Projet de Constitution en Centrafrique, la démocratie menacée
Les Centrafricains sont appelés à se prononcer ce 30 juillet, par référendum, sur une nouvelle Constitution, le texte actuel comportant, selon les autorités de Bangui, « des dispositions qui pourraient compromettre le développement ». Pour Lewis Mudge, de Human Rights Watch, il s’agit juste d’une manœuvre permettant au président Faustin-Archange Touadéra de se maintenir au pouvoir.
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Lewis Mudge
Directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch
Publié le 29 juillet 2023 Lecture : 4 minutes.
Les citoyens de la République centrafricaine se rendront aux urnes le 30 juillet pour se prononcer sur une nouvelle Constitution. Les changements proposés permettraient, entre autres, de remettre à zéro le compteur des deux mandats que le président Faustin-Archange Touadéra a déjà exercés, l’autorisant ainsi à briguer, en 2025, un troisième mandat de sept ans.
De plus, le projet de Constitution ne mentionne pas de limitation du nombre de mandats présidentiels, un changement radical par rapport à la Constitution de 2016 qui fixe leur durée à cinq ans, renouvelable une fois. Cela signifie que si une majorité de Centrafricains soutient la nouvelle Constitution, et si Faustin-Archange Touadéra décide de se présenter à nouveau, il pourrait prolonger son règne indéfiniment.
Douloureux souvenirs
Le « oui » l’emportera probablement lors de ce référendum. Au cours de l’année écoulée, le président et les membres de son parti, le Mouvement des cœurs unis (MCU), ont affirmé agir selon la « volonté du peuple ». Ils ne disposent toutefois que de peu de preuves pour étayer cette assertion, au-delà des marches organisées par des associations affiliées au MCU, auxquelles au moins quelques jeunes hommes ont été payés pour participer. Il n’y a pas eu de véritables consultations nationales avec une large participation. Le 30 mai, Touadéra a annoncé que le référendum se tiendrait le 30 juillet.
Mais le projet de Constitution, qui contient les modifications proposées, n’a été rendu public que le 10 juillet, un délai insuffisant pour que les Centrafricains puissent prendre connaissance de l’étendue des changements constitutionnels, et encore moins comprendre et discuter de leur incidence. Outre de permettre à un président de se présenter pour une durée indéterminée, le projet crée également le poste de vice-président, qui ne serait pas élu mais nommé par le président, soulevant d’autres préoccupations.
Plus fondamentalement, la Constitution proposée s’attèle à définir ce qui constitue un citoyen centrafricain, en précisant spécifiquement qu’un citoyen véritable – et donc une personne habilitée à se présenter à la présidence – doit être né de deux parents centrafricains. Cela ravive les douloureux souvenirs des milices anti-balaka qui prenaient pour cible les musulmans en raison de leurs liens présumés avec les rebelles de la Séléka. Beaucoup de personnes ont été tuées parce qu’elles étaient perçues comme étant des étrangers. La question cruciale de savoir qui est centrafricain et qui est étranger, susceptible d’alimenter un nouveau cycle de répressions et de violences, devrait être abordée dans le cadre d’un débat public constructif, et non d’un référendum organisé à la hâte.
Une Cour constitutionnelle aux ordres ?
S’écartant radicalement de la Constitution actuelle, le projet de texte vise également à transformer l’actuelle Cour constitutionnelle – la plus haute juridiction du pays chargée des litiges électoraux et d’autres questions constitutionnelles – en un Conseil constitutionnel dont les 11 membres seront sélectionnés de manière différente à l’avenir. La Cour actuelle compte neuf membres, l’un d’eux choisi par le président et un autre, par le président de l’Assemblée nationale. Les sept autres membres ont été choisis de façon collégiale par des juges, des professeurs de droit et des avocats. Selon le nouveau projet de Constitution, le président du pays et celui de l’Assemblée nationale pourront chacun sélectionner trois membres.
L’actuel président de l’Assemblée nationale, Simplice Sarandji, est un proche de longue date du président Touadéra, dont il a été le directeur de campagne en 2016 avant d’être nommé Premier ministre. Cela signifie que le chef de l’État et le président de l’Assemblée nationale pourraient pourvoir une majorité des sièges du conseil avec des individus qui leur sont loyaux, compromettant ainsi l’indépendance du pouvoir judiciaire.
L’actuelle Cour constitutionnelle continue elle aussi de souffrir d’une crise de légitimité après que Faustin-Archange Touadéra a destitué sa présidente en octobre dernier, à la suite de la décision de la juridiction de déclarer inconstitutionnel un comité technique créé par le président et son parti pour proposer des modifications constitutionnelles. L’ancienne présidente de la Cour, Danièle Darlan, a déclaré que des fonctionnaires de l’ambassade russe lui avaient rendu visite alors qu’elle était encore présidente du tribunal, et lui ont demandé conseil sur la manière de modifier la Constitution afin de permettre à Faustin-Archange Touadéra de se maintenir au pouvoir. Elle a finalement refusé de soutenir ce plan, et a été limogée.
Régime autoritaire
Depuis que le magistrat récemment nommé à la tête de la Cour constitutionnelle a déclaré que le projet présidentiel d’un référendum constitutionnel était légal, le gouvernement a organisé la répression d’associations de la société civile, des médias et des partis politiques d’opposition qui critiquent la tenue du référendum. le président Touadéra lui-même a mené cette attaque contre les opposants, déclarant que les dirigeants de la coalition de l’opposition sont proches des groupes rebelles et font partie d’une organisation criminelle.
En 2013, les rebelles de la Séléka ont pris le pouvoir en République centrafricaine après avoir déclenché une vague de violence. Pourtant, cette violence a été suivie d’un réel optimisme quant à la possibilité pour le pays de tourner la page. Le Forum de Bangui de 2015 a donné lieu aux premières véritables consultations nationales, qui ont mis l’accent sur deux principes clés : mettre un terme à l’impunité et instaurer le pluralisme dans la vie politique centrafricaine.
En 2016, Faustin Touadéra a lui-même remporté une élection largement considérée comme libre et équitable, un exploit dans un pays qui voit habituellement le pouvoir changer de mains sous la menace des armes. Et malgré certains revers, des progrès ont été réalisés pour tenir les auteurs de crimes graves responsables de leurs actes. Sept ans plus tard, alors que les tensions politiques s’intensifient, la République centrafricaine risque de basculer, une fois de plus, dans un régime autoritaire.
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