Putsch au Niger : tous coupables !
Troisième mandat, échec de la lutte antiterroriste… Les raisons généralement avancées pour justifier les coups d’État ne peuvent être invoquées dans le cas du Niger. Ce qui est en cause, c’est le manque de civisme des militaires, et l’insuffisante fermeté de la Cedeao et de la communauté internationale.
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Arthur Banga
Docteur en relations internationales et en histoire des stratégies militaires. Enseignant-chercheur à l’Université Félix-Houphouët-Boigny, à Abidjan.
Publié le 28 juillet 2023 Lecture : 3 minutes.
C’est avec consternation que nous avons suivi les événements qui ont abouti à la chute, vraisemblable à l’heure où nous écrivons ces lignes, de Mohamed Bazoum. Malheureusement, les énergiques condamnations et les médiations – tant à l’intérieur qu’à extérieur du Niger – n’ont pas entamé la détermination des putschistes, bien décidés à prendre le pouvoir et à se répartir les parts du « gâteau national ». Telle une lame de fond, les coups d’État successifs qui se sont produits au Sahel enfoncent davantage cet espace dans l’abîme du sous-développement, de la mal-gouvernance et de l’autocratie.
Républicains, les militaires ?
Au-delà de ces travers, ils posent la question de la transformation des pouvoirs dans notre sous-région, de l’efficacité de nos instances régionales, du positionnement pour le moins alambiqué de certains de nos intellectuels, et, surtout, du caractère républicain de nos militaires, en particuliers de ceux qui sont chargés des missions les plus spéciales (gardes présidentielle ou républicaine).
Ces interrogations sont d’autant plus pertinentes que les prétextes jusque-là invoqués (troisième mandat, échec dans la lutte contre le terrorisme) pour donner une caution morale à l’ignominie ne peuvent être brandis dans le cas nigérien. L’armée, le sachant, s’est réfugiée derrière le chiffon rouge de la macabre « confrontation meurtrière entre forces » pour décréter la mort de la Constitution et de la République qu’elle est censée défendre coûte que coûte.
Peut-être l’état-major a-t-il préféré les délices du pouvoir aux risques qu’engendrerait la défense de la République ? Peut-être, rivalités au sein de l’armée obligent, a-t-il trouvé-là l’occasion de prendre sa revanche sur une unité spéciale trop choyée, la garde présidentielle, bénéficiaire des largesses gouvernementales ?
Quoi qu’il en soit, le manque de civisme des militaires est vraiment dommageable. Alors qu’on les attend sur le front pour qu’ils mettent en déroute terroristes et autres bandits, ils préfèrent revêtir leur treillis de combat dans les palais feutrés, bien loin de la bataille, et s’y éterniser, à coups de discours populistes et de constitutions taillées sur mesure.
Dès lors, il devient primordial de renforcer la formation civique de nos militaires et – notamment dans les pays encore épargnés par les putschs – de leur rappeler leurs devoirs républicains, d’autant que la communauté internationale, Cedeao en tête, se montre incapable d’empêcher ces coups de force.
La pleutrerie de la Cedeao
De fait, médiations et condamnations ne semblent plus intimider les faiseurs de coups d’État. Les rivalités géopolitiques, les fautes du passé, la pression populiste ont trop souvent raison de la fébrile communauté internationale. Même la Cedeao, qui, jusque-là, obtenait que des civils dirigent les transitions, n’est plus en mesure de le faire. Sa pleutrerie au Mali, où elle n’a pas su être ferme – parce qu’impressionnée par des manifestations et par quelques activistes – face à Assimi Goïta, a ouvert une brèche, que ne cessent d’exploiter les militaires de la sous-région en quête de pouvoir.
Il est temps que l’institution sous-régionale revoie ses mécanismes de prévention de crise ainsi que son arsenal de sanctions pour les rendre plus efficaces et totalement dissuasifs. La Cedeao doit absolument bénéficier du soutien sans faille – pour appliquer des sanctions, voire pour lancer des interventions militaires contre les putschistes – de l’ensemble des institutions panafricaines et internationales.
En plus de la communauté internationale, notre institution, dans sa croisade contre les coups d’État, doit être soutenue par les populations, et principalement par les intellectuels. Hélas, trop souvent, certains d’entre eux se complaisent à appuyer les coups; soit pour des motifs personnels, soit pour mener un prétendu mais tout aussi faux combat pour l’Afrique – il est pour le moins curieux de vouloir construire le panafricanisme sur des coups d’État –, soit, pis encore, pour « défendre la liberté ». Cette incohérence prospère en partie parce que la culture démocratique n’est pas suffisamment enracinée au sein de nos populations.
Il faut agir, sensibiliser, former les Africains à prendre conscience des enjeux, à avoir un esprit critique et une volonté d’initiative. Cela passe par l’éducation, par la diffusion d’informations via des discussions, des conférences, des reportages et toute autre forme de partage des connaissances. L’éveil des consciences reste en effet la meilleure arme contre l’obscurantisme et les coups d’État. C’est un travail méthodique et de longue haleine, qui doit nous motiver si nous ne voulons pas voir l’Afrique de l’Ouest sombrer.
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