En Tunisie, le casse-tête du renouvellement des papiers d’identité

Délais interminables, production de pièces justificatives parfois impossibles à obtenir… Le renouvellement d’un passeport ou d’une carte d’identité est un véritable parcours du combattant pour les Tunisiens.

Le renouvellement du passeport est devenu particulièrement compliqué pour les Tunisiens vivant à l’étranger. © THOMAS SAMSON/AFP

Publié le 18 août 2023 Lecture : 4 minutes.

« Kafka aurait dû être tunisien », s’esclaffe une directrice de formation pour une société internationale. Sa demande de renouvellement de carte d’identité a été rejetée. Au poste de police dont elle dépend, le préposé affecté aux demandes de documents d’identité lui réclame un diplôme lui permettant d’assumer la fonction qu’elle occupe au sein de son entreprise. Or Maya, 48 ans, détient un master en marketing et est arrivée à son poste, en vingt ans de carrière, par le biais de différentes formations, mais également en ayant enseigné le marketing en interne.

C’est la troisième fois que Maya butte sur cet écueil, qui l’empêche d’obtenir le sésame qu’elle doit présenter pour renouveler son passeport. Elle n’est pas la seule à être concernée par cet imbroglio : les témoignages parfois rocambolesques abondent sur les réseaux sociaux, au point que le ministre de l’Intérieur, Kamel Fekih, a donné instruction le 6 juillet de « répondre, avec la célérité requise, aux demandes d’obtention de cartes d’identité nationales et de passeports ».

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En Tunisie, la carte d’identité est indispensable à de nombreuses démarches, mais surtout obligatoire après l’âge de 16 ans et doit être renouvelée tous les dix ans, mais également au changement de la moindre indication qu’elle porte. Une procédure ordinaire qui a été compliquée par le projet de carte d’identité nationale biométrique, lequel n’a pas abouti en raison de la pression de la société civile, qui souhaitait que les données personnelles soient préservées et consultables par le titulaire du document.

Le projet, engagé en 2016, a été retiré en janvier 2018, mais le ministère de l’Intérieur a relevé le niveau d’exigence pour délivrer les cartes d’identité, vraisemblablement pour établir ou compléter ses bases de données. Officiellement pour préparer au biométrique, dont on sait qu’il n’est pas à l’ordre du jour.

Crainte du terrorisme

Certains justifient les difficultés à obtenir des documents d’identité par la crainte du terrorisme. « Au contraire, en ne posant pas de conditions absurdes, il est de l’intérêt de tous les citoyens d’avoir des documents à jour, surtout qu’ils sont exigés pour la moindre démarche », précise une experte, qui a été entendue par les parlementaires à ce propos en 2017.

Mais il est parfois difficile de pouvoir déclarer son adresse. « Je suis toujours domiciliée chez mes parents à Nabeul, ma propriétaire refuse d’enregistrer le bail de mon appartement à Tunis, elle contrevient à la loi et j’en subis les conséquences. Même une déclaration sur l’honneur ne suffit pas à justifier d’une adresse », assure Nawel, dont le dossier est encore plus complexe.

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Elle n’est plus étudiante, a été embauchée dans la fonction publique et est en cours de titularisation. L’organisme où elle travaille ne délivre pas d’attestation de travail qui serait reconnue par les services de l’Intérieur et sa carte mentionnerait « affaires du foyer », une formule toute administrative pour dire « sans emploi » s’agissant des femmes, qualité qui doit être, par ailleurs, confirmée par le chef de district où elle vit. « Une histoire de fou, puisque avec la mention “affaires du foyer”, il me sera difficile d’obtenir un visa », ajoute la jeune femme, qui travaille dans la recherche.

Le président de la République, Kaïs Saïed, a réclamé, le 15 août, une réduction des délais d’octroi des passeports et de tout autre document officiel aux Tunisiens résidant à l’étranger, dont les vis-à-vis sont les ambassades, donc les Affaires étrangères, qui traitent avec l’Intérieur à Tunis.

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« Il ne sait pas que les Tunisiens en Tunisie vivent aussi un enfer avec l’administration », persifle un retraité, qui a décidé une fois pour toutes de ne plus faire de demande de carte d’identité puisque à 78 ans, il doit prouver à chaque fois qu’il est retraité. Le parcours du combattant devient encore plus ubuesque quand le ministre de l’Intérieur s’adresse en juillet à ses propres départements à ce sujet par voie de communiqué public et non par une note interne.

Rigidité administrative

« Avant de le faire savoir à la population, qu’il contrôle en interne le traitement des dossiers. Les instructions ne sont pas assez précises, surtout au niveau des mentions de profession. Et même si on dissimulait une profession, qu’est-ce que cela changerait fondamentalement ? On est tous soumis aux déclarations d’impôts et on a tous intérêt à avoir des documents avec des mentions exactes. Le système et les agents doivent intégrer les nouveaux paramètres, comme la mobilité et l’évolution professionnelle. On peut avoir un diplôme, exercer une profession autre ou même ne pas en avoir du tout et occuper un poste de responsabilité », explique, excédée, Maya, qui déplore que les services étatiques ne communiquent pas entre eux, ce qui soulagerait l’usager.

Elle fustige aussi une rigidité administrative, incongrue en 2023, qui pousse finalement les personnes à fournir des informations erronées pour obtenir des documents selon des normes établies par on ne sait qui sur on ne sait quelles bases. « J’ai avisé mon employeur de mes difficultés, il va me délivrer une attestation de travail avec la mention “directrice de marketing”. Ce sera faux, mais c’est pour la bonne cause et pour en finir avec les heures d’attente au commissariat », conclut Maya au moment où les réseaux sociaux dénoncent un système qui pousse à la falsification.

Les Tunisiens se sont adaptés aux lenteurs administratives, mais aujourd’hui, ils sont vraiment à bout de patience. « Non seulement il manque toujours un papier même si on a fourni tous ceux qui sont officiellement requis, mais il faut compter avec les allers-retours, les pertes de temps, pour finalement attendre un temps indéterminé une carte d’identité qui doit obligatoirement être à jour. Après on enchaîne pour le passeport, et là j’apprends que le support papier pour établir les passeports n’est pas disponible, c’est inadmissible », déplore un médecin, qui erre dans ce dédale administratif depuis mars.

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