaine, le sujet interroge, passionne parfois, dans bien d’autres parties du monde. Beaucoup l’ont oublié mais, en septembre 1976, le roi du Maroc, Hassan II, avait manifesté son intérêt pour la question.
Cette année-là, un objet volant non identifié ayant été aperçu dans la nuit du 18 au 19 septembre dans les cieux d’Agadir, Rabat et Marrakech, le roi décide de contacter les Américains. C’est Hosni Benslimane, commandant de la gendarmerie royale, qui est chargé de prendre contact avec les spécialistes du Pentagone afin de déterminer s’ils détiennent des informations sur les mystérieuses formes observées dans le ciel marocain.
À l’époque, Washington préfère botter en touche. Et si Henry Kissinger, le célèbre secrétaire d’État américain, prend lui-même la plume pour répondre à la requête du représentant du roi, c’est pour lui répondre que le phénomène peut s’expliquer par des « causes naturelles et qu’aucune enquête ne devrait suivre ». Fin de l’histoire donc, du moins pour un temps.
Wikileaks s’en mêle
En 2013, à l’occasion de l’affaire Wikileaks du nom de la fuite massive de documents officiels américains, ce câble diplomatique est dévoilé au public. Il n’en faut pas plus pour qu’à Toronto, au Canada, un dénommé Ted Molczan, membre du réseau mondial d’observation des satellites militaires, décide qu’il est temps d’avoir le fin mot de l’histoire. Après quelques recherches, il parvient à déterminer que l’objet aperçu en 1976 dans le ciel marocain était en fait un morceau de fusée russe.
Il aura donc fallu 36 ans pour élucider un mystère qui n’en était pas vraiment un. Entretemps, bien sûr, d’autres objets volants non identifiés ont été aperçus au Maroc, comme partout dans le monde, et ceux que la question passionnent s’interrogent : ne conviendrait-il pas de doter le royaume d’uns structure capable d’étudier ces cas ? Les États-Unis, on le sait, disposent d’un bureau d’analyse des ovnis, créé en novembre 2021, au sein même du Pentagone. « On peut imaginer, à terme, une collaboration sur ce domaine avec les États-Unis, étant donné que les deux pays, coopèrent militairement », envisage Gérard Lebat, ufologue et auteur en 2022 de l’un des seuls ouvrages – sinon le seul – consacré au sujet, L’histoire des ovnis au Maroc.
Dans son livre, qui recense les nombreux témoignages de Marocains affirmant avoir aperçu un ovni, le spécialiste s’est également interrogé sur la façon dont le phénomène est perçu dans le pays. Dans les hautes sphères de l’État, mais aussi et surtout au sein de la population. De multiples témoignages ont été recueillis à ce sujet.
Dans bien des cas, raconte Gérard Lebat, les témoins cherchent des explications du côté de la religion. C’est le cas de Monsieur N. , qui pense avoir vu un ovni en 1993 et l’a raconté à l’ufologue : « Une peur s’empara de moi et j’ai tapé à la porte de ma maison pour réveiller ma famille (…). Ma mère considère cette expérience comme une apparition de “djinns”, alors j’ai eu droit a une bouffée de « bkhour » (encens utilisé lors de rites religieux). »
Djinns, anges et démons
Le Coran mentionne l’existence de djinns, des êtres mystérieux qui vivraient dans un monde parallèle. Il raconte aussi la nuit du destin, ce moment où les portes du ciel s’ouvrent pour laisser les esprits descendre des cieux. La culture locale accorde une place importante aux anges et autres êtres mystérieux tels que les démons, et autres esprits. Très souvent donc, les cas d’objets non identifiés sont expliqués par ces croyances.
Ainsi à Khemisset, en 1996, un adolescent de 12 ans a aperçu un objet lumineux qui faisaient des « mouvements dans tous les sens ». Certains ont estimé qu’il s’agissait probablement d’une comète. D’autres, plus âgés, que c’était l’ange Gabriel (Jibril en arabe) qui faisait une apparition. Aujourd’hui toutefois, les choses changent, estime Gérard Lebat : « Ce n’était pas le cas il y a 50 ou 60 ans, mais aujourd’hui la société marocaine est tout à fait prête à envisager la question des ovnis sous un angle rationnel. En effet, la télévision par satellite, internet et l’accès aux sources d’information qu’on peut avoir en Occident réduisent grandement la part d’explication des ovnis sous un biais religieux. Excepté dans les villages reculés et les milieux ruraux où l’on voit encore cela ».
Le spécialiste rappelle aussi que, jusque dans les années 1950, les cas observés étaient essentiellement rapportés par les Français qui résidaient au Maroc, plus instruits, et plus en contact avec l’actualité mondiale de l’époque qui parlait déjà de ce phénomène. À l’inverse, la population marocaine était alors majoritairement rurale, isolée, et le taux d’analphabétisme était de 87 %. La télévision et la radio n’ont commencé à atteindre le grand public que dans les années 1970.
Gérard Lebat relève qu’aujourd’hui encore, « la gendarmerie marocaine, contrairement à ce qu’il se passe dans d’autres pays, n’a pas pour préoccupation d’enregistrer les éventuels témoignages ». Pour lui, si la sensibilisation au sujet a fait de vrais progrès, « tout reste à faire pour développer, sous un angle scientifique et sérieux, l’étude du phénomène ovni au Maroc ».
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