Adnan, Quignolot, Sonko… La grève de la faim comme arme politique
L’alimentation est un puissant instrument politique et géopolitique. Les actions menées peuvent servir de moyen de pression lors de revendications et s’avérer redoutables pour faire entendre sa voix.
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Téguia Bogni
Chargé de recherche au Centre national d’éducation, au ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation du Cameroun.
Publié le 13 août 2023 Lecture : 4 minutes.
Dans le domaine des relations internationales, les États, dont certaines de leurs organisations publiques ou privées, se servent assez régulièrement de l’alimentation pour marquer leur empreinte diplomatique dans différents cas de figure. C’est, par exemple, le cas dans la crise du blé en mer Noire, au cœur de l’actualité mondiale en ce moment. En refusant ainsi de reconduire l’accord sur des céréales ukrainiennes, le président russe, Vladimir Poutine, a fait du blé une denrée hautement stratégique pour, d’une part, faire plier l’Ukraine et l’Occident et, d’autre part, attirer la sympathie des autres États, en particulier les « non-alignés ».
Gagner les ventres et les cœurs
Dans cette logique, la promesse de fournir entre 25 000 et 50 000 tonnes de blé à plusieurs pays africains, lors du sommet Russie-Afrique de juillet 2023 à Saint-Pétersbourg, a pour objectif non pas seulement de sauver les populations exposées à l’insécurité alimentaire, mais aussi, et surtout, de gagner leurs ventres, leurs cœurs et leurs esprits. Cette opération qui relève de la « gastrostratégie » a pour conséquence directe que tout État qui se présente en sauveur auprès d’un autre a, en général, droit au chapitre dans certaines négociations ou résolutions. Comme toute chose qui participe, d’une façon ou d’une autre, au rayonnement de son image sur la scène internationale.
Dans le même ordre d’idées, certaines actions liées à l’alimentation peuvent, elles aussi, s’avérer une arme redoutable pour, à la fois faire entendre sa voix et s’en servir comme moyen de pression pour des revendications. Quel lien Khader Adnan, Juan Rémy Quignolot et Ousmane Sonko ont-ils en commun ? Ces trois personnes ont ceci de particulier que, en plus d’avoir été des prisonniers, ils sont tous des grévistes de la faim. Pour autant que leurs histoires soient semblables, on a néanmoins affaire à trois destins relativement différents.
En effet, si la grève de la faim d’Adnan l’a conduit à la mort en détention et que celle de Quignolot a été, en revanche, une porte vers sa libération, l’on peut se demander ce qu’il en sera pour le cas de Sonko qui, quant à lui, vient à peine de commencer la sienne, juste après son incarcération. Khader Adnan a été interpellé pour la treizième fois le 5 février 2023 à Arrabeh où il vivait, dans le nord de la Cisjordanie. Ce qui lui était reproché, et qui a conduit à son interpellation, c’est sa qualité de haut responsable du mouvement islamiste palestinien Jihad islamique.
« Face à tant de haine, de mensonges, de persécution », Ousmane Sonko engage une grève de la faim et appelle « tous les détenus politiques à faire de même »
Placé en détention dans une prison israélienne, dans l’attente de son jugement, il avait entamé une grève de la faim pour protester contre son arrestation et son incarcération, qu’il jugeait flagrantes et illégales, ainsi que celles d’autres Palestiniens. Cette grève de la faim s’est étendue sur quatre-vingt-six jours. Elle s’est terminée par la mort, dans un hôpital pénitentiaire, le 5 mai 2023. Malgré les voix qui se sont élevées des mois durant pour alerter les autorités israéliennes sur son état de santé, celles-ci ont fait la sourde oreille. Ce qui a conduit à une fin tragique.
Comme dans un film d’action
À situation égale, l’on a déjà assisté à des dénouements diamétralement opposés. C’est par exemple le cas de figure de Juan Rémy Quignolot qui avait derrière lui un puissant groupe de pression, lequel a régulièrement et longuement fait écho, dans une communication stratégique, de sa situation carcérale. Pour rappel, cet ancien militaire de nationalité française a été arrêté le 10 mai 2021 à son domicile dans la capitale centrafricaine. Accusé d’espionnage et de détention illégale d’armes à feu et de minutions, il a passé seize mois en détention préventive dans une prison.
S’il a été finalement libéré sous contrôle judiciaire le 22 septembre 2022 et a été rapatrié en France le 21 mai 2023, c’est au moins pour deux raisons. D’une part, les réseaux diplomatiques activés, avec l’implication directe du président de la République française, Emmanuel Macron, ont joué un rôle important. D’autre part, durant tout ce temps passé derrière les barreaux, il avait entamé plusieurs fois la grève de la faim pour protester contre son incarcération qu’il jugeait illégale. Il avait plusieurs fois refusé de se rendre devant la Cour criminelle pour des raisons de santé, sous-tendues par un rapport médical. Et d’ailleurs, l’ordonnance de sa libération précise qu’il ne s’y présentera que « dès l’amélioration de son état de santé ». C’est tout dire.
Les évènements se sont enchaînés comme dans un film d’action. Le 30 juillet 2023, Ousmane Sonko est interpellé à son domicile à Dakar. Le lendemain, il est inculpé, entre autres, pour appel à l’insurrection. Le même jour, sa formation politique, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) est dissous.
« Face à tant de haine, de mensonges, de pression, de persécution », Ousmane Sonko non seulement engage une grève de la faim, mais il appelle également « tous les détenus politiques à faire de même ». Quelques jours plus tard, un de ses partisans, Mor Tallah Gueye, plus connu sous son nom de rappeur, Nitdoff, lui emboîte le pas. Tout comme l’un de ses avocats, le Franco-Espagnol Juan Branco, qui a finalement été libéré puis expulsé vers la France. Ousmane Sonko, dont l’état de santé s’est dégradé, est l’hospitalisé. Il convient de suivre avec une attention particulière l’issue de ces grèves de la faim, inhabituelles sur le continent. Sont-elles crédibles comme arme politique ?
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