Firas Khoury : « En hissant le drapeau palestinien, on dit que l’on existe »

Avec « Alam » (« Le Drapeau »), Firas Khoury réalise à la fois un premier long-métrage politique sur la difficile affirmation de soi quand on est Palestinien en Israël et une comédie douce-amère sur une adolescence aux élans entravés. Un film tendre et militant.

« Alam », de Firas Khoury. © JHR Films

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Publié le 31 août 2023 Lecture : 5 minutes.

« Le début de la liberté, c’est de pouvoir hisser un drapeau. Le summum de la liberté, c’est de pouvoir le brûler. » Ainsi s’adresse Safwat à Tamer, deux des personnages de Alam (Le Drapeau), le premier long-métrage de Firas Khoury. Le début de la liberté, c’est ce que souhaite une bande de lycéens en substituant le drapeau palestinien au drapeau israélien sur le toit de leur établissement scolaire. Le jour choisi est symbolique : la commémoration de la Nakba, « la catastrophe » en arabe, qui est aussi le jour de l’indépendance en Israël.

Un combat symbolique

Tamer, Maysaa, Shekel, Safwat, Rida, chacun va s’engager pour des raisons différentes dans cette mission à haut risque. Au-delà du renvoi qui pend déjà au nez de certains élèves, c’est la prison qu’ils risquent s’ils se font prendre. Le drapeau est plus qu’un morceau de tissu dans cette ville d’Israël dont le nom n’est jamais mentionné, c’est un combat symbolique, comme le confirme le réalisateur palestinien né en 1982 à Eilabun (Israël) : « Il y a de toute évidence un problème à revendiquer son identité palestinienne en vivant en Israël. Peu importe où l’histoire se déroule précisément, elle se passe partout où il y a un problème à lever le drapeau palestinien. En le hissant, on dit que l’on existe. »

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La bande des cinq ne correspond pas à l’image homogène que l’on se fait du résistant palestinien vu de France : « Je voulais montrer différentes perspectives et de la nuance dans les caractères des personnages. Tous ne sont pas engagés dans la résistance, ni dans une lutte quotidienne contre l’occupation. Parce que les gens qui connaissent une catastrophe ou une invasion continuent majoritairement à vivre leur vie. » Ainsi, Tamer, Shekel et Rida sont de jeunes hommes plus préoccupés par la drague que par la lutte.

Dans la première scène, les trois adolescents devisent sur les règles à suivre pour courtiser une jeune femme en présence de son frère. S’ils s’intéressent à Lénine, c’est parce que c’est le nom du dealer du coin. Pour caractériser le protagoniste, Firas Khoury s’est nourri de sa propre expérience : « J’ai été Tamer, cet adolescent timide, pas très sûr de ses opinions, ni de ses convictions, peureux à l’égard des autorités. Mais s’il s’agit bien de mon tempérament d’alors, tout le reste de l’histoire a été inventé. »

Le jeune homme se joint à l’opération pour séduire Maysaa, nouvelle venue au lycée. « Maysaa est intelligente, drôle et courageuse. Elle n’avance pas au regard des lois dictées par le patriarcat, mais grâce à ses idéaux personnels », décrit le réalisateur. Elle résiste aux injonctions à préserver sa « réputation », comme lorsque l’un de ses camarades lui conseille de baisser la tête dans une voiture dont elle est la seule passagère autour de quatre hommes. « Dans la société arabe, qui est la mienne, les femmes subissent énormément d’oppressions de la part des hommes. Le personnage de Maysaa incarne mon propre rêve, celui d’une société où les femmes auraient la place de s’exprimer, d’avoir une voix », confie Firas Khoury.

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Réparer l’amnésie collective

"Alam", de Firas Khoury. © JHR Films

"Alam", de Firas Khoury. © JHR Films

La jeune femme a fréquenté le même collège que Safwat, l’initiateur de l’opération drapeau. Biberonné au militantisme tout comme ses frères, il s’enflamme contre son professeur d’histoire qui ânonne la version de l’histoire racontée par les manuels scolaires. Sa colère tient dans l’histoire familiale : ses grands-parents ont été chassés de leur village en 1948. Un événement directement inspiré de la vie du réalisateur : « Je viens d’un village qui a été victime d’un nettoyage ethnique. Tout le village est devenu un camp de réfugiés en un jour. Les villes et villages palestiniens ont totalement été vidés de leurs habitants, lesquels ont fini par travailler pour les Israéliens, dans la construction de maisons et dans les champs. Nous sommes parvenus, ma famille et moi, à revenir en Palestine. On a pu étudier l’histoire de notre terre, mais pas celle de notre catastrophe, la Nakba. » Son film répare une amnésie collective : « Je veux mettre la lumière sur cette histoire pour la confronter au récit national israélien, qui réécrit celle des populations qui vivent encore là-bas. »

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Ce trou de mémoire savamment orchestré n’a pas été comblé par les anciennes générations. Les parents de Tamer, marqués par un épisode personnel, n’ont de cesse de mettre en garde leur enfant contre l’engagement politique. « Ce qui s’est passé après 1948 a été une grande catastrophe pour les Palestiniens : 80 % de cette population est devenue réfugiée ; les 20% qui sont restés en Palestine étaient dans un état traumatique et de peur. Ils ne savaient pas comment réagir face à l’occupation. La seconde génération avait peur de l’ordre établi. Elle n’a pas vraiment fait d’efforts pour s’opposer à l’establishment », explique Firas Khoury.

Donner un visage à la résistance

"Alam", de Firas Khoury. © JHR Films

"Alam", de Firas Khoury. © JHR Films

La résignation des parents n’a pas déteint sur la jeunesse. Sa révolte s’exprime directement, par des manifestations. Mais aussi à travers des tags, omniprésents dans le champ urbain, et la musique du rap à « Mawtini », poème chanté qui vante la résistance palestinienne. Ces modes d’expression expriment leur état d’esprit, entre colère et aspirations : « La quatrième génération est très fière et n’a pas peur de se confronter à l’ordre établi. Je suis convaincu que c’est cette génération qui mènera à la libération de la Palestine. »

Alam est un film politique qui emprunte à la comédie. Les cinq lycéens ont tout de pieds nickelés dans leur mission, aussi touchants dans leurs intentions que maladroits dans leurs actions. Les plus résolus peuvent flancher lors du passage à l’acte. Ils portent sur leurs épaules le poids de l’Histoire mais ils continuent d’être avant tout des adolescents dont les élans se cognent au monde des adultes et aux codes de la société. « Je voulais poser ma caméra sur ces individus qui sont rarement dépeints dans les médias. Et je voulais montrer au monde que ces adolescents, que l’on a l’habitude de traiter comme des chiffres et des statistiques dans l’actualité, ont des histoires propres. C’est le réel propos du film. » La résistance filmée par Firas Khoury a un visage humain.

"Alam", de Firas Khoury. © JHR Films

"Alam", de Firas Khoury. © JHR Films

Alam (Le Drapeau), film de Firas Khoury, dans les salles françaises à partir du 30 août 2023.

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