Coup d’État au Niger : « Et si c’était en partie de notre faute ? » par Arno Klarsfeld

Plus d’une semaine après le coup d’État qui a renversé Mohamed Bazoum, la situation reste incertaine au Niger. En attendant une solution de sortie de crise, les pays occidentaux, notamment la France, doivent reconnaître qu’ils ont contribué au pourrissement de la situation.

Manifestants pro-putsch, brandissant un drapeau russe, à Niamey, le 3 août 2023. © AFP

 © Jacques BENAROCH/SIPA

Publié le 8 août 2023 Lecture : 3 minutes.

Il est bien difficile de savoir comment les pouvoirs publics français doivent réagir au coup d’État au Niger. Un tel coup de force nous chasse une fois de plus, nous, Français, d’un pays où, par notre présence, nous exercions une influence qui nous permettait de veiller à nos intérêts. Fallait-il agir à la vitesse de l’éclair, comme Bonaparte, et mettre fin au coup d’État, redorer notre blason par la force, mais risquer de déclencher un conflit meurtrier pour nos troupes et les populations locales, ce qui aurait été perçu comme une aventure coloniale ? Faut-il transiger et repartir la tête basse ? Faut-il encore envoyer des pays africains « démocratiques » combattre un autre pays africain au nom de la démocratie alors qu’eux-mêmes ne sont, au fond, démocratiques que dans la forme ?

Combat et lucre

Ce qui est sûr, c’est que nous sommes, d’une manière ou d’une autre, responsables de ce qu’il se passe en Afrique. Poussés par un mélange d’esprit d’aventure et de découverte, de volonté civilisationnelle et évangélique, et d’appât de combat et de lucre, nous avons pénétré l’Afrique par la force au XIXe siècle. Nous avons tout colonisé, enrichi des générations de bourgeois et d’industriels, traité les populations au mieux de manière méprisante et paternaliste, au pire, comme des massacreurs, et nous avons importé dans ce continent qui ne connaissait que des empires ou des territoires ethniques la notion d’État.

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Nous avons découpé le continent, au mépris des peuples, de leurs cultures et de leurs géographies, comme un gâteau que nous nous sommes partagé entre grandes puissances. Nous nous sommes auréolés de gloire en leur apportant une civilisation dont beaucoup ne voulaient pas. Nous leur avons, il est vrai, apporté des routes, des écoles, des dispensaires et des vaccins. Mais nous leur avons aussi imposé des frontières fantoches et des monocultures appauvrissantes. Grâce en grande partie à notre médecine, la population de l’Afrique est passée de 100 millions d’habitants en 1900 à 1,5 milliard en 2022.

Un continent à la fois riche et dépendant

En somme, nous avons fait comme ces héros des films de science-fiction, qui, voyageant dans le temps, bouleversent par leurs actions le cours normal du temps et des choses. Et, en plus, nous avons impliqué les Africains dans nos guerres en les mettant souvent en première ligne. Aux Amériques, les Européens avaient massacré par les armes, et involontairement par les virus, la majeure partie de la population. En Afrique, les missionnaires chrétiens, l’esprit républicain et la volonté civilisatrice nous ont empêchés d’être aussi inhumains que nous l’avions été.

Et, aujourd’hui, tandis que nous nous faisons chasser d’Afrique, une partie de ce continent, les migrants, cherche à entrer chez nous. Souvent, ces migrants ont des difficultés à s’intégrer. Parfois, ils s’intègrent très bien et remplissent parfaitement leurs fonctions, par exemple dans l’armée, l’administration ou les hôpitaux. Que faire ? D’abord, permettre à l’Afrique d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Comment se fait-il qu’un continent aussi vaste et aussi riche dépende des céréales russes et ukrainiennes ? Ensuite, aider l’Afrique à se développer à long terme, sans espérer nécessairement quelque chose en retour. Il faut que les Africains commencent à profiter un peu de la richesse de leur continent. En quarante ans, au Niger, le PIB a été multiplié par dix ou presque ; le PIB par habitant, à peine par deux.

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Il ne faut pas brusquer l’Afrique

Enfin, il ne faut pas trop se mêler de leurs affaires intérieures. Ne pas leur imposer la démocratie. En 2003, j’ai cru que l’on pouvait l’imposer en Irak par force, comme les Alliés l’avaient fait en Allemagne et au Japon après la Seconde Guerre mondiale. J’avais tort. L’Allemagne et le Japon étaient des nations cohérentes, dont la cohérence avait été forgée par des siècles d’histoire. Comment un régime africain peut-il être vraiment démocratique, dans un pays dont les frontières ont été dessinées par le pouvoir colonial, un pays qui n’existe en tant qu’État que depuis si peu de temps et qui regroupe souvent tant d’ethnies parfois antagonistes ? Il faut laisser l’Afrique se développer à son rythme, sans la brusquer. Et, pour nous préserver, nous ne devons pas nous laisser imposer qui vient vivre sur notre continent.

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