Au Sénégal, les DRH veulent devenir incontournables
Longtemps cantonnées aux tâches administratives, les directions des ressources humaines en Afrique de l’Ouest, et notamment au Sénégal, tentent désormais d’ériger la gestion des carrières au rang de priorité.
« Durant mon cursus universitaire, j’ai passé une année en gestion des ressources humaines, et ce fut le moment le plus marquant de ma vie étudiante. Lors de cette période, j’ai véritablement essayé de comprendre la psychologie des personnes qui m’entouraient ». Cette « ode » à la fonction RH est signée Alpha Barry, directeur Afrique de l’entreprise française de services numériques, Atos, depuis 2020.
Malheureusement, le tropisme et l’appréciation des ressources humaines de ce dirigeant ont encore peu infusé chez ses pairs au Sénégal – son pays natal – comme sur le reste du continent. En effet, en dépit de son intitulé faisant la part belle à « l’humain », la fonction RH a longtemps été perçue comme le réceptacle des tâches administratives, par essence chronophages et rébarbatives.
« Historiquement, la vision des ressources humaines au Sénégal oscillait entre chef du personnel et de l’administratif. Nous étions là pour gérer les fiches de paie et les congés payés en plus d’être affublés de la casquette “sanctions” en cas de manquement », abonde Natacha Senghor, ex-DRH des marques Pullman et Novotel au Sénégal pour le compte du groupe hôtelier Accor et aujourd’hui DRH de Batimat, entreprise familiale spécialisée dans la distribution de matériaux de construction. Un portrait-robot peu flatteur confirmé par Abdou Faye, directeur de Profil, un cabinet de recrutement spécialisé en ressources humaines : « Auparavant, les DRH étaient même d’anciens inspecteurs du travail reconvertis ». Comment donc susciter des vocations avec une telle représentation du métier ?
Des DRH très convoités
Heureusement pour eux, les réalités économiques et surtout démographiques – selon les projections des Nations unies –, plus de la moitié de la population du continent aura moins de 25 ans en 2050 – des pays africains enjoignent progressivement aux directions des entreprises de faire évoluer cette vision quelque peu sclérosée du métier de DRH. Celui-ci se métamorphose en recruteur et dénicheur de jeunes talents.
Une donnée déjà prise en compte dans la politique de recrutement d’Atos Afrique, qui a largement jeté son dévolu sur des profils dits « juniors » et dont certaines compétences restent à développer par l’employeur. « Notre politique RH a vocation à attirer les talents de tous horizons. Avec une approche orientée « juniorisation », explicite Soufyane Mlal, chargé des ressources humaines chez Atos Afrique. Et d’ajouter. « Nous misons sur l’avenir et sur les jeunes pour répondre à cette problématique de raréfaction des talents ». Sur les 290 collaborateurs recrutés majoritairement pour des postes dans l’IT par Atos l’an passé, 75 % étaient considérés comme juniors.
Cette guerre des talents touche également les DRH eux-mêmes. En effet, les profils davantage impliqués dans le développement humain que dans la gestion des fiches de paie ont particulièrement le vent en poupe. « La quête de responsables des ressources humaines capables de faire ce que j’appelle du développement humain est particulièrement dynamique au Sénégal. Nous manquons de ce type de profils sur le marché et, par voie de conséquence, les salaires ont tendance à grimper de manière exponentielle lorsque l’on en déniche un », relate Abdoul Aziz Gaye, à la tête du cabinet de recrutement Eco-Afrique basé à Dakar.
Une évolution confirmée par son homologue Abdou Faye, chez Profil. « Nos clients, à savoir les entreprises tous secteurs confondus, insistent de plus en plus sur ce volet management des talents et ressources ». En effet, de plus en plus d’organisations appellent de leurs vœux une fonction RH davantage incarnée et qui accompagne les talents tout au long de leur vie dans l’entreprise, contribuant à leur épanouissement personnel et professionnel. Et non plus des directeurs des ressources humaines dont les échanges avec les collaborateurs se limitent à la distribution des bulletins de salaires ou la validation des congés.
Devenir incontournable
Si cette guerre des talents n’épargne aucun secteur, certains d’entre eux devraient néanmoins contribuer à l’intensifier au Sénégal dans les années à venir. Au premier rang desquels figure le secteur bancaire en pleine effervescence.
« En quelques années, nous sommes passés d’une dizaine de banques à près d’une trentaine. Je ne peux même pas vous donner le nombre exact d’établissements bancaires au Sénégal tant il y en a de nouvelles qui s’installent », poursuit Abdoul Aziz Gaye d’Eco-Afrique. Dès septembre prochain, la Banque nationale d’Algérie (BNA) prendra d’ailleurs ses quartiers à Dakar, après l’obtention de son agrément en juin, pour ce qui constitue la première installation d’une banque algérienne à l’étranger.
Ce secteur dynamique devrait amener les DRH à ferrailler davantage dans cette chasse aux talents. À condition d’avoir les coudées franches et le soutien plein et entier de leurs directions en la matière. Pour parachever sa mue, la fonction RH doit être perçue comme stratégique aux yeux de sa hiérarchie, de même qu’une direction financière, par exemple. Pour ce faire, le DRH doit se rendre incontournable. « Nous devons continuer à nous former et rester à la pointe. Il y a quelques semaines, je suivais moi-même une formation sur l’intelligence émotionnelle, et nous devons rester à l’affut de tous ces sujets pour pouvoir être d’excellent conseil auprès de nos dirigeants », appuie Natacha Senghor. Une notion déjà intériorisée par Alpha Barry à la tête d’Atos Afrique : « Cela fait soixante ans que nous sommes en Afrique et, si nous n’avions pas une fonction RH forte, nous n’existerions plus ». À méditer.
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