Machisme et traditionalisme au Cameroun : une autrice provoque la colère d’un chef de village
Le chef du village camerounais Idool accuse une autrice de 17 ans de descriptions « malsaines et blasphématoires ». Avec une procédure judiciaire à la clef.
Si, aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années, la polémique ne semble pas plus patiente. Âgée de 17 ans et tout juste titulaire d’un bac D obtenu à l’Institut polyvalent bilingue les Pintades, Marzouka Oummou Hani a eu l’impudence de publier son premier roman. L’intrigue de Mon père ou mon destin se déroule à Idool, village camerounais de la commune de Belel, à une centaine de kilomètres de la ville natale de l’autrice, Ngaoundéré.
Sur un ton plusieurs fois qualifié par les critiques littéraires de « percutant » et « avant-gardiste », le livre expose des pratiques patriarcales, des actes de mariage forcé et de violences conjugales, un défaut d’éducation des filles et quelques superstitions dont les femmes sont victimes.
Procédure judiciaire
Il n’en fallait pas plus pour froisser les autorités du village dépeint. Dans un courrier daté du 18 mai dernier, le sieur Mohaman Ahman, chef de la localité, affirmait représenter la population d’Idool en sollicitant, auprès du ministre des Arts et de la Culture, « le retrait de l’œuvre » de Marzouka Oummou Hani. Pour lui, « le village Iddol » – sur le nom duquel il fait une faute d’orthographe – « et son fondateur “Sidi” y sont dépeints de façon malsaine et blasphématoire, toute chose qui est de nature à induire en erreur le lectorat sur les connaissances scientifiques ou les faits historiques ». Et de supputer, dissimulé derrière la jeune fille qui n’est même pas originaire d’Idool, « un projet ubuesque […] planifié par des personnes tapies dans l’ombre »…
Légitime et potentiellement constructif, même au premier degré, l’avis des ressortissants d’Idool aurait pu être simplement contrebalancé par le droit à la licence littéraire que permet la pirouette de l’autofiction. Mais l’affaire a glissé du débat intellectuel à la procédure judiciaire. Ce 20 juillet, Marzouka Oummou Hani était convoquée, pour diffamation, devant le tribunal de première instance de Ngaoundéré. Le procès est renvoyé au 17 août.
Certes, l’écrivaine est sans doute rassérénée par le soutien d’un collectif d’avocats qui s’est constitué pro bono. Et oui, la médiatisation d’un roman est souvent un gage de succès commercial, même en cette époque de piraterie littéraire, voire de censure éventuelle. Il reste tout de même à savoir si le discours féministe du roman ne sera pas étouffé par l’appel réactionnaire au respect aveugle des traditions. Et si le dédommagement de 150 millions de francs CFA demandé par les plaignants ne perturbera pas, s’il est validé par le tribunal, un début de carrière fulgurant.
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