Entre le Maroc et l’Espagne, le grain de sable du Sahara ?
Arrivée en tête lors des législatives du 23 juillet, la droite espagnole se cherche des alliés pour gouverner, sous le regard attentif de Rabat. En jeu : le soutien au plan d’autonomie que le Maroc a présenté pour résoudre le conflit du Sahara occidental.
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Amr Abbadi
Analyste, chercheur en sciences politiques à l’université d’Orléans.
Publié le 3 août 2023 Lecture : 4 minutes.
En Espagne, les élections législatives du 23 juillet ont révélé l’instabilité du paysage politique. Alors que ni le Parti populaire (PP, droite) ni le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) n’ont obtenu la majorité absolue, le pouvoir est suspendu à des alliances incertaines et à des compromis fragiles. La percée du parti Vox (extrême droite) rajoute aux craintes que l’on peut légitimement nourrir pour l’équilibre du pays.
Dans ce tourbillon politique, les relations de l’Espagne avec le Maroc se retrouvent sur le devant de la scène, et fortement menacées. Désormais confronté à un PP renforcé, Rabat devra naviguer avec prudence pour éviter d’entrer dans une danse politique chaotique avec Vox – formation qui pourrait peser de manière déterminante sur l’avenir de la politique étrangère espagnole.
En effet, avant que le gouvernement du socialiste Pedro Sánchez n’exprime son soutien au plan d’autonomie marocain, l’Espagne avait toujours défendu l’idée d’une solution onusienne impliquant un référendum d’autodétermination pour le peuple sahraoui. Le PP, pour qui le conflit du Sahara occidental est une question de décolonisation inachevée, plaide en faveur d’un retour à cette neutralité traditionnelle et souhaite, parallèlement, renouer avec l’Algérie.
Eux aussi très critiques à l’égard de la décision de Pedro Sánchez, les conservateurs de Vox adoptent une position carrément hostile envers le Maroc. Pour eux, le Sahara occidental demeure une ancienne colonie espagnole, aussi rejettent-ils farouchement toute reconnaissance de souveraineté marocaine sur ce territoire. Autant de divergences qui risquent de créer de fortes tensions politiques en Espagne.
Israël dans la danse
Cette partition diplomatique se complique encore depuis qu’Israël a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Cette décision, qui renforce la position régionale du royaume chérifien, risque en effet de raviver les tensions entre Rabat et Madrid, notamment en raison de la responsabilité historique de l’Espagne dans la région. La position d’Israël pourrait être perçue comme une ingérence extérieure dans une question territoriale sensible.
Autre motif d’inquiétude pour l’Espagne : le Maroc a renforcé sa coopération militaire avec l’État hébreu et lui a acheté des armements. La portée de ces armes constitue, selon une certaine classe politique espagnole, une menace potentielle pour le sud de l’Espagne, en cas de conflit. À cela s’ajoute le dossier Pegasus – un logiciel grâce auquel le Maroc aurait espionné des ministres espagnols. L’absence de coopération d’Israël dans cette affaire a été perçue par l’Espagne comme un manque de respect pour sa souveraineté.
Dans ce contexte délicat, l’Espagne ne peut faire fi du soutien résolu qu’elle a apporté au plan d’autonomie présenté par le Maroc pour résoudre le conflit du Sahara occidental. Ce choix politique témoigne de l’engagement de Madrid à renforcer ses liens avec son voisin méridional. Il révèle aussi une convergence d’intérêts entre les deux nations, désireuses de parvenir à une résolution pacifique et durable de ce conflit.
Mais, comme dans tout ballet politique, les pas doivent être ajustés avec précision. L’avenir des relations bilatérales dépendra du sens de l’équilibre et de la maîtrise des gestes des deux partenaires. Le résultat des élections espagnoles rappelle à quel point la stabilité politique de l’Espagne est cruciale pour la poursuite d’une collaboration fructueuse entre Madrid et Rabat. Ces enjeux, étroitement liés aux dynamiques régionales et internationales, sont trop graves pour que l’on se permette le moindre faux-pas.
Suspense palpitant
La reconnaissance par Israël de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ajoute une touche d’harmonie à ce tableau mais, peut, aussi, générer une nouvelle dissonance. Les relations maroco-espagnoles sont en effet à un tournant critique. Le Maroc doit donc agir avec circonspection s’il veut tout à la fois affirmer son ambition régionale et préserver des relations privilégiées avec Madrid, essentielles à la prospérité de la région.
Bien que les relations entre l’Espagne et le Maroc soient de nature bilatérale, la question du Sahara occidental, sujet complexe et délicat, a des implications régionales et internationales plus larges. En cas de litige, l’Union européenne (UE), en tant qu’institution supranationale, pourrait jouer les chefs d’orchestre. Autrement dit, tenir le rôle clé de médiateur en facilitant le dialogue entre le Maroc et l’Espagne. En tant que force européenne unificatrice, l’UE a la capacité de diriger ces négociations délicates et de faciliter la signature d’accords visant à assurer la stabilité régionale et à consolider le partenariat, vital, entre le Maroc et l’Espagne.
Les élections espagnoles de juillet 2023 et la reconnaissance éclatante du Sahara occidental débouchent sur un suspense palpitant, où l’équilibre des relations maroco-espagnoles paraît précaire. L’Espagne et le Maroc doivent s’accorder, conscients que leur pas de deux sera déterminant pour l’avenir de leur partenariat comme pour la stabilité de la région. Ainsi, leur candidature commune pour l’organisation de la Coupe du monde 2030 leur offre-t-elle une occasion exceptionnelle de renforcer leur coopération. Cet événement sportif majeur pourrait servir de catalyseur à un dialogue constructif, à la recherche de solutions mutuellement avantageuses et à la consolidation de leur partenariat. La route est escarpée et longue, mais les bénéfices à en tirer sont immenses.
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