La Mauritanie, le pays où tous les coups ne sont plus permis
Si le président nigérien Mohamed Bazoum, renversé par un putsch, n’était pas rétabli dans ses fonctions, la Mauritanie deviendrait le seul membre du G5 Sahel à ne pas vivre sous un régime de transition. Une exception de plus pour ce pays, dont on ne salue pas assez les progrès.
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Jemal Taleb
Avocat au Barreau de Paris, associé au cabinet Diamantis & Partners, vice-président du Centre de réflexion sur le Sahel.
Publié le 5 août 2023 Lecture : 6 minutes.
Il y a une quinzaine d’années, l’écrivain Gaston Kelman publiait un livre à portée prémonitoire sur la Mauritanie : Les Hirondelles du printemps africain. Il y décrivait le processus démocratique mis en place par le regretté Ely Ould Mohamed Vall, qui avait assuré la transition après le coup d’État de 2005 contre le président Maaouiya Ould Sid Ahmed Taya. L’écrivain avait rencontré le chef de la transition. De cette rencontre était né ce livre, qui affirmait que la Mauritanie était l’hirondelle qui annoncerait le printemps africain des transitions douces, de la bonne gouvernance, du développement économique et social.
Le destin est primesautier. Peu de temps après la parution du livre de Kelman, le président Mohamed Ould Abdelaziz orchestrait un nouveau putsch, renversant le président démocratiquement élu. L’on a alors bien ri des dons « prophétiques » de Gaston Kelman, qui n’en démordait cependant pas. Aujourd’hui, je pense que l’on est obligé de lui donner raison sur toute la ligne.
Exemple à suivre
Cela n’empêche nullement quelques crypto-révolutionnaires et certains détracteurs de la Mauritanie (parfois dans le pays-même) de ne trouver à cet État qu’un seul centre d’intérêt : « l’esclavage », auquel de méchants « Blancs » ont contraint de pauvres « Noirs ». Je ne veux pas ici minimiser la pratique de cette barbarie ni le fait qu’elle fut une réalité. Mais l’on ne souligne pas suffisamment le travail qu’ont accompli, depuis une vingtaine d’années, les gouvernements successifs, les militants anti-esclavagistes et la société mauritanienne dans son ensemble.
Pourtant, n’importe quel observateur impartial pourrait reconnaître que, dans la lutte contre les séquelles de ce fléau dont toute l’Afrique a été le cadre, la Mauritanie, qui a mis en place des mécanismes de lutte contre l’esclavage et s’est dotée d’un solide arsenal juridique, est encore, et de loin, un exemple à suivre. Aucun autre pays africain – et personne n’en parle – n’a encore criminalisé cette « tradition ».
Tout cela m’est revenu en mémoire au moment du coup d’État au Niger, et à l’occasion d’une discussion avec une amie. Je me suis alors dit, sans aucun cynisme mais, plutôt, avec une grande amertume : « Et de quatre ! » Quatre comme les pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger, Tchad), qui, en moins de cinq ans, ont connu des transitions politiques tumultueuses. Et, là encore, personne ne souligne l’exception mauritanienne.
Histoires apocalyptiques
Si ce type d’analyse découlait de l’adage selon lequel on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure, on s’en réjouirait, bien entendu. Hélas, on est plutôt dans la logique selon laquelle en Afrique, il ne faut s’attendre qu’au pire, qu’il ne faut conter que des histoires apocalyptiques, ne parler que de misère, de mauvaise gouvernance, de détournements de fonds publics. Pour la Mauritanie en particulier, la même logique prévaut. Les journalistes et certains commentateurs préfèrent les raccourcis et se contentent de jeter sur ce pays un regard tantôt paresseux tantôt méprisant. Et l’on ne se prive pas de punir éternellement la Mauritanie en lui reprochant le coup d’État de 2008 contre Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
On rappelle constamment que le Sénégal est un pays démocratique même si le pouvoir est accusé de réprimer des manifestations de manière violente et meurtrière. Le Niger a fait une belle transition, et peu importent les conditions de l’élection de Mohamed Bazoum. Mais qui va rappeler que le président Ghazouani a été démocratiquement élu, lors d’un scrutin ouvert à tous, et que sa victoire a été reconnue par tous ses concurrents ? Personne. On continuera à dire que la Mauritanie est un pays de coups d’État, même si elle possède l’une des plus vieilles oppositions du continent et qu’elle a été la première à institutionnaliser la fonction de chef de l’opposition. Pourtant, elle se maintient mieux que ses voisins, et elle défend ses frontières avec un calme et une sérénité à toute épreuve. Elle a été parmi les premiers pays de la région à condamner le putsch au Niger.
« Haine de soi postcoloniale »
Les Africains eux-mêmes, pris dans l’étau de la « haine de soi postcoloniale », sont les premiers à ne pouvoir dire que du mal de leur continent. « On avait fourré dans sa pauvre cervelle qu’une fatalité pesait sur lui… Qu’il n’avait pas puissance sur son propre destin », écrivait Aimé Césaire. Ne dit-on pas : « Si vous voulez entendre dire du mal de l’Afrique, tendez le micro à un Africain » ? Et que dire de ces nouveaux missionnaires porteurs de civilisation que sont les ONG, qui ont tracé une fois pour toutes une ligne de démarcation entre le bien et le mal, et assigné à la Mauritanie une place au bout de l’enfer, sans espoir de rédemption.
Et de quatre hélas ! Pendant ce temps, l’hirondelle du printemps africain vole, prend de l’altitude, et se transforme en aigle puissant. La Mauritanie devient le modèle des transitions douces, même si, quand on cite des exemples, on parle du Sénégal, du Nigeria, voire du Niger, et jamais d’elle. Quand on parle d’une centrale solaire, on cite le Burkina. Jamais la Mauritanie. Pourtant, celle-ci n’a pas recours aux mercenaires de Wagner comme certains de ses voisins et elle se défend seule contre le terrorisme. Par ailleurs, on ne la suspecte pas d’être la chasse gardée d’une puissance étrangère comme on le fait pour le Tchad, et comme on le faisait, hier encore, pour le Niger.
La Mauritanie ne négocie pas d’alliances de circonstance. Elle construit une politique à long terme, dont le seul cap est son développement, sur lequel elle veut exercer une souveraineté pleine et entière. Nombre d’États voisins naviguent d’un bloc à un autre, au rythme de leurs déceptions et de leurs désamours. La Mauritanie, elle, noue des alliances gagnant-gagnant. Quel militant rappellera qu’elle a dénoncé, en 1973, les accords de défense qui la liaient à la France, nationalisé ses mines et obtenu sa sortie du franc CFA ? Même les adversaires de cette monnaie se gardent de le rappeler.
La presse internationale ne semble pas davantage percevoir cette exception. Elle préfère généralement attendre que le premier venu se plaigne d’être victime des « injustices mauritaniennes ». Alors, on ressort une rengaine qui dort dans les tiroirs de toutes les rédactions, ou bien on publie un reportage sur une tradition folklorique aujourd’hui heureusement disparue – celle d’un régime alimentaire auquel certaines femmes se livraient pour répondre aux canons de beauté locaux. D’aucuns qualifient abusivement ce régime de « gavage », un terme inapproprié et qui ne correspond pas à la réalité.
Fierté maladive
La signature d’un accord entre le Collège de défense du G5 Sahel et l’Otan, le 23 juin dernier à Nouakchott, a fait moins de bruit que ne l’aurait fait une annonce, insipide et réchauffée, d’une ONG en quête de sensationnel. Les Mauritaniens en sont entièrement responsables, je l’admets, car ils ne savent pas communiquer. La Mauritanie est un pays très fier, ce qui fait sa force et, parfois, sa fragilité. Parce qu’elle est fière, elle ne s’est jamais plaint des ingérences étrangères à l’époque où les alternances politiques étaient systématiquement rythmées par des putschs.
Malheureusement, et toujours à cause de cette fierté maladive, elle a longtemps fait le dos rond en attendant que la bourrasque passe au lieu de dénoncer le zèle déstabilisateur des ONG et leurs croisades relayées par une certaine presse. Elle n’a pas toujours compris que certains zélotes aiment vaincre sans péril et que les laisser parler, loin de réfréner leurs ardeurs, leur donnait des ailes.
La situation, pourtant, s’apaise. Car, qu’on le veuille ou non, la Mauritanie impose une image de paix et de développement. Ceux qui redécouvrent le pays après avoir passé des années sans y venir, n’en croient pas leurs yeux. Il s’est doté d’infrastructures et ne subit que de rares coupures d’électricité. Les routes sont à peu près correctes, l’aéroport est flambant neuf, les avenues sont baignées de lumière. C’est à cela que ressemble la Mauritanie, en 2023. On a le devoir de la regarder telle qu’elle est, et de reconnaître sa singularité. Ce ne serait que lui rendre justice.
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