« Animalia », la « Guerre des mondes » façon lutte des classes

Lauréate en 2021 du César du meilleur court-métrage, Sofia Alaoui livre pour ce premier long-métrage, prix spécial du jury au festival du film de Sundance 2023, un cinéma de genre inclassable et ambitieux, qui donne à réfléchir mais qui peine à émouvoir.

Extrait du film « Animalia » (2023). © Ad Vitam Distribution.

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Publié le 10 août 2023 Lecture : 4 minutes.

Animalia de Sofia Alaoui commence comme une comédie sociale. Itto partage un moment d’allégresse en cuisine avec des domestiques. De la musique, de la danse, mais quand la maîtresse de maison arrive, le sérieux reprend ses droits et la jeune femme sa position sociale. Le décor est planté : Itto, enceinte du fils du caïd local, est passée de l’autre côté de la barrière sociale à la suite de son mariage avec Amine. D’origine modeste, elle demeure mal vue par sa belle-mère à cause de cette mésalliance.

Le scénario opère ensuite un virage à 180 degrés et emprunte au road-movie. Itto, pendant que toute sa belle-famille est partie à une réception chez le gouverneur, reste seule dans la grande villa. Le vent de liberté qui la gagne est aussitôt douché par le blocage de toutes les routes du Maroc après un phénomène inexpliqué.

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Impossible pour son mari d’aller vers elle, c’est elle qui doit s’aventurer dans un périple jusqu’à la ville de Khouribga. Trimballée dans un triporteur, la jeune femme est témoin du déchaînement des éléments naturels, du comportement étrange des animaux et devient une proie de la cupidité humaine.

L’explication de l’apparition de ces phénomènes ouvre les portes d’un autre genre, fantastique. Une invasion d’extraterrestres est à l’origine du renversement de l’ordre des choses. Plutôt que de multiplier les effets spéciaux, Sofia Alaoui préfère jouer la simplicité.

Un parti pris naturaliste qu’elle justifie : « Je tenais à ce que le surnaturel arrive avec naturel. Je voulais que tous les éléments fantastiques soient traités de manière extrêmement réaliste pour qu’ils s’imbriquent naturellement à leur environnement (une vraie maison sur un lac, une vraie mosquée de petite ville, de vraies routes de montagne…). Tout ça était important pour avoir un rendu organique et réel. »

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Allégorie politique

Le but de la réalisatrice franco-marocaine n’est pas tant d’impressionner que de faire réfléchir, et Animalia se regarde aussi comme une allégorie politique. Les réactions des uns et des autres questionnent la société : les riches peuvent s’acheter des passe-droits, tandis que les pauvres sont condamnés à subir.

Le monde arabe et les réalisateurs arabes, dont je fais partie, souffrent terriblement des attentes européennes quand il s’agit de la réalisation d’un film

La guerre des mondes existe sous la forme d’une lutte des classes : « La mondialisation, la course aveugle vers le profit ont eu gain de cause sur les projets collectifs. Dans mon film, c’est un facteur très important dans le développement du Maroc, mais aussi pour saisir la pensée de la classe dominante. Ici, la course effrénée à l’argent et au pouvoir mène à une injustice effroyable. La corruption triomphe et tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins. »

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Cette dénonciation de la société des privilèges se situe dans un contexte qui rappelle la pandémie de Covid-19.  On retrouve dans Animalia le confinement, les limitations de déplacement, l’impuissance humaine face à la nature. Une épreuve qui a été révélatrice des inégalités partout dans le monde.

Ainsi, si l’intrigue se situe au Maroc, la portée du film se veut universelle : « Je ne veux pas tomber dans le piège du “c’est un pays musulman, il faut le critiquer à tout prix”. Le monde arabe et les réalisateurs arabes dont je fais partie souffrent terriblement des attentes européennes quand il s’agit de la réalisation d’un film. Je ne tourne pour montrer à l’Europe comment mon pays est vraiment inférieur au leur. Que nous, pauvres Marocains, pauvres femmes, souffrons. Oui, je questionne le patriarcat, je remets en question le rapport à la religion des gens dans mon pays. Mais ce rapport-là vaut pour toutes les religions. Il se trouve que je suis franco-marocaine donc peut-être plus à même de parler de ce qu’il se passe ici. »

Film ovni

La réflexion métaphysique sur le rapport à Dieu est illustrée par une rencontre du troisième type avec des extraterrestres. Itto n’est pas confrontée à un être suprême mais elle communie avec la nature et s’interroge sur ses propres comportements, le reniement de ses origines sociales et les valeurs de son nouveau milieu : « Dans ce récit très ancré dans le réel, mon événement surnaturel provoque un bouleversement dans la société que je dépeins. Je crois profondément que l’homme a la capacité, de par son intelligence et son libre arbitre, de sortir de ces schémas inscrits dans ses gènes, mais également transmis par sa culture. »

Si l’ambition cinématographique est louable, la dramaturgie manque un peu de souffle

Animalia est un film ovni, aussi bien parce qu’il traite d’extraterrestres que par sa façon de s’ouvrir au cinéma de genre. Il rappelle Mad Max de George Miller par son côté road-movie apocalyptique, les films d’épouvante de Jordan Peele pour son allégorie socio-politique, Pas un bruit de Mike Flanagan avec cette femme enceinte confrontée au surnaturel, The Tree of life de Terrence Malick pour le rapport spirituel à la nature, ou encore Le Fils de l’homme d’Alfonso Cuarón, car l’enfant est synonyme d’espoir pour l’humanité.

Si l’ambition cinématographique est louable, la dramaturgie manque un peu de souffle. On est parfois intrigué par l’atmosphère, mais l’on peine à avoir peur pour Itto. La tension pâtit de menaces tangibles, les dangers sont sans conséquences apparentes sur sa survie. Et quand une partie du mystère se lève, ce dernier est représenté par des effets pas toujours convaincants. Le talent évident de Sofia Alaoui bute sur un déficit de moyens pour nous confronter à des émotions fortes. Animalia est certes imparfait, mais son univers décalé et sa quête de sens portent la promesse d’une cinéaste à suivre.

 © Ad Vitam Distribution

© Ad Vitam Distribution

Animalia, de Sofia Alaoui, film fantastique franco-marocain dans les salles françaises à partir du 9 août 2023.

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