Le Niger, ou l’institutionnalisation de la félonie
Le putsch qui a renversé le président Bazoum signe l’échec des coopérations militaires occidentales au Sahel et met en lumière les difficultés auxquelles se heurtent les présidents africains désireux de réformer leur appareil sécuritaire.
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Marc-Antoine Pérouse de Montclos
Chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), spécialiste des conflits armés en Afrique
Publié le 1 août 2023 Lecture : 4 minutes.
Peut-on faire confiance aux militaires au Sahel ? À l’évidence, la réponse est non si l’on en juge par le récent coup de force au Niger. C’est en effet le commandant de la garde présidentielle qui a organisé la mutinerie puis a rallié les autres chefs de l’armée pour renverser le pouvoir.
Nommé en 2011, le général Abdourahamane Tiani semblait pourtant loyal. En 2021, il avait fait échouer un coup d’État contre le président Mohamed Bazoum, alors tout juste élu. De plus, ses quelque 700 hommes avaient toutes les raisons d’être fidèles au régime. Et pour cause : ils étaient mieux payés et mieux équipés que les soldats de l’armée régulière, privilèges qui n’étaient d’ailleurs pas sans susciter des tensions entre les forces de défense.
Ce traitement de faveur s’explique facilement. Comme son nom l’indique, la garde présidentielle avait une tâche bien précise : protéger le président. La félonie de son commandant n’en paraît que plus criante. À la suite de récents remaniements au sein de l’état-major, le général Abdourahamane Tiani se doutait bien qu’il était sur la sellette. La perspective de son départ n’a donc pas été pour rien dans son « mouvement d’humeur ». En effet, le président Mohamed Bazoum avait la ferme intention de réformer l’ensemble de l’appareil sécuritaire du pays afin, tout à la fois, d’améliorer l’efficacité des forces de défense, de combattre la corruption… et de s’affranchir de la tutelle de son prédécesseur, Mahamadou Issoufou.
Pauvre en ressources, riche en coups d’État
Le coup de force d’Abdourahamane Tiani est riche d’enseignements à cet égard. D’abord, il signale l’échec de coopérations militaires occidentales qui servent en réalité bien plus à former et à équiper des putschistes qu’à lutter efficacement contre les groupes jihadistes au Sahel. En outre, il met en évidence toutes les difficultés que rencontrent les présidents africains – qu’ils soient élus ou non – dès qu’ils envisagent de réformer leur appareil sécuritaire, avec tous les risques de mutinerie et de putsch que cela comporte.
Pauvre en ressources naturelles et riche en coups d’État, le Niger en est un parfait exemple. Dès le lendemain de l’indépendance, le président Hamani Diori s’était ainsi méfié de sa propre armée. À la suite d’un putsch réussi au Dahomey (actuel Bénin) à la fin de 1963, en particulier, il avait pris soin de limiter les effectifs et la logistique des militaires nigériens – à l’inverse de la politique de recrutement que mènera par la suite Mohamed Bazoum pour lutter contre la menace jihadiste. Pendant un temps, Diori avait même gelé les promotions au sein de l’armée, jusqu’au grade de colonel, afin de restreindre le budget de la défense et de contenir les rivalités entre officiers supérieurs.
En vue de se protéger d’un éventuel putsch, il avait également autorisé le maintien, à Niamey, d’un contingent militaire français qui, espérait-il, pourrait le cas échéant lui servir d’ « assurance-vie ». Le moment venu, il lui fit pourtant défaut, comme il a manqué à Bazoum aujourd’hui.
En 1964, Diori avait par ailleurs monté une milice, formée en Israël, parée d’uniformes et recrutée dans la jeunesse du parti unique afin d’aller combattre la rébellion maoïste des Sawaba. Au début de 1974, enfin, et toujours pour faire contrepoids à l’armée régulière, il avait signé un traité de défense et de sécurité avec la Libye.
Mais ces dispositions allaient bientôt se retourner contre Hamani Diori. Ressenties comme une atteinte à la souveraineté nationale et comme un défi à l’intégrité de l’armée, elles ont en partie motivé le coup d’État qui, en 1974, a abouti à l’instauration de la première dictature militaire du pays, sous la férule de Seyni Kountché. Á l’époque, le régime civil du Niger était l’un des derniers du genre, et faisait un peu figure d’exception. Les généraux étaient au pouvoir presque partout ailleurs au Sahel.
Rivalités de pouvoir
Pour autant, ces dictateurs militaires n’étaient pas moins menacés par le risque de putsch. Au Mali, par exemple, Moussa Traoré, qui avait renversé le président Modibo Keïta en 1968, se méfiait beaucoup de ses congénères en uniforme. Afin de conforter son pouvoir au sein de la junte, il s’était donc entouré de « bérets rouges », qui, à partir de 1970, ne devaient répondre qu’à ses ordres pour contrebalancer l’influence des « bérets verts » du 33e Régiment de commandos parachutistes, une unité d’élite créée en 1961.
On connaît la suite. Lui-même issu des « bérets verts », Moussa Traoré fut renversé, en 1991, par un ancien commandant des « bérets rouges », Amadou Toumani Touré. Revenu à la vie civile et élu une première fois en 2002, celui-ci est tombé à son tour, en 2012, victime d’une mutinerie conduite par le capitaine Amadou Sanogo, alors qu’il achevait son second et dernier mandat. Quant au colonel Assimi Goïta, il est arrivé au pouvoir en 2021 en étant à la tête du Bataillon autonome des forces spéciales, une unité créée en 2018 afin, entre autres, de contribuer à la protection… des autorités civiles !
Aujourd’hui, le Niger rejoint donc la longue cohorte des pays sahéliens gouvernés par des militaires, de la Guinée au Soudan en passant par le Mali, le Burkina Faso et le Tchad. Le putsch de Tiani confirme ainsi que le factionnalisme et les rivalités de pouvoir au sein des armées constituent un facteur de déstabilisation tout aussi – voire plus – important que la menace jihadiste. Reste à savoir si le Niger connaîtra la lente descente aux enfers du Mali. Tiani ne fait pas l’unanimité au sein des forces de défense et de sécurité. Lui aussi aura tout à craindre de la trahison et du coup d’État : un retour à l’envoyeur, en quelque sorte.
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