En Espagne, le Maroc au cœur de la campagne électorale
Alors que les électeurs espagnols sont appelés aux urnes à l’occasion des élections générales ce dimanche 23 juillet, le Maroc se trouve bien malgré lui impliqué dans la campagne électorale, extrême droite et gauche radicale tentant de l’instrumentaliser à des fins politiques.
Invité malgré lui. Tout au long de la campagne pour les élections générales espagnoles, qui se dérouleront dimanche et qui permettront peut-être l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement, le Maroc aura occupé une place importante de l’agenda politique espagnol.
Avec 33 % des intentions de vote, le Parti populaire (PP droite) est classé premier des intentions de vote, devant le Parti socialiste ouvrier espagnol (centre-gauche), actuellement au pouvoir, de Pedro Sánchez, qui atteindrait 28,7 % des suffrages, selon une enquête d’opinion du quotidien espagnol El País datée du 17 juillet, faisant du parti dirigé par Alberto Núñez Feijóo le favori pour succéder à Pedro Sánchez.
Le PP favori
Sur le Maroc, le PP souffle régulièrement le chaud et le froid, et tente tant bien que mal de manifester une opposition au revirement de Pedro Sánchez sur le Sahara sans remettre en cause la relation avec le Maroc, dans l’éventualité où il serait appelé à gouverner. Pour rappel, au mois de mars 2022, Pedro Sánchez décidait de mettre fin à la brouille diplomatique entre Rabat et Madrid en adressant une lettre au roi Mohammed VI dans laquelle il déclarait que l’Espagne reconnaissait le plan d’autonomie marocain comme « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend relatif au Sahara occidental ».
Lors d’un face-à-face à la télévision le 10 avril, les deux candidats ont évoqué le sujet. Sans surprise, c’est le chef du PP qui a démarré les hostilités, en accusant son homologue du PSOE d’avoir « rompu trente ans d’équilibre avec le Maroc ». « La présentatrice me demande si je maintiendrai l’accord que vous avez passé avec le Maroc [en cas d’élection du PP], mais pouvez-vous déjà commencer par nous dire ce que contient cet accord ? », a lancé Alberto Núñez Feijóo, avant d’ajouter : « Je souhaite retrouver un équilibre entre l’Algérie, le peuple sahraoui, le Maroc et l’Espagne ». « Et qu’est-ce que cela signifie ? », lui a aussitôt rétorqué Pedro Sánchez, sans toutefois parvenir à interrompre son interlocuteur.
Feijóo a principalement axé sa critique autour du fait que le chef du gouvernement a choisi de ne pas consulter les oppositions sur une thématique relevant de politique extérieure et qui engage l’État. « Vous ne nous avez rien dit de cet accord. Nous, Espagnols, avons le droit de savoir ce qu’il contient ! », a asséné Alberto Núñez Feijóo.
En réalité, nombre d’observateurs de la scène politique espagnole s’accordent à dire que, en cas de victoire, le PP ne devrait pas revenir sur le fond de la décision de Pedro Sánchez, refusant de courir le risque de rebasculer dans une ère de tensions avec le voisin du Sud. Feijóo a d’ailleurs assuré que sa première visite d’État à l’étranger – hors Union européenne – serait au Maroc, comme le veut généralement la tradition de la politique étrangère du pays.
« Pression constructive »
Créditée de 13,7 % des intentions de vote, la coalition de gauche Sumar, qui regroupe une quinzaine de partis – dont Podemos -, dirigée par l’ancienne communiste Yolanda Díaz , est restée fidèle à la position historique de la gauche radicale espagnole, traditionnellement proche des thèses sahraouies.
Lors d’une interview télévisée le 26 juin dernier, la présidente de la coalition de gauche n’a pas infléchi la ligne de son courant idéologique. « Notre position n’a pas changé et reste celle que nous avons toujours défendue. Nous défendons la libre autodétermination du Sahara dans le cadre des résolutions des Nations unies ». Par le passé, Yolanda Díaz avait déjà qualifié le Maroc de « dictature », et affirmé que l’Espagne devait, à son encontre, adopter une « pression constructive » envers le Maroc.
Tesh Sidi, la numéro trois du parti, est par ailleurs une activiste sahraouie. Née dans les camps Tindouf en 1994, cette ingénieure est particulièrement investie sur la question du Sahara. Dans une interview accordée le 15 juillet au quotidien espagnol El Mundo, elle assure que le revirement de l’exécutif sur le Sahara serait lié à des informations compromettantes sur Pedro Sánchez en possession du Maroc, et qui « seront peut-être découvertes dans cinquante ans grâce à Wikileaks ou à la CIA ».
La question de la position à adopter vis-à-vis du Maroc a toujours fait partie des sujets de friction au sein de la coalition du gouvernement de Pedro Sánchez, auquel ont participé Podemos et Yolanda Díaz , qui a occupé la fonction de ministre du Travail et de l’Économie sociale.
Vox multiplie les fake news
Mais c’est sans conteste le Front ouvrier espagnol qui a poussé la provocation le plus loin. Une affiche de campagne du parti, placardée dans une rue du quartier Aluche, à Madrid, représente un montage de Mohammed VI et Pedro Sánchez en train de s’embrasser. Il faut noter que c’est la première fois que le Front ouvrier – qui ne fait pas parti de la coalition Sumar -, étiqueté à gauche mais usant fréquemment de fortes références nationalistes, prend part à des élections générales.
Pour le parti d’extrême droite Vox (13,5 % d’intentions de vote selon le même sondage d’El Pais), le royaume aura constitué, tout au long de la campagne, une source intarissable de récupération politique. Par la voix de son leader, Santiago Abascal, Vox a presque quotidiennement fustigé la politique de Pedro Sánchez à l’égard du Maroc, qu’il qualifie régulièrement de « soumission ». La réunion de haut niveau à Rabat au début du mois de février 2023, qui s’est tenue dans le sillage de la réconciliation espagnole, a ainsi été rebaptisée « ridicule de haut niveau » par les cadres du parti.
Le président de l’antenne locale de Vox à Ceuta, Juan Sergio Redondo, avait au même moment accusé l’exécutif d’avoir « baissé la tête » et d’avoir accepté « toutes les conditions du Maroc » relatives à Ceuta et Melilla. La formation d’extrême droite accuse souvent le gouvernement actuel de n’avoir obtenu aucune contrepartie lors de la restauration des relations bilatérales, et d’avoir manqué de fermeté à propos des enclaves de Ceuta et Melilla, que Vox accuse le Maroc de convoiter.
Le parti réclame par ailleurs la suspension de l’accord agricole établi en 2012 entre l’Union européenne et le Maroc, accusant le royaume d’exercer une concurrence déloyale en ayant recours, notamment, au « travail des enfants ». Au cours de la campagne, la formation d’extrême droite a multiplié les fakes news, en relayant par exemple une fausse information qui circulait sur les réseaux sociaux à la fin du mois de juin et qui affirmait que le Maroc avait appelé les citoyens espagnols d’origine marocaine à ne pas voter pour Vox. L’ambassade du royaume en Espagne avait été contrainte de démentir officiellement l’information.
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