Pap Ndiaye, ce ministre français que l’on adore détester !
Depuis sa nomination au poste de ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye est la cible d’attaques fréquentes. Pour Dominique Sopo, président de SOS Racisme, l’universitaire est carrément un point de fixation obsessionnel des forces les plus réactionnaires de France.
À peine le nom du successeur de Jean-Michel Blanquer rue de Grenelle était-il connu que les attaques en « wokisme » ou en « islamo-gauchisme » fusèrent. Une vague de haine en ligne, dont une étude que nous commandâmes montra qu’elle avait été impulsée par les réseaux zemmouristes, se déploya. Elle trouva des relais solides bien au-delà des seuls cercles zemmouristes : de l’extrême-droite frontiste aux franges du Printemps républicain, en passant par le camp néolaïque et la droite parlementaire dont la dérive – symbolisée par l’accès d’Éric Ciotti à la tête de LR – s’affirmait alors.
Depuis, les sorties du ministre sont l’occasion d’attaques fréquentes. L’actualité la plus récente nous en fournit un nouvel exemple. En effet, réagissant le 9 juillet dernier sur Radio J au refus de la rédaction du JDD de voir arriver à sa tête un personnage tellement marqué à l’extrême-droite que même Valeurs actuelles s’en est séparé, Pap Ndiaye a tenu des propos somme toute banals. Vincent Bolloré est qualifié de « personnage manifestement très proche de l’extrême-droite la plus radicale » tandis que C News est décrit comme un média « clairement d’extrême-droite » qui fait « du mal à la démocratie ».
Mise en cause ad hominem
Les attaques que ces propos ont déclenchées sont pourtant significatives. Tout d’abord par leur intensité et leur nature. Ensuite, par l’écosystème qu’elles révèlent. Enfin par ce qu’elles ont suscité en défense du ministre devenu cible. Les attaques furent d’une rare violence puisqu’elles s’aventurèrent sur le terrain de la mise en cause ad hominem. C’est ainsi que, sans que cela n’ait aucun rapport avec le fond de la polémique, la présentatrice de C News Laurence Ferrari s’employa à y faire entrer les enfants du ministre.
De façon plus classique, les attaques ad hominem s’orientèrent vers la couleur de peau du ministre. Non pas que Pap Ndiaye ait été qualifié de « noir » (on veille – encore – à mettre sa main devant la bouche avant de péter). Pourquoi s’abandonner à une telle grossièreté quand il suffit par exemple de le qualifier de « woke », mot indéfini mais chargé de sens qui joue souvent le rôle du camouflage d’une attaque a minima « anti antiraciste », au pire raciste ? Lorsque Philippe de Villiers explique que le ministre « veut faire entrer l’islamisme et le wokisme à l’École » ou qu’Éric Ciotti affirme que Pap Ndiaye s’est efforcé toute sa vie à « déconstruire notre Nation », peuvent-ils ignorer les sous-entendus que comportent ces attaques ?
Si leur violence est également nouvelle dans son intensité, c’est parce qu’elles s’inscrivent dans le contexte de la constitution de plus en plus affirmée d’un groupe de presse dédié à la promotion de l’extrême-droite et suffisamment sûr de sa force pour se déchaîner sans retenue, dans une logique de meute typique des groupes extrémisés où se beuglent la fidélité au chef, la profession de foi dans la doxa et la mise au pilori de celles et ceux qui ne s’y plient pas, la critiquent ou la trahissent.
Opportunisme couard
Cette certitude dans une force qui se déploie sans peur de la grossièreté ne serait pas aussi ressentie sans, deuxième élément significatif, l’écosystème de plus en plus dense et serré qui se constitue à l’extrême-droite de l’échiquier politique. Si anecdotique cela paraisse-t-il, les mots de Laurence Ferrari sont salués par le démissionnaire président nominal du Printemps républicain (qui se décrit désormais comme un « patriote engagé »). De façon plus significative, chez LR, Éric Ciotti s’empresse de saluer Bolloré. En parallèle, un député et un sénateur, sans d’ailleurs ne rien dire de la virulence des attaques subies par Pap Ndiaye, profitent des questions au gouvernement pour voler au secours des titres de presse de Bolloré au nom de la liberté d’expression.
Certes, ces forces ou individus avançaient chaque jour davantage en parallèle de l’extrême-droite ou en courant derrière celle-ci. Il n’y a qu’à penser aux clins d’œil appuyés de Ciotti en direction de Zemmour pendant la campagne présidentielle. Il n’y a qu’à constater l’inquiétante dérive de LR sur la question de l’immigration pour laquelle, outre une vision de plus en plus lepénisée, elle a proposé des solutions en rupture avec l’État de droit. Mais désormais, les voilà s’efforçant d’appartenir au réseau de relation des hérauts de l’extrême-droite et/ou à paraître comme les premiers défenseurs de la presse d’extrême-droite, s’évertuant en la circonstance et non sans talent à faire davantage de bruit que les camps lepéniste et zemmouriste.
Que ces dynamiques de ralliement progressif à l’extrême-droite soient le fruit d’une idéologie foncièrement réactionnaire, d’une aveuglante peur de l’autre ou d’un opportunisme aussi intéressé que couard, les attaques contre Pap Ndiaye nous révèlent en tout état de cause la constitution d’un écosystème qui, dans son versant partidaire, n’est pas sans rappeler le scénario italien : ne sachant plus comment plaire à l’électorat d’extrême-droite, une partie significative de la droite institutionnelle se place dans la position non plus d’une famille politique qui s’allierait à l’extrême-droite pour parvenir au pouvoir mais dans celle d’une famille politique réduite au rôle de force d’appoint permettant à l’extrême-droite de gouverner.
Banalisation de la haine
Enfin, l’absence de soutien gouvernemental à Pap Ndiaye est là encore tout à fait significative. Silence massif des ministres, soutien timide de Clément Beaune, sortie stupéfiante de Stanislas Guerini sur la très bollorisée Europe 1… Autant de facettes qui illustrent un inquiétant recul de la fermeté éthique à opposer à l’extrême-droite et à ses logiques de meute. Cette apathie est-elle le fruit de la faiblesse idéologique des ministres ? De leur sidération face à une virulence que leur profil très peu politique ne leur permet pas d’affronter ? De l’affaissement de leurs certitudes devant des évolutions électorales qui les désorientent ? Ou du manque de boussole d’un exécutif au sein duquel un président rabroue sa Première ministre lorsque cette dernière pointe les origines historiques du RN avant de voler – tardivement – au secours de son ministre de l’Éducation nationale ?
L’on peut être en profond désaccord avec la politique gouvernementale en matière d’Éducation nationale (faiblesse des revalorisations des revenus des enseignants, flexibilisation des emplois du temps de ces derniers, logique de sélection et de privatisation de l’enseignement supérieur, absence de remise en cause franche des catastrophiques réformes menées par Jean-Michel Blanquer au lycée…). Mais cela ne doit pas empêcher de constater que les attaques subies par le ministre montrent que ce qu’impulsent les médias ciblés par Pap Ndiaye, à savoir la banalisation de la haine de l’autre et l’abaissement du débat public par l’impossibilité croissante d’échanges d’arguments rationnels, tendent à devenir moins problématiques que leur dénonciation. Dans une démocratie qui se porte bien, c’est exactement l’inverse qui se produit.
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