En Égypte, Sissi prépare une présidentielle à sa mesure
La course à la présidentielle égyptienne, prévue au début de l’année 2024, a commencé très tôt dans un contexte économique et politique compliqué. Si plusieurs candidats d’opposition se sont dévoilés, la plupart d’entre eux sont considérés comme de simples faire-valoir.
À ce jour, quatre candidats ont annoncé vouloir se présenter à l’élection présidentielle égyptienne – prévue, selon la constitution, au début de l’année prochaine –, contre le grand favori et président sortant, Abdel Fattah al-Sissi. Outre le chef du parti historique al-Wafd, Abdel Sanad Yamama, le chef de la coalition du courant indépendant, Ahmed Fadaly et l’ancien député Ahmed al-Tantawi se sont déjà déclarés, rejoints le 9 juillet par le chef du Parti républicain du peuple, Hazem Mohamed Omar. Parmi ces quatre challengers, tous sauf Tantawi sont considérés comme « loyaux » au président.
« La présidentielle de 2018 avait déjà été une farce, car le seul candidat se présentant contre le président lui était loyal », rappelle le secrétaire général de la Coalition populaire, l’un des partis membres du Mouvement civil démocratique qui fédère la plupart des formations d’opposition. « Aujourd’hui, le régime tente d’anticiper l’élection en suscitant plusieurs candidatures afin de donner le sentiment d’un pluralisme, mais une fois encore ces challengers supposés sont des fidèles du régime. Ce qui fait du président sortant le seul vrai candidat. Les autres sont seulement là pour compléter le décor électoral. »
« Deux mandats ça suffit ! »
Au pouvoir depuis 2014, après avoir évincé le président issu des rangs des Frères musulmans, Mohamed Morsi, le président al-Sissi ambitionne une réélection facile. En 2018, il avait rassemblé plus de 97 % des suffrages face à un candidat considéré comme fantoche, Moussa Mostafa Moussa. D’autres opposants avaient dû renoncer à se présenter sous la pression, et deux d’entre eux avaient même été mis en prison. Quelques mois après le scrutin, les Égyptiens avaient à nouveau été appelés aux urnes pour voter des amendements constitutionnels portant le mandat présidentiel de quatre à six ans, permettant en théorie au président al-Sissi de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2030.
Le modèle de 2018, avec un seul opposant fantoche, est difficile à reproduire face à la colère provoquée par la crise économique et la baisse de popularité de Sissi
Mais la crise économique qui frappe l’Égypte depuis le début de l’année 2022 a créé un mécontentement populaire qui pourrait potentiellement changer la donne. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #مدتين_كفايه, soit « deux mandats ça suffit ! ») se répand, et de plus en plus de citoyens évoquent le mauvais bilan de Sissi et la montée de la pauvreté. Particulièrement critiqué, le lancement de mégaprojets à la rentabilité douteuse et l’endettement qui en résulte. Mais les revendications sont aussi plus politiques, beaucoup parle d’un régime répressif et évoque la question des milliers de prisonniers politiques qui peuplent les prisons du pays.
Dans un tel contexte, « le modèle de 2018, avec un seul opposant fantoche comme Moussa Mostafa Moussa, est difficile à reproduire face à la colère populaire provoquée par la crise économique et alors que la cote de la popularité du président est en chute », estime Ammar Ali Hassan, ancien professeur en politique sociale à l’université de Helwan, au Caire. Ce dernier ajoute que « de plus en plus de citoyens ont perdu confiance dans la capacité du pouvoir actuel à sortir le pays de la crise, ou même simplement à améliorer leur situation. »
Malgré cette insatisfaction, la réélection à venir d’Abdel Fattah al-Sissi – qui n’a officiellement pas fait état de ses intentions pour 2024 – ne fait guère de doute au sein de l’opinion, qui raille dans les cafés et sur les réseaux sociaux le casting de candidats inconnus qui se dressent face au président sortant.
Pluralisme de façade
Selon un officiel, instruction a été donnée aux partis favorables au régime de présenter chacun un candidat, afin d’éviter la répétition « du scénario de 2014 et de 2018, avec un seul challenger face au président al-Sissi ». La même source estime que, dans la même logique visant à afficher un pluralisme de façade, « d’autres personnalités vont se déclarer durant les prochains mois ». Les candidats, du moins ceux issus de formations soutenant le pouvoir, sont d’ailleurs très bien traités : sitôt déclarés, ils font l’objet d’articles dans les médias favorables au régime et sont invités dans les talk-shows où ils viennent vanter le bilan du président auquel ils sont supposés s’opposer.
Le seul véritable candidat d’opposition actuellement connu reste donc le dirigeant socialiste Ahmed al-Tantawi. Lorsqu’il est évoqué dans les mêmes talk-shows, c’est en général pour affirmer qu’il est allié aux Frères musulmans. Au début du mois de juillet, plusieurs hôtels de haute Égypte, où il devait se rendre pour une tournée électorale, ont également refusé de l’accueillir.
Le peuple veut un candidat qui parlera librement de la détérioration de ses conditions de vie ces dernières années. Cela, le pouvoir ne l’a toujours pas compris
Autre difficulté : le candidat socialiste ne parvient pas non plus à réunir l’opposition sous son nom. « Nous avons eu des discussions au sein du Mouvement civil Démocratique [l’alliance de partis d’opposition dont Tantawi est le porte-parole, NDLR], explique Elhami El Merghani, le secrétaire général de l’Alliance populaire socialiste. Mais pour l’heure ce que nous voulons c’est obtenir des garanties quant au fait que l’élection sera pluraliste et réellement ouverte, et ne se résumera pas à une espèce de référendum électoral. »
« Actuellement, poursuit-il, nous nous concentrons sur le fait d’obtenir ces garanties, d’être assurés que les médias donneront des chances égales à tous les candidats et que l’appareil administratif adoptera une attitude de neutralité. » Des revendications qui, estime l’universitaire Ammar Ali Hassan, rejoignent celle des électeurs : « Le peuple a bien compris le jeu auquel les autorités sont en train de jouer et veut un candidat qui parlera librement de ses conditions de vie et de la façon dont celles-ci se sont détériorés pendant les dix années de présidence Abdel Fattah al-Sissi. Cela, le pouvoir ne l’a toujours pas compris. »
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