Mamadou Sinsy Coulibaly : « C’est le Mali qu’on assassine ! »

Le cri de colère de l’ex-président du patronat malien face à l’agonie et à la mise à l’isolement progressif du pays par la junte militaire au pouvoir. Pour l’entrepreneur, la théorie du complot permanent orchestré depuis l’étranger ne pourra plus longtemps masquer aux yeux du peuple l’incapacité à gouverner.

Manifestation organisée par la plateforme panafricaniste Yerewolo pour célébrer le départ de l’armée française du Mali, à Bamako le 19 février 2022 (image d’archives). © FLORENT VERGNES/AFP

Mamadou Sinsy Coulibaly © Emmanuel Daou Bakary pour JA

Publié le 21 juillet 2023 Lecture : 5 minutes.

Nous, populations du Mali, de Taoudeni à Sikasso, de Kayes à Kidal, de Bamako à Gao, sommes en train de mourir ! Lentement, inexorablement, implacablement, nous sommes en train de mourir et ça n’émeut personne. L’extrême gravité de notre situation atteint désormais l’insupportable. Et le grand silence de l’autorité nationale qui nous mène à la ruine, tout comme celui de la communauté internationale qui regarde ailleurs, traduit bien l’indifférence générale que suscite notre sort. C’est un pays qu’on assassine, honte à vous tous qui ne faites rien !

Honte à vous d’abord, dirigeants du moment ! Contre toutes les règles démocratiques, vous vous êtes imposés à la tête du Mali, vous avez pris vos responsabilités, comme vous aimez le dire, en vous saisissant des rênes du pouvoir, mais qu’en avait vous fait ? Notre pays est aujourd’hui en ruine et nos populations en pleine désespérance.

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Vide politique sidéral

Sur le plan politique, le silence est total, le vide est sidéral, l’espace d’échange n’existe plus, le découragement est achevé, comme en témoigne la disparition de tous les acteurs politiques traditionnels, probablement découragés. Comme si la disparition d’un des leurs due aux conditions épouvantables de sa détention à la maison centrale d’arrêt de Bamako les avait tous traumatisés et anesthésiés. Pis, la confiscation définitive du pouvoir est à l’œuvre avec cette mascarade de consultation populaire organisée pour modifier une Constitution désormais taillée pour assouvir vos ambitions. Cette manœuvre sournoise ne trompe personne. Mais qu’avez-vous à proposer ? Quelle est la stratégie censée nous sortir de l’impasse ? Que reste-t-il de l’accord de paix, seule perspective d’un retour à l’unité nationale ?

Sur le plan sécuritaire, vos régulières déclarations médiatiques dithyrambiques ont bien du mal à masquer la réalité. Le Mali n’est plus tenu, la présence de l’État n’est plus assurée dans plus de la moitié du pays et, par voie de conséquence, les missions régaliennes, éducation, santé, protection… ne sont plus assurées. Les terroristes religieux font la loi presque jusqu’aux portes de Bamako et votre politique d’isolement international, au nom d’une prétendue souveraineté à préserver, nous fait craindre que le pire est encore à venir. D’autant que votre collaboration avec Wagner ou le gouvernement russe, mercenariat qui nous coûte si cher et est si décrié, ne fait que surajouter à la peur et à l’insécurité, de façon justifiée, semble-t-il. Et vous n’avez même pas le courage de la vérité, empêchant toute enquête qui révélerait des exactions.

Effondrement général

Sur le plan économique, le Mali est tout simplement ruiné. Le système bancaire est à plat, d’ordre public comme privé. L’investissement est devenu impossible, si tant est qu’il y ait eu velléité à investir dans de telles conditions. Pire, nos outils de production sont harcelés, pour ne pas dire rackettés, tous les jours par les services publics. Nos sociétés meurent, la libre entreprise disparaît, la production de biens et de services est à l’agonie, triste spectacle ! Chacun tente de se débrouiller comme il peut, tombant progressivement dans un système d’inacceptable informel où la précarité fait vite place à la misère. L’anarchie ainsi engendrée participe naturellement à l’effondrement général.

Mais attention, un jour viendra où il faudra rendre des comptes. La théorie du complot permanent orchestré depuis l’étranger, qui peine désormais à masquer aux yeux du peuple l’incapacité à gouverner, a ses limites. En fait, nous savons bien, nous Maliens, que l’effondrement est total, hélas ! sur tous les plans. Et l’isolement international, qui semble être la seule stratégie visible de votre action, ne fait que précipiter l’inéluctable. Dans ces conditions, une nouvelle junte succédera-t-elle à la précédente ? Une vague populaire emportera-t-elle dans la violence les aventuriers en treillis ? Qu’importe, les conséquences sont connues d’avance : somalisation du pays, confrontations communautaires, système religieux imposés par la terreur, anarchie généralisée… Bien tristes perspectives d’avenir pour les Maliens désespérés !

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Ukraine, Mali : deux poids, deux mesures

Alors honte à vous aussi, acteurs de la communauté internationale, qui ne pouvez ignorer le drame qui se déroule sous vos yeux. Vous aurez vous aussi des comptes à rendre. Votre attitude est d’autant plus choquante quand on constate l’extrême attention portée à l’Ukraine, où tous vos leviers sont à l’œuvre pour aider ce pays martyrisé. Mais qu’en est-il du Mali, pourtant lui aussi membre à part entière du système des Nations unies ? Sommes-nous trop loin de vous ? Sommes-nous trop pauvres ? Mais qu’avons-nous donc fait pour susciter une telle indifférence ?

Une fois encore, sur vos critères qu’on ne rappellera pas ici vous choisissez, vous décidez, vous imposez les causes qui méritent votre attention et votre engagement. Même dans les domaines de la ruine et de la désolation, vous sélectionnez. Notre misère et notre désespérance ne méritent-elles pas attention, elles aussi ? Sommes-nous donc condamnés à rester seuls, avec nos seuls yeux pour pleurer ?

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Et vous, Français, qu’on entendait si bruyamment ces dix dernières années, où êtes-vous désormais ? Notre histoire commune que vous saviez si fréquemment nous rappeler, des siècles d’histoire partagée, disiez-vous, vous inspire-t-elle soudainement des scrupules ? Votre propension à dénoncer l’inadmissible s’est-elle évanouie ? Que de pudeurs soudaines !

Incompréhensible indifférence

Quant à vous, Africains, entendrez-vous les courageux messages des présidents Tinubu et Bazoum, bien seuls à s’exprimer sur notre déroute politique ? Craignez, un jour, de subir notre sort. Aussi qu’attendez-vous pour dénoncer l’inadmissible ? Ainsi, dans un silence assourdissant et une incompréhensible indifférence, nous, pauvres Maliens, sommes en train de mourir à petit feu. Moins spectaculaire qu’en Ukraine, notre sort n’intéresse personne. L’isolement du pays voulu par ses dirigeants du moment conjugué au soi-disant respect de la souveraineté ne peut servir d’excuse.

Face à ceux qui ont choisi le droit de la force plutôt que la force du Droit pour imposer leur pouvoir, qui sont incapables de l’assumer et qui, inexorablement, mènent le pays à la mort et à la désolation, vient le moment où le devoir d’ingérence s’impose. Si les dirigeants maliens persistent dans leur politique mortifère, la pression internationale se justifie, sous une forme ou une autre. Souvenons-nous des grandes affaires de génocides. Dans ce type de situation, agir trop peu ou trop tard, c’est déjà être complice ; ne pas agir du tout, c’est clairement être coupable.

Alors, dirigeants du Mali, acteurs de la communauté internationale, prenez enfin conscience de ce qu’il se passe ici. C’est le Mali qu’on assassine, agissez ! Agissez vite !

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