Kel Assouf : « Au Niger, le rejet de la Cedeao et de la France risque d’être total »

Anana Aboubacar Harouna, leader du groupe touareg nigérien, revient sur le coup d’État contre le président Bazoum. Alors que les sanctions ordonnées par la Cedeao sont d’une sévérité historique, il se dit inquiet pour la population.

Anana Aboubacar Harouna est le leader de Kel Assouf, groupe touareg nigérien fondé en 2006. © MONTAGE JA : Moni Wespi

eva sauphie

Publié le 5 août 2023 Lecture : 3 minutes.

L’ACTU VUE PAR – Natif d’Agadez installé en Belgique depuis quelques années, Anana Aboubacar Harouna distille son blues du désert contestataire depuis 2006. C’est au sein de la formation Kel Assouf, née dans le sillage des groupes touareg comme Tinawiren, qu’il raconte son Niger natal, où sa famille vit encore. En juin dernier, le guitariste était lui-même en visite à Niamey et observait déjà les balbutiements d’un mouvement pro-putschistes. Entretien.

Jeune Afrique : Après le Mali, le Burkina et la Guinée, le Niger est le quatrième pays à connaître un coup d’État depuis 2020. Êtes-vous inquiet pour votre pays ?

la suite après cette publicité

Anana Aboubacar Harouna : Le Niger est un pays extrêmement fragile, et les sanctions très lourdes imposées par la Cedeao fragilisent encore plus les populations. Aucun pays africain ayant connu un coup d’État, comme récemment le Mali ou le Burkina, n’a été sanctionné aussi lourdement. Cela m’inquiète beaucoup. Les gens vont être animés par la haine envers la Cedeao et la communauté internationale, et la France en particulier. Le rejet des populations risque d’être total. Et je trouve cela dommage.

On a constaté ce rejet lors du rassemblement pro-junte qui s’est tenu le 3 août à Niamey, au rythme de slogans anti-français. Un sentiment qui ne prévalait pas avant le putsch. Comment expliquez-vous ce revirement ?

Avec le régime de Bazoum hérité de celui de Mahamadou Issoufou, les populations étaient déjà fatiguées de la politique française. Ce sentiment se développe de plus en plus en Afrique de l’Ouest. Le problème du continent, c’est le développement. Les populations savent qu’elles ont des ressources qui sont exploitées pour développer d’autres pays et enrichir certains dirigeants africains, majoritairement corrompus.

Depuis soixante-trois ans, les partenariats entre la France et l’Afrique n’ont pas porté leurs fruits. La jeunesse africaine souhaite le même droit au confort qu’un jeune vivant en Europe, ou partout ailleurs dans un pays développé. Elle attend des partenariats d’égal à égal. Grâce aux réseaux sociaux, elle sait que ça peut se faire avec d’autres puissances.

Les populations n’ont pas vu l’utilité de la présence de Bazoum au pouvoir

la suite après cette publicité

Mais je pense qu’il faut laisser les Nigériens résoudre leurs problèmes. Je suis pour une jeunesse nigérienne responsable, qui ne compte que sur elle-même. L’Afrique a cette tradition de sortir des situations de crise grâce aux chefs traditionnels et aux médiations.

la suite après cette publicité

Le chef de l’État tchadien, Mahamat Idriss Déby Itno, était en déplacement à Niamey fin juillet pour une médiation. Quel regard portez-vous sur ce choix ?

Cette médiation a été mal perçue par les populations. Comment voulez-vous rétablir l’intégrité des institutions démocratiques en envoyant un président qui est également arrivé au pouvoir en dehors des voies constitutionnelles ? Cela n’a pas de sens. Il aurait fallu envoyer quelqu’un qui a été élu démocratiquement, ou qui représente une certaine idée de la démocratie.

La Cedeao menace d’avoir recours à la force, via une intervention militaire. Croyez-vous en cette hypothèse ?

Si la Cedeao intervient militairement, ce sera un grand risque pour toute la région, qui est déjà entourée par des États instables, comme la Libye, le Tchad, le Nigeria, le Burkina Faso et le Mali. Et même pour l’Europe, qui va être affectée par une vague d’immigration. Les jihadistes profitent aussi de l’instabilité pour grossir leurs rangs. Donc, il n’est pas trop tard pour éviter cela. La communauté internationale doit adopter une stratégie autre que le recours aux armes pour sortir de cette crise, à moins de vouloir faire du Niger un champ de guerre interminable.

Comprenez-vous que les populations se rangent derrière les putschistes ?

C’est un soulagement pour les populations, qui pensent que le régime miliaire va les sauver. Avec le gouvernement d’Issoufou, qui a fait 10 ans, rien n’a changé. Il y a encore énormément de chômage. L’arrivée des Français partis du Mali pour rejoindre le Niger n’a pas empêché le terrorisme de continuer à sévir dans les villages… Les populations n’ont donc pas vu l’utilité de la présence de Bazoum au pouvoir.

Pour autant, je souhaite sa libération parce qu’il est victime de sa propre famille politique. En deux ans, il n’a pas pu exercer son pouvoir en toute liberté. Le général Tiani qui a fait le coup d’État est hérité de son prédécesseur Issoufou, qui l’a empêché de changer sa garde présidentielle. Les arguments des putschistes se concentrent sur la dégradation de la situation sécuritaire. Or, la crise sécuritaire était plus forte encore avec le régime précédent, alors que la même garde présidentielle était là. Bazoum est arrivé au mauvais endroit, au mauvais moment.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Quels pays pourraient envoyer des troupes au Niger ?

Musique – Niger : incontournable Black Mailer

Contenus partenaires