L’Afrique du Sud et la Russie, « un drôle de couple ? »

Les relations de proximité qu’entretiennent Pretoria et Moscou depuis l’époque de l’apartheid ont-elles encore lieu d’être ? Non, selon l’opposition sud-africaine, qui dénonce une collusion suspecte entre l’ANC et le parti de Vladimir Poutine.

Vladimir Poutine, le président russe, et son homologue sud-africain Cyril Ramaphosa, à Saint-Pétersbourg, le 17 juin 2023. © Ramil Sitdikov/AP/SIPA

Publié le 17 août 2023 Lecture : 3 minutes.

La passion de l’Afrique du Sud pour la Russie, qui sera le grand absent du sommet des Brics, à Johannesburg, du 22 au 24 août, remonte à l’époque où les Soviétiques apportaient leur soutien aux combattants de l’apartheid. Les relations qu’entretiennent toujours Moscou et Pretoria laisse d’autant plus perplexe qu’elles semblent aller à l’encontre des intérêts commerciaux et diplomatiques de l’Afrique du Sud.

Poutine sous mandat d’arrêt international

Ces liens font l’objet d’une analyse approfondie depuis l’invasion de l’Ukraine et la décision de Pretoria de ne pas la condamner, perçue comme un soutien implicite à Moscou. La venue du président russe en Afrique du Sud pour le sommet des Brics a alimenté toutes les spéculations. Vladimir Poutine, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, a finalement décidé, en juillet, de ne pas y participer, mettant fin à un épineux problème pour Pretoria.

la suite après cette publicité

L’ANC, au pouvoir depuis 1994, avait tissé des liens avec les Soviétiques lors des décennies de lutte contre l’apartheid. « Leur alliance est une amitié construite dans le sang… et les balles », souligne l’analyste politique Sandile Swana. Mais pas seulement.

Politiquement, l’ANC et le parti de Poutine forment « un drôle de couple », relève Steven Gruzd, de l’Institut sud-africain des affaires internationales (SAIIA). Les valeurs nationalistes de Russie unie sont étroitement liées à l’Église orthodoxe, quand l’ANC penche à gauche et défend les droits des LGBTQ.

Sur le plan économique, la relation a encore moins de sens. Pretoria subit de fortes pressions de la part des États-Unis et de l’Europe pour s’éloigner de Moscou. Washington est le deuxième partenaire commercial de Pretoria après Pékin, avec 4,2 milliards de dollars d’exportations au premier semestre 2023, contre seulement 132 millions avec Moscou.

Ramaphosa en mission de paix à Kiev

Des accusations récentes, selon lesquelles Pretoria aurait secrètement fourni des armes au Kremlin, ont incité Washington à menacer d’exclure l’Afrique du Sud d’un important pacte commercial, inquiétant entreprises et partis d’opposition. L’ANC a dénoncé une tentative « d’intimidation ». Mais le politologue William Gumede estime qu’il est temps que Pretoria reconnaisse que son allégeance à Moscou ne sert plus le pays et se fonde sur un « lien sentimental » que « l’Afrique du Sud ne peut plus se permettre ».

la suite après cette publicité

En juin, le président, Cyril Ramaphosa, a mené une mission de paix africaine à Kiev, ce qui lui a permis d’étayer ses déclarations de « neutralité » dans le conflit russo-ukrainien. Ce voyage a été salué par les Ukrainiens, qui ont parfois du mal à comprendre comment l’ANC, qui a combattu l’oppression, ne s’identifie pas à leur combat contre l’invasion russe.

Cyril Ramaphosa a pu « parler directement » aux Ukrainiens et évaluer la situation par lui-même, note Dzvinka Kachur, responsable associative ukrainienne installée en Afrique du Sud, qui estime que Moscou réussit à manipuler l’opinion et à embellir son image sur le continent. L’Ukraine faisait partie de l’Union soviétique, fait-elle valoir, et a contribué « de manière significative aux mouvements anti-apartheid ».

la suite après cette publicité

Le soutien financier de Moscou

Pour Poutine, nostalgique de l’URSS, l’Afrique du Sud est une porte d’entrée stratégique sur un continent devenu un champ de bataille diplomatique, estiment les experts. Certains pensent que la relation bilatérale s’est épanouie dans un contexte de déconnexion croissante entre les valeurs fondatrices de l’Afrique du Sud et ce que l’ANC représente aujourd’hui – le parti est mêlé à des affaires de corruption et est accusé de mauvaise gestion.

« L’ANC voit clairement autre chose dans la Russie de Poutine – quelque chose d’ambitieux », écrit Richard Poplak, chroniqueur au Daily Maverick. « La Russie est le phare sur la colline, une autocratie brillante, qui éclaire la voie vers une gouvernance éternelle », ajoute-t-il avec ironie dans un billet publié en juillet. Logique pour l’ANC, à court d’argent, de se rapprocher de Poutine en raison d’un soutien financier potentiel attendu, souligne de son côté Steven Grudz.

L’an dernier, le parti a reçu plus de 800 000 dollars d’une société minière de manganèse liée à un magnat russe sanctionné par Washington pour financer un congrès important. « L’ANC se range du côté de la Russie pour une seule raison : parce qu’elle finance l’ANC, et donc infiltre et déstabilise la démocratie sud-africaine », a accusé, en mai, John Steenhuisen, le chef de l’opposition.

Tokologo Ngoasheng, un responsable de l’ANC à Johannesburg, rétorque que le parti a aussi reçu des dons de la part d’ « hommes d’affaires américains ». « Cela ne devient un problème que lorsque ce sont des Russes qui soutiennent l’ANC, ce n’est pas juste », a-t-il dénoncé.

(Avec AFP)

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Russie-Afrique : ce qu’il faut retenir du sommet de Saint-Pétersbourg

Contenus partenaires