Ninho, Dosseh, Mokobé… Les rappeurs-entrepreneurs misent sur le burger

Le 1er juillet, le restaurant Jefe Burger a ouvert ses portes dans le 16e arrondissement de Paris, avec pour patron Ninho et, aux fourneaux, Xavier Pincemin, Top Chef 2016. Une alliance street cred et street food qui fait recette.

Mokobé, Xavier Pincemin, Mamadou Sakho et Marvin Tillière lors de l’ouverture d’un TacoShake sur les Champs-Élysées à Paris, le 10 juin 2019. © Veeren/Bestimage

eva sauphie

Publié le 17 août 2023 Lecture : 6 minutes.

« Regardez comme il est bien balèze ; c’est trop bon, frère, ça remplit mon ventre ; le steak et tout, incroyable… ». Au début de juillet, une horde de gamins surexcités formait une file de plusieurs centaines de mètres devant Jefe Burger, le nouveau spot de street food du rappeur Ninho, inauguré à deux pas des Champs-Élysées, la plus prestigieuse avenue de Paris.

Ce n’est pas un hasard. Si l’échoppe tient davantage du fast-food traditionnel que du restaurant étoilé, avec ses écrans lumineux criards affichant les différents sandwichs de l’enseigne, ses banquettes en skaï et son mobilier rouge et jaune aux couleurs des incontournables sauces ketchup-mayo, le menu se veut gourmet.

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La star du « resto », c’est « Le Parisien », un burger composé d’un steak halal façon bouchère (125 g) préparé à la plancha, version smash – légèrement aplati sur la plaque de cuisson pour former une galette croustillante –, arrosé d’une sauce mayonnaise maison, de cornichons nappés de tranches de comté 24 mois ou de cheddar maturé, et d’une feuille de salade fraîche. Le tout, enfermé dans un potato bun, un pain brioché toasté et moelleux. « Simple et efficace », précise le chef Xavier Pincemin, gagnant de l’émission culinaire Top Chef en 2016, et qui a imaginé l’intégralité des recettes.

Burger premium

Inauguré au lendemain de la sortie de NI, le quatrième album de Ninho, ce restaurant s’inscrit dans la suite logique d’un parcours déjà jalonné de projets entrepreneuriaux. Troisième plus gros vendeur de disques de l’histoire du rap français, avec plus de 3,2 millions d’exemplaires écoulés, le « Jefe » lançait sa marque de vodka (BB Vodka) un mois plus tôt, à l’instar de ses homologues Joey Starr pour le rhum (avec Old Brothers), et Booba pour le whisky (sa marque : Duc). Une consécration pour le rappeur, Kino-Congolais d’origine, natif de Longjumeau (commune située dans le sud de Paris) et récemment élu égérie d’Adidas.

À 27 ans, Ninho continue son ascension façon transfuge de classe. « Lancer un burger premium avec un chef, c’est une allégorie de la réussite, décrypte Narjes Bahhar, responsable éditoriale rap chez Deezer. Cette ouverture [de restaurant] dans les beaux quartiers rend visible l’invisible. On assiste à une prise de Paris par la banlieue, et celle-ci influence aujourd’hui la capitale », complète-t-elle.

Avec Jefe Burger, Ninho ramène la street dans les quartiers chics en proposant un plat qui ressemble à son public, à des prix plutôt attractifs (compter 12,90 euros le menu Jefe et 10 euros le burger), même si certains les trouvent élevés si on les compare avec ceux de la franchise aux arches dorées.

L’esprit d’entreprise a toujours fait partie de l’ADN des rappeurs

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Avec plus de 24 milliards de vues sur TikTok, le burger est l’un des plats préférés des 15-25 ans, cœurs de cible de Ninho. En outre, le sandwich allemand séduit 37 millions de Français, qui en consomment chaque année 2,6 milliards d’unités, soit dans des structures de restauration soit en livraison à domicile, selon l’Observatoire Tendance Burger réalisé par Socopa Restauration-CHD Expert.

Le musicien français Ninho , le 18 novembre 2021. © JOEL SAGET/AFP

Le musicien français Ninho , le 18 novembre 2021. © JOEL SAGET/AFP

« Le burger est hyper-populaire. Pour les rappeurs, se l’approprier est une façon d’investir dans autre chose que dans la sape, tout en restant proches de leur public, car l’esprit d’entreprise a toujours fait partie de leur ADN », rappelle Narjes Bahhar. Pas étonnant qu’en un mois à peine, à l’heure où nous écrivons ces lignes, Jefe Burger affiche déjà des performances record, avec plus de 30 000 followers et plus de 19 millions de vues sur Instagram et TikTok. Street cred et street food, un combo qui fait recette. Et qui ne date pas d’hier.

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Modèle américain

Pionnier du genre, Mokobé. Le rappeur originaire de Vitry-sur-Seine, né de parents maliens, est entré dans le circuit de la restauration rapide dès 2018 en surfant sur le succès de O’Tacos (plus de 300 établissements en France et dans le Benelux). « Le taco à la française, c’était le sandwich populaire à ce moment-là, qui parlait à toutes les couches de la population, du PDG d’entreprise au jeune des quartiers », se souvient l’ancien patron de TacoShake (sa franchise lancée avec le footballeur Mamadou Sakho, une douzaine d’établissements implantés en France en l’espace d’un an).

La même année, le rappeur Niska lui emboîtait le pas avec Burger Time, à Évry (près de Paris), tandis que Youssoupha se spécialisait dans le hot-dog avec 5th Avenue, un établissement situé à quelques encablures de la place de la Bastille. Deux ans plus tard, Seth Gueko ouvrait un premier Barlou Burger à Pontoise, en région parisienne, avant d’inaugurer, en 2022, son établissement marseillais, devenu le fief de toute une génération de rappeurs, de Benjamin Epps à Vegedream.

« On regarde beaucoup ce qui se fait aux États-Unis, glisse Mokobé. Rick Ross a acquis plusieurs restaurants Wingstop spécialisés dans le chicken wings [poulet frit]. Idem pour DJ Khaled, dont la marque, Another Wing, livre de New York à Paris, en passant par Dubaï. Et tout ça donne, en France, Black M, qui ouvre une brasserie chic à Paname » [le restaurant Merci Charles, ouvert en juin dernier, avec un burger plus conventionnel à 18,50 euros].

Si les rappeurs n’investissent pas dans la street food, qui le fera ? On a la légitimité pour ça

Si l’ex-membre du 113 a fini par céder ses parts, il a ouvert la voie à la nouvelle génération. C’est d’abord avec lui, et ce bien avant Ninho, que le chef chouchou des rappeurs, Xavier Pincemin, a collaboré à une création inédite : un taco-burger à la truffe (âme sensibles, s’abstenir). « C’est “mortel” que les petits frères suivent [nos traces] et investissent ailleurs que dans la musique. Si on n’investit pas dans la street food, qui le fera ? On a la légitimité pour ça », assure celui qui lance aujourd’hui la gamme de boissons Wax, distribuée dans les fast-foods – « un voyage en Afrique, sans passeport ni visa », plaisante-il –, aux saveurs allant du mango loco au purple bissap, en passant par la chérie coco.

« La bouffe a toujours été importante dans la vie des quartiers. Il y a une façon de “manger street”, à commencer par s’asseoir sur un banc, dans la rue, décortique Benjamine Weill, auteure de À qui profite le sale ? Sexisme, racisme et capitalisme dans le rap français. Mais aujourd’hui, on surfe sur le crossover, c’est-à-dire sur le mariage des quartiers et des milieux aisés. Avec cette idée d’être du bon côté de la culture française en s’associant à un chef, qui est une figure ultra-respectée en France, bien plus qu’un chanteur ».

En 2019, soit un an après son lancement, la franchise TacoShake ouvre, sans surprise, un restaurant aux Champs-Élysées et affiche un chiffre d’affaires annuel (hors livraisons) de près de 1 million d’euros. « Mokobé a toujours créé une chaîne de valeur à partir de ce qu’il faisait, en réinvestissant son argent dans des œuvres caritatives, au Mali pour la construction d’une école ou dans son quartier, notamment par le biais de la distribution alimentaire. C’est du capitalisme propre », insiste Benjamine Weill.

Génération grec et kebab

Burger, tacos, hot-dog, mais aussi kebab, pour compléter l’addition. Chez Moyado, la toute nouvelle adresse de Dosseh, inaugurée au printemps, le chawarma est roi, mais version « végé ». « Mokobé et Dosseh, qui ont tous les deux la quarantaine, incarnent la génération grec et kebab, explique Narjes Bahhar. C’est donc naturellement que le rappeur Dosseh, né à Orléans (Loiret) de parents togolais et camerounais, escorté de l’acteur Yassine Azzouz, revisite le sandwich iconique de son adolescence. Un kebab à base de pois chiche, sans compter une version burger vegan. Ici, aucune trace animale, donc. En lieu et place, une galette de soja et de la farine de chia, de coco et de betterave, accompagnée de crudités bio (salade, oignons, cornichons, chou rouge, tomates), arrosée de sauces maison. Un bouquet végétal placé dans un bun de patate douce.

Une fois n’est pas coutume, c’est non loin de la place de l’Étoile que ce fast-food bio qui a tout pour plaire aux bobos a élu domicile. « Le 16e, le 17e, les Champs-Élysées… Pour les banlieusards qui vont dans les restaus de Ninho et de Dosseh, c’est aussi l’occasion d’apprivoiser une partie de la ville qu’ils ne connaissent pas, souligne Narjes Bahhar. Ces quartiers, c’est aussi le luxe et une certaine idée de la France à l’étranger ». En pleine saison touristique, les visiteurs auront ainsi tout loisir de troquer le classique jambon-beurre et les bons vieux macarons contre une street food pensée par ceux qui font la street culture.

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