Surcapacité, subventions, sécheresse : les défis des moulins au Maroc
Dominé par quelques grands acteurs mais fragilisé par une situation de surcapacité, le monde de la minoterie marocaine doit poursuivre sa modernisation, estime Moulay Abdelkader Alaoui, le président de la fédération des meuniers.
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Porté par la consommation croissante de blé – sous forme de pain, de pâtes, de coucous…–, le dynamisme de la meunerie ne se dément pas sur le continent. Mais, entre une concurrence accrue et la hausse des coûts de production, l’équation économique est difficile à tenir.
Moulay Abdelkader Alaoui connaît la meunerie marocaine comme sa poche. Et pour cause : il a passé près de trente années à l’Office national interprofessionnel des céréales et des légumineuses (Onicl), et dix autres dans le secteur privé en tant que directeur général de la minoterie Manafid Al Houboub (groupe Zine Capital Invest), au sud de Casablanca.
En 2020, il a succédé à Chakib Alj (devenu patron de la Confédération générale des entreprises du Maroc, la CGEM) à la tête de la Fédération nationale de la minoterie (FNM). Il a été reconduit dans ses fonctions en juin dernier, après avoir abandonné son poste de directeur général de Manafid Al Houboub au début de 2022.
Surcapacité chronique du secteur, dépendance vis-à-vis d’une matière première (le blé) importée, conséquences de la guerre en Ukraine, sécheresse… Le président de la FNM revient sur les défis à relever dans un contexte de concurrence accrue entre les minotiers du royaume.
Jeune Afrique : Au Maroc, le secteur de la minoterie est en surcapacité depuis plusieurs années. Comment ce problème peut-il être résolu ?
Moulay Abdelkader Alaoui : Nous nous trouvons en effet dans une configuration délicate. La libéralisation du secteur, en 1996, a provoqué un emballement des investissements. En l’espace de dix ans, le nombre des moulins a explosé. Résultat, la capacité d’écrasement est de 110 millions de quintaux par an pour une demande de 55 millions, d’où la forte disparité d’activité des moulins : certains tournent à 80% de leur capacité, d’autres à 60%, voire à 40%. On compte plus de 150 unités en activité quand environ 80 seraient suffisantes. Pour remédier à cette situation, il faut consolider le secteur en le restructurant autour d’une petite dizaine de groupes.
En juillet, le groupe Forafric, de l’homme d’affaires Yariv Elbaz, a acheté la Société industrielle de minoterie du Sud (Sims). Cette acquisition préfigure-t-elle le mouvement de concentration que vous évoquez ?
Tout à fait. Forafric a ouvert le bal. Un certain nombre de minoteries en redressement judiciaire, voire à l’arrêt, auraient intérêt à rentrer dans le giron d’un acteur plus important. On peut donc s’attendre à d’autres opérations de ce type dans les prochains mois.
Ne court-on pas le risque de voir les quelques acteurs du secteur passer des ententes qui pourraient aboutir à une hausse des prix ?
Non, et ce pour au moins deux raisons. D’une part, le Conseil de la concurrence, qui doit donner son aval avant toute opération, est là pour éviter cet écueil. D’autre part, le marché est si émietté que les rachats (effectués ou futurs) n’auront que peu d’incidence sur les conditions de la concurrence.
Nous appelons les minoteries artisanales à faire un effort de transparence
Avec ce mouvement de consolidation, on verra s’imposer, dans chaque région, un grand groupe capable d’investir – si ce n’est déjà fait – dans des infrastructures modernes de production et de stockage, et de construire une chaîne de valeur intégrée de l’amont vers l’aval (négoce, minoterie, boulangerie, pâtes et semoule). Plusieurs acteurs, dont Zine Capital Invest, Cap Holding, Forafric et Anouar Invest, montrent la voie et tirent le secteur vers le haut.
Autre réforme que les industriels appellent depuis longtemps de leurs vœux : la fin des subventions sur la farine. Est-ce pour bientôt ?
Cette réforme doit être mise en œuvre au début de 2024, dans le cadre du chantier de la protection sociale et selon l’objectif fixé lors du discours du Trône, à la fin de juillet. Le système actuel, qui consiste à subventionner quelque 6,5 millions de quintaux de farine, handicape l’ensemble du secteur : le manque de transparence et la mauvaise répartition du contingent entre les meuniers créent une situation de rente pour certains, ainsi que des distorsions de concurrence.
Passer à un système d’aide directe forcera les opérateurs qui ne vivent que de ces subventions à revoir leur modèle et garantira l’équité entre les minoteries. C’est une avancée majeure, et très attendue. Par ailleurs, nous appelons les minoteries artisanales, qui représentent 25% du marché national, à faire le même effort de transparence : nombre d’entre elles produisent au-delà de la seule autoconsommation prévue par la loi, et souvent de façon informelle, ce qui constitue une concurrence déloyale.
La guerre en Ukraine, avec les difficultés d’approvisionnement qu’elle engendre, constitue-t-elle un obstacle de moindre importance ?
La situation a été compliquée lorsque le conflit a éclaté, puisque l’Ukraine et la Russie assuraient 25% de nos besoins. Mais, au Maroc, à l’inverse de ce qui se fait ailleurs en Afrique du Nord, l’approvisionnement est réalisé par des opérateurs privés, qui ont l’habitude de se fournir aux quatre coins du monde. Nous avons donc vite rebondi.
Nous allons reprendre nos achats en provenance de Moscou
Si, en 2022, la France a couvert 35% de nos besoins en blé tendre, la Roumanie, la Pologne, l’Allemagne, l’Argentine et le Brésil ont aussi été des fournisseurs. Les difficultés associées aux transactions avec Moscou étant résolues, nous allons reprendre nos achats de blé russe. Quant au blé dur, il vient exclusivement du Canada, un choix qui nous permet d’assurer la qualité supérieure de nos pâtes et de nos semoules.
Les cours du blé sont revenus à leur niveau du début de 2021 (650 à 700 dollars la tonne). Mais ils avaient fortement augmenté entre février et juin 2022 (de 800 à 1 200 dollars). Quel a été l’impact de cette flambée ?
Pour faire face à ce choc, les autorités ont apporté un soutien massif au secteur agricole, et en particulier aux minotiers, avec une enveloppe de 10 milliards de dirhams en 2022 [913 000 euros]. Cette aide a été maintenue cette année, bien que plus modestement en raison de la baisse des cours. Nous ne pouvons que saluer ces efforts en faveur d’une denrée, le pain, garante de sécurité alimentaire comme de paix sociale.
Le secteur fonctionne à 90 % avec du blé importé, le Maroc ne produisant que 1 million de quintaux sur les 55 millions écrasés chaque année. La constitution de stocks est donc un élément clé, de même que l’essor de la culture locale, en dépit d’épisodes de sécheresse à répétition. Comment progresser sur ces deux points ?
Il faut passer du système actuel – le stockage individuel et privé – à la constitution d’une réserve stratégique et souveraine. Pour ce faire, il n’y a qu’une seule solution : rendre cette activité attrayante par le biais d’incitations. Pour pallier le problème de la sécheresse, nous avons développé des variétés de blé tendre à haute productivité, mais nous restons tributaires de la qualité aléatoire des récoltes, sur des exploitations encore majoritairement familiales. Nous devons poursuivre nos efforts.
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Agrobusiness : le monde des moulins entre essor et turbulences
Porté par la consommation croissante de blé – sous forme de pain, de pâtes, de coucous…–, le dynamisme de la meunerie ne se dément pas sur le continent. Mais, entre une concurrence accrue et la hausse des coûts de production, l’équation économique est difficile à tenir.
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