En Tunisie, quelles seront les priorités d’Ahmed Hachani ?

Entre appels à maintenir les sortants et déclarations de prétendants potentiels, la formation d’un nouveau gouvernement traîne en longueur. La situation socioéconomique exige pourtant des décisions rapides.

La président Kaïs Saïed entouré de Najla Bouden et de son successeur à la tête du gouvernement, Ahmed Hachani, le 2 août, au palais de la Kasbah, à Tunis. © AFP

Publié le 17 août 2023 Lecture : 5 minutes.

Depuis sa nomination à la tête du gouvernement tunisien, le 2 août, Ahmed Hachani a fait montre d’une grande discrétion et prend ses marques. Il ne s’est pas adressé au peuple ni n’a tenu de conférence de presse, dans la droite ligne de la retenue dont avait fait preuve Najla Bouden, qui l’a précédé à la Kasbah.

Un silence auquel se sont accoutumés les Tunisiens, lesquels s’étonnent néanmoins qu’il ait rendu hommage aux Tunisiennes par la publication d’un communiqué à l’occasion de la commémoration de la promulgation, en 1956, du Code du statut personnel (CSP), corpus de lois émancipant les Tunisiennes.

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Finances publiques exsangues

Depuis la nomination d’Ahmed Hachani, les spéculations sur la composition du nouveau gouvernement vont bon train tant un remaniement semble nécessaire pour redonner du souffle à un exécutif fragilisé par des finances publiques exsangues et un contexte social tendu en raison des pénuries, notamment de farine.

Une situation telle que le député et dirigeant du Mouvement du 25-Juillet, Abderrazak Khallouli, suggère de reconduire les ministres actuels au prétexte qu’« ils ont appris de leurs erreurs » : une sorte de seconde chance, rare en politique, par crainte de lâcher la proie pour l’ombre.

Parallèlement, certains, comme le controversé prédicateur Cheikh Mohamed Hentati, se risquent à annoncer sur les réseaux sociaux qu’ils ont obtenu un portefeuille. Mais aucune fumée blanche n’a encore été signalée au palais de Carthage. Car tout se joue à la présidence.

La Constitution stipule en effet que le chef du gouvernement propose et que le président de la République dispose. La décision revient donc exclusivement au locataire de Carthage. D’ordinaire, les consultations se multiplient et, si rien ne filtre, une certaine effervescence présage un changement imminent. Mais tel n’est pas le cas en ce mois d’août : tout se passe comme si Ahmed Hachani avait toujours été là. Il n’a pas tenu de conseil des ministres mais a reçu plusieurs d’entre eux et a eu divers entretiens et réunions avec le président de la République.

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Une activité, relevant de la gestion des affaires courantes, d’autant plus normale qu’Ahmed Hachani a les mêmes prérogatives que Najla Bouden, c’est-à-dire aucune ou si peu. Un fait établi depuis la promulgation du décret 117 relatif aux mesures exceptionnelles, en septembre 2021, qui a consacré la prise en main de tous les pouvoirs par le président Kaïs Saïed, et entériné par la Constitution d’août 2022 qui limite le pouvoir des ministres et réduit leur charge à une fonction.

Le premier des ministres

À cet égard, le chef du gouvernement n’est plus que le premier des ministres de Kaïs Saïed qui manage l’équipe exécutive. Au départ de Najla Bouden, ce dernier a signifié que « l’approche économique et sociale reste la plus importante pour la Tunisie aujourd’hui ». Ce qui suggérait un changement d’équipe, à moins que ce ne soit pour mettre la pression sur les ministres actuels. Pour l’heure, tout est possible et le seul à savoir ce qu’il en sera est Kaïs Saïed.

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Même s’il n’est pas au fait des questions d’économie et de finances, Ahmed Hachani doit s’être fait une idée des dossiers prioritaires, notamment économiques dans la mesure où l’État doit trouver les financements nécessaires pour couvrir ses dépenses et honorer les échéances de sa dette.

Un sujet qui sera également en filigrane de la préparation du budget 2024, sur lequel devraient déjà plancher les différents départements étatiques. Un moment propice à la mise en place de réformes, notamment fiscales, douanières, ou touchant les différents codes en usage et les entreprises publiques. Des réformes devenues impératives pour rompre le cercle vicieux d’une crise exacerbée par un système sclérosé.

Des sacrifices seront nécessaires, mais Kaïs Saïed tient à préserver le rôle social de l’État. Une situation complexe, périlleuse et paradoxale, puisque le pays est menacé de banqueroute, selon plusieurs économistes, sans qu’aucun dirigeant ait annoncé aux Tunisiens qu’ils étaient entrés de fait en austérité.

Avec le refus du Fonds monétaire international (FMI) de décaisser le prêt de 1,9 milliard de dollars, initialement consenti à la Tunisie, et les différentes dégradations de sa note souveraine, il est devenu difficile au pays de lever des fonds à l’international.

C’est à cette aune qu’il faut comprendre la phrase martelée par le président Saïed : « Les Tunisiens ne doivent compter que sur eux-mêmes. » « Le recours systématique à la dette va enfin cesser », se réjouit un économiste, qui affirme que la période à venir sera extrêmement difficile mais salutaire, puisqu’elle suppose un changement de cap sans lequel le naufrage serait au bout de la route.

Suspicion sur l’administration

Assainir l’administration, c’est justement ce que veux faire le président Saïed. Mais il inscrit cette initiative dans une démarche morale en assurant qu’une pléthore de faux diplômés ont été recrutés par l’administration.

Pour certains, il jette la suspicion et divise les Tunisiens. « S’il voulait alléger la fonction publique, d’autres moyens auraient été plus opportuns. Comme un contrôle systématique pour écarter ceux qui occupent également un poste dans le privé », suggère un fiscaliste. Une réflexion qui incombe également à Ahmed Hachani, ancien directeur des ressources humaines à la Banque centrale de Tunisie (BCT).

L’évolution du pays sera essentielle pour lui permettre de retrouver de nouveaux équilibres avec l’appui d’instances internationales. Il sera notamment attendu sur la gestion de la crise migratoire, d’autant que le fameux mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique et global avec l’Union européenne (UE), conclu à la hâte en juillet 2023, semble ne pas emporter l’adhésion des 27.

La Tunisie ne peut compter que sur elle-même alors que son approche du problème migratoire a été erratique du point de vue des droits humains. Comme l’est son traitement du dossier des vingt-cinq dirigeants politiques poursuivis pour atteinte à la sûreté de l’État depuis février 2023.

Le redressement économique est donc la priorité de l’heure, mais Ahmed Hachani aura-t-il son mot à dire face à un président qui, désormais, s’inspire d’un lexique de guerre pour justifier ses initiatives ? Dernière en date : une offensive contre la spéculation et les corrompus, certes sans réels résultats mais utile pour convaincre l’opinion de l’existence d’un complot et de forces malveillantes.

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