Les promesses de Poutine ? Les Africains auraient tort d’y croire

Quatre déplacements du chef du Kremlin sur le continent depuis 2012 et un jeu de dupes à Sotchi, en 2019… Il n’y a rien à atteindre du rendez-vous de Saint-Pétersbourg, pronostique l’expert en géopolitique Adrien Poussou, alors que le deuxième sommet Afrique-Russie doit s’y tenir les 27 et 28 juillet.

Le président russe Vladimir Poutine (2e à d.) face à Abiy Ahmed (4e à g.), alors Premier ministre d’Éthiopie, lors du sommet Afrique-Russie à Sotchi, le 23 octobre 2019. © Sergei CHIRIKOV/POOL/AFP.

Adrien Possou
  • Adrien Poussou

    Ancien ministre centrafricain de la Communication et expert en géopolitique.

Publié le 25 juillet 2023 Lecture : 7 minutes.

Coïncidence inhabituelle, le 19 juillet, sur le front russe. Au moment où la présidence sud-africaine, après des semaines de tergiversations, annonce l’absence au prochain sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), prévu du 22 au 24 août à Johannesburg, du président russe Vladimir Poutine – visé par un mandat d’arrêt international émis par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) qui aurait contraint Pretoria à l’arrêter –, Evgueni Prigojine, le patron du groupe paramilitaire Wagner, sort du silence qu’il observait depuis sa rébellion avortée pour faire connaître son intention de redéployer en Afrique ses mercenaires qui combattent en Ukraine.

Ces deux annonces sont intervenues à quelques semaines de l’ouverture du deuxième sommet Afrique-Russie, qui se tiendra du 27 au 28 juillet, et au lendemain du refus de Moscou de prolonger l’accord céréalier autorisant les exportations de céréales ukrainiennes. Ce dernier contribuait à stabiliser les prix alimentaires mondiaux et à écarter les risques de pénurie, particulièrement en Afrique, où l’on a noté une hausse vertigineuse des prix dès le début de la guerre en Ukraine.

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Inutile donc d’indiquer que le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, et le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, ont regretté la décision russe, insistant sur le fait que plusieurs centaines de millions de personnes étaient « menacées par la faim » et qu’elles allaient en  »payer le prix ».

Posture paternaliste

Le peu de cas que fait la Russie de ses « partenaires » Africains attendus à Saint-Pétersbourg frappe et suscite l’étonnement de la plupart des observateurs. Mais au-delà de ce qui apparaît clairement comme une désorganisation à Moscou, imputable aux tensions entre Wagner et les patrons de l’armée, et à la situation difficile en Ukraine, l’Afrique n’est décidément pas la priorité des autorités russes.

À preuve, depuis son retour au Kremlin en 2012, Vladimir Poutine n’a effectué que quatre déplacements sur le continent, à chaque fois en Égypte et en Afrique du Sud. En dépit de la propagande présentant la Russie comme le sauveur des Africains, la réticence du maître du Kremlin à visiter les capitales africaines prouve le manque d’intérêt de son pays pour l’Afrique. D’ailleurs, le positionnement de la Russie vis-à-vis du continent évolue au gré de ses besoins propres.

Pourtant, à Sotchi, en 2019, Moscou avait affiché une volonté de partenariat basée sur l’égalité entre les États. Cependant, les nombreuses promesses d’aide faites à l’Afrique, notamment en carburant, engrais et autres vivres, ne se sont jamais concrétisées. Toutefois, elles ont conduit la Russie à adopter une posture paternaliste. Désormais, les autorités russes se comportent en chef de file, se prenant pour des mentors de leurs homologues.

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Autre illustration de la désinvolture russe dans ses rapports avec le continent : la durée du prochain sommet a été réduite de moitié. Une décision prise sous prétexte des craintes plus ou moins fondées exprimées par les services de polices, inquiets de ne pas pouvoir assurer convenablement la sécurité des officiels africains, et des rumeurs d’attaques racistes que les réseaux d’extrême droite russe auraient prévu de mener contre les délégations africaines.

Mirage de partenariat commercial

En plus d’être le symptôme de l’incapacité de la Russie à mener une coopération normale avec les pays du continent, ce curieux déroulement jette une lumière crue sur le peu de fiabilité de Moscou en tant que partenaire au développement de l’Afrique, et soulève des interrogations sur ses véritables desseins.

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Il s’agit, pour commencer, du mirage de partenariat commercial. Alors qu’il y a quatre ans, à Sotchi, Vladimir Poutine s’était engagé à doubler en cinq ans le niveau des échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique, ceux-ci ont diminué de 14 % en 2021, avec une chute de 30 % lors de la pandémie en 2020. Concrètement, les échanges du continent avec la Russie se chiffrent à 14 milliards de dollars, soit 2 % du volume total de commerce en Afrique. À titre de comparaison, la valeur du commerce africain avec l’Union européenne (UE) est de 295 milliards de dollars, avec la Chine de 254 milliards et avec les États-Unis de 65 milliards.

Les exportations russes vers l’Afrique sont sept fois supérieures aux exportations africaines vers la Russie

Pire encore : plus de 70 % de l’ensemble du commerce russe avec l’Afrique se concentre dans quatre pays : l’Égypte, l’Algérie, le Maroc et l’Afrique du Sud. Les exportations russes vers l’Afrique sont sept fois supérieures aux exportations africaines vers la Russie, ce qui les différencie des portefeuilles commerciaux plus équilibrés des principaux partenaires commerciaux de l’Afrique.

L’explication de cette faiblesse des relations économiques est simple : la Russie utilise les pays africains comme de simples épouvantails pour contrer son isolement international, créant artificiellement un groupe de pays semblant avoir des affinités avec elle. En clair, la Russie investit peu en Afrique : depuis 2019, elle n’a contribué que pour moins de 1 % aux investissements directs étrangers (IDE) destinés au continent ; et ses investissements concernent principalement les industries d’extraction minière.

En réalité, si l’on ne retient que les 786 milliards de dollars d’échange de commerce extérieur russe en 2021, l’Afrique subsaharienne est une zone secondaire de la politique commerciale russe, puisque, entre 2011 et 2021, le pays a enregistré seulement 4,9 milliards de dollars de volumes d’échanges cumulés avec le Nigéria, son premier partenaire en Afrique de l’Ouest, devant le Sénégal (3,7 milliards de dollars d’échanges cumulés).

Wagner et les violations de droits humains

En outre, on pourrait pointer la légende du partenariat sécuritaire. Faut-il le rappeler, le 22 mars 2023, un rapport de l’ONU a affirmé que le nombre de civils tués au Mali a augmenté de 54 % entre 2021 et 2022, passant de 584 personnes tuées à 1 277. Les auteurs du rapport ont également relevé une hausse de 35 % des violations des droits humains (blessés, disparitions, viols) attribuée à l’armée malienne et à ses « alliés » des mercenaires du groupe Wagner, déjà impliqués dans de multiples exactions. Malheureusement, ces chiffres n’incluent pas les violations dénoncées à Moura, en mars 2022, au cours desquelles entre 200 et 600 civils ont été massacrés.

Cerise sur le gâteau, les mercenaires de Wagner coûteraient au Mali 10 millions de dollars par mois, soit 6 milliards de F CFA. Pendant ce temps, les attaques terroristes se multiplient. Aussi, selon la Deutsche Welle, Wagner facture sa présence sur le terrain au gouvernement malien 103 millions d’euros par an, soit 45 % du budget national de la santé ; on le constate, le « rapport qualité/prix » est désastreux.

La République centrafricaine débourse, elle, pas moins de 400 millions de F CFA par semaine (600 000 euros), soit plus de 31 millions d’euros à l’année pour s’offrir les services de Wagner. Ce qui n’empêche pas la dégradation de la situation sécuritaire dans ce pays. On ne saurait par ailleurs oublier l’accord de coopération militaire signé en avril 2022 avec le Cameroun, qui n’a pas encore produit les résultats escomptés : par exemple, le redécollage des hélicoptères MI-17 de transport de troupes de l’armée camerounaise que l’on disait imminent, grâce à cet accord, se fait toujours attendre.

Chantage à la sécurité alimentaire

Moscou, pourtant, s’était engagée à favoriser le développement de la coopération avec les pays africains pour combattre le terrorisme international, la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants. Dans les faits, les troupes russes participent très faiblement aux missions de maintien de la paix de l’ONU en Afrique, avec 17 éléments pour la Mission de l’organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco), 16 pour la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (Unmiss), 14 pour la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca) et 12 soldats mis à la disposition de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso).

En troisième lieu et sans être exhaustif, nous pouvons souligner, le chantage à la sécurité alimentaire auquel se livre Moscou, contrairement à l’Ukraine et à l’Union européenne qui s’assurent que les exportations de grains de céréales vers l’Afrique se poursuivent. Le blocage des ports ukrainiens et l’offensive en cours entraînent la réduction de 75 à 80 % des capacités d’exportation de grains venant d’Ukraine alors que l’Afrique en dépend fortement.

Le refus de la Russie de prolonger les accords sur la mer Noire fait des exportations de céréales un levier de pression dans un contexte de crise alimentaire mondiale. Notons au passage que les Russes ont divisé par deux leur contribution à l’aide alimentaire mondiale entre 2021 et 2022, passant de 62 millions de dollars à 30 millions.

Autosuffisance financière

Pour se développer, l’Afrique a-t-elle forcément besoin d’aller chercher des financements ailleurs ? Non, répondent en chœur de nombreux économistes et financiers africains sérieux. Ceux-ci sont catégoriques et soutiennent qu’il faut arrêter avec la rengaine qui veut que le cash ferait défaut sur le continent pour financer les programmes de développement. En 2020, un pays comme l’Afrique du Sud a investi quasiment 8 milliards de dollars en Afrique pendant que la Chine n’investissait qu’un peu moins de 3 milliards.

Autrement dit, suffisamment de ressources sont disponibles sur les marchés africains pour financer le développement. À condition d’être rigoureux et d’aller les chercher. Sinon, les banques de développement du continent n’arriveraient pas à mobiliser aussi facilement sur le marché africain au-delà du milliard de dollars. Et puis les émissions obligataires que font les États depuis quelques années rencontrent un franc succès auprès des investisseurs.

Le temps est venu de faire cesser le spectacle affligeant, grotesque, des chefs d’État du continent courant les sommets, et qui repartent souvent avec de simples promesses de financement… jamais concrétisées. Le prochain sommet Russie-Afrique ne dérogera pas à la règle.

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