« Darna », la maison marocaine de l’illustratrice Zineb Benjelloun
Avec son roman graphique, l’autrice marocaine explore en noir et blanc son arbre généalogique et une partie de l’histoire du Maroc.
Si elles pouvaient parler, les maisons de famille auraient beaucoup à dire. Elles pourraient raconter les secrets de famille, les bonheurs et les drames du quotidien, les amours et les déchirures, les temps qui passent et les gens qui changent… Avec Darna, roman graphique en noir et blanc, la Marocaine Zineb Benjelloun dessine et raconte la sienne, à Casablanca.
Journal intime
Elle la présente ainsi en introduction : « Darna, ou Dar el Ouarata, est la maison familiale du côté de ma mère. Le côté de la lignée de descendance certifiée conforme du prophète. C’est la maison construite par mon grand-père dans les années 1980 à Casablanca, dans un nouveau quartier de la ville. Cette maison a plus ou moins mon âge. La bonne trentaine, bientôt 40. »
Dans la postface, elle précise : « J’ai conçu les premières planches comme un journal intime, sans avoir l’intention de les montrer un jour. » Après une première version publiée à compte d’auteur en 2018, Zineb Benjelloun livre aujourd’hui « un hommage à Darna et à ses habitant.e.s et un témoignage d’une époque révolue et en devenir, à l’image de la maison et des générations qui y ont défilé. »
Ouvrant les portes de la demeure où elle cultive son spleen d’artiste trentenaire en situation précaire, Zineb Benjelloun parcourt son arbre généalogique, brossant à grands traits l’histoire de sa famille, depuis le couple formé par Basidi, le grand-père, « juge, droit et militant nationaliste », et Milalla, la grand-mère, « belle, drôle et fine » qui « n’a jamais mis de pantalon ».
Avec humour et lucidité, Benjelloun s’attache tout particulièrement à quelques habitués de Darna, comme Hbibi, son oncle – « grand enfant qui a choisi son camp, oisiveté et tabac à sniffer » –, Malika, sa tante – « la femme de mon oncle Hbibi, a été recrutée pour s’en occuper » – ou encore son cousin Abdellah qui « a deux téléphones portables et deux objectifs dans la vie : trouver une femme, et un travail ».
Française made in Morocco
Tout en observant les autres, leurs qualités et leurs petits travers, la jeune femme, fatiguée par l’administration française et en rupture avec la chaîne de télévision marocaine qui l’a embauchée, se livre à une introspection identitaire.
« Je fais partie de cette génération qui a fait la mission française, cette mission qui consiste à créer des produits français « made in Morocco », éduqués au Bescherelle, aux accents graves et circonflexes, capables de réfléchir au subjonctif imparfait, vivre au conditionnel présent, parler au futur antérieur et composer avec le passé, pas si simple que ça, écrit-elle. Mais des produits ayant besoin d’un visa d’entrée pour la métropole qui les a pourtant conformés. »
Darna, c’est aussi soixante-dix ans d’histoire du Maroc esquissées à travers la vie des occupants successifs de la maison, l’histoire avec un grand H vue par le petit bout de la lorgnette, de la colonisation française au présent contrarié entre les deux pays. Parfois, Zineb Benjelloun ose des raccourcis rapides et diablement efficaces.
Portes closes
Les souverains successifs du royaume sont ainsi présentés, page 10, en compagnie des parents de l’artiste : « MV a signé la fin du protectorat, l’indépendance du Maroc en 1956. HII, est connu pour son “aplomb”. MVI, le “roi des pauvres” et des riches. » La plupart du temps, l’histoire politique reste simplement suggérée, l’autrice préférant se concentrer sur les détails significatifs du quotidien, qu’elle dessine en variant les angles et les mises en pages.
Sur le plan graphique, Darna se situe dans la lignée des travaux de l’Iranienne Marjane Satrapi (Persépolis) et de la Libanaise Zeina Abirached (Mourir, partir, revenir ; Le Jeu des hirondelles ; Je me souviens. Beyrouth) sans se distinguer par une réelle nouveauté. Si l’ensemble est sensible, parfois même émouvant, la maison de famille ne livre pas tous ses secrets et certaines pièces – certains éléments de l’histoire, avec un grand H comme avec un petit h – demeurent désespérément fermées à notre regard.
Darna, de Zineb Benjelloun, éd. Ça et là, 152 pages, 18 euros.
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