Pierre Moussa : « Il faut passer de la Cemac des États à la Cemac des peuples »

L’intégration régionale de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale avance difficilement. À la tête de l’institution depuis un an, le Congolais Pierre Moussa souligne néanmoins les progrès accomplis.

Pierre Moussa préside la Commission de la Cemac depuis septembre 2012. © Vincent Founier/JA

Pierre Moussa préside la Commission de la Cemac depuis septembre 2012. © Vincent Founier/JA

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 20 novembre 2013 Lecture : 5 minutes.

Si l’intégration régionale semble être en marche dans de nombreuses zones au sud du Sahara, elle peine toujours à se concrétiser en Afrique centrale. Pourtant, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) dispose déjà de tous les instruments juridiques nécessaires. « Mais il faut maintenant appliquer les textes », a souligné Donald Kaberuka, le président de la Banque africaine de développement (BAD), en marge de la 8e Conférence économique africaine, organisée du 28 au 30 octobre à Johannesburg et dont le thème était l’intégration régionale sur le continent.

« La communauté semble encore en être à la première étape, attendant de voir confirmée la pertinence de poursuivre le processus », a ajouté Mthuli Ncube, économiste en chef de la BAD. Le Congolais Pierre Moussa, qui a succédé officiellement à Antoine Ntsimi à la présidence de la Commission de la Cemac le 5 septembre 2012 pour un mandat unique de cinq ans, revient pour Jeune Afrique sur cet épineux dossier dans une zone où même l’intégration monétaire n’a pas permis d’amorcer la convergence entre des économies qui restent très hétérogènes.

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Jeune afrique : Pourquoi le processus d’intégration peine-t-il à avancer dans la zone Cemac ?

Pierre Moussa : Il a en réalité fait des progrès, mais à un rythme encore insuffisant. Nous sommes passés progressivement d’une zone de libre-échange à une union douanière avec un tarif extérieur commun. L’étape du marché commun se caractérisera par la libre circulation des biens et des capitaux d’une part et par celle des personnes d’autre part.

La Commission a renoncé à imposer un délai pour la création d’un passeport Cemac

Peut-on vraiment parler de marché commun alors que les marchandises peinent à circuler librement dans la zone ?

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Cette libre circulation des biens a déjà cours, puisqu’il n’y a pas, en principe, de barrière tarifaire à l’intérieur de la zone. Mais on constate quelques infractions à cette règle de temps en temps. Le prochain sommet des chefs d’État concernés, prévu en décembre, verra inscrit à son ordre du jour un dossier sur l’amélioration de l’union douanière et sur le perfectionnement de la libre circulation des biens.

La Gabon et la Guinée équatoriale ont décidé de supprimer le visa pour les ressortissants des autres pays de la zone [Cameroun, Centrafrique, Congo et Tchad]. Cette décision sera-t-elle vraiment effective en janvier ?

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À partir de janvier, les ressortissants de la Cemac ne devraient pas rencontrer de problème de visa en circulant dans les territoires du Gabon et de la Guinée équatoriale. Mais la suppression ne concerne que les séjours de trois mois. Pour les durées plus longues, nous travaillons sur les dispositions à prendre.

Où en est le projet de passeport communautaire ?

Le Cameroun et le Congo produisent déjà le passeport Cemac, les autres vont suivre. Nous avons renoncé à l’idée d’imposer un délai, estimant que chacun devait progresser à son rythme, mais nous exhortons les pays à produire ce passeport, et tous y travaillent. Ce document peut contribuer à créer une forme d’identité commune. Pour passer de la Cemac des États à la Cemac des peuples.

Autre projet renvoyé aux calendes grecques, le lancement d’Air Cemac. Cette compagnie n’existe que sur le papier…

On ne peut pas dire cela, car beaucoup d’actions ont été accomplies. Les premières fractions du capital ont été réunies [plusieurs dizaines de milliards de F CFA], et les organes sociaux de la compagnie ont vu le jour. Un siège a été construit à Brazzaville. Air France, le partenaire technique, discute actuellement avec les ministres chargés de l’aviation civile de la zone Cemac. Il faut se mettre d’accord sur une plateforme commune parce que, au départ, les exigences des uns et des autres sont assez éloignées.

C’est-à-dire ?

Les chefs d’État se sont dits favorables à Air Cemac, mais sans monopole. Air France, certainement soucieux de la viabilité de la nouvelle compagnie, désirait sinon l’exclusivité, du moins une place prépondérante sur le marché aérien de la sous-région. Par ailleurs, les autorités d’Air Cemac souhaitent que la société française prenne une part de capital.

Pour en savoir plus sur la zone Cemac : 

Pierre Moussa : « Pourquoi nous devons rester à Bangui »
Théodore Ejangue : « Nous voulons une intégration des places financières d’Afrique centrale »
Le projet Air Cemac relancé ?
Siat Gabon victime de la guerre des Bourses de Douala et Libreville

Sur l’intégration régionale en Afrique :

Intégration : l’Afrique de l’Ouest franchit une étape décisive
Conférence économique africaine : l’Afrique doit cesser d’être fragmentée en 54 marchés
L’intégration juridique au service de l’émergence du continent africain
Beac et BCEAO : retour vers la convertibilité du franc CFA

La Cemac a adopté il y a trois ans un programme économique régional censé conduire à l’émergence de la zone en 2025. Est-ce réalisable ?

Il ne faut pas fétichiser les dates. Ce qui est important, c’est la force de l’élan que l’on prend. Pour atteindre l’émergence, il faut des taux de croissance élevés, parfois même à deux chiffres, pendant une période assez longue, de quinze à trente ans. De tels taux entraînent des transformations importantes dans la structure même du PIB, du commerce extérieur, et des exportations, pour inclure davantage de produits industriels – et non plus des produits bruts uniquement.

On en est encore bien loin dans une zone où la croissance est portée notamment par le pétrole et les mines…

Le taux de croissance dans la zone n’est pas négligeable, à 5 % par an en moyenne. Depuis un certain temps, le secteur hors pétrole croît vite, parfois plus vite que le secteur pétrolier.

Que comptez-vous faire pour mettre fin à la rivalité entre les deux places financières (Douala et Libreville) de la sous-région ?

L’idéal serait d’unifier ces deux marchés. Selon certaines pistes, explorées notamment par la BAD, l’une des deux pourrait devenir un pôle de régulation, l’autre une plateforme boursière. Mais la décision reviendra aux chefs d’État.

Vous avez succédé à Antoine Ntsimi dans des conditions difficiles. Avez-vous commandé un audit de la gouvernance de votre prédécesseur ?

Nous avons créé un département d’audit interne. Dans le cadre du projet d’audit de la gouvernance des institutions de la communauté, nous venons de lancer un appel d’offres international. La short list est arrêtée. Nous repartirons sur de nouvelles bases.

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