En Tunisie, l’été de toutes les canicules !
Une plage, Hammamet. Une chaleur infernale. Et une enfant ukrainienne, qui veut « tuer » Vladimir Poutine. Et si le monde ne tournait plus rond ?
La saison estivale est en train de filer sans que je vous parle de Hammamet. Vous savez, cette ville balnéaire de Tunisie dont je vous donne des nouvelles chaque année à cette période, ville jadis surnommée « le paradis », et qui est, cet été, un véritable enfer, avec des températures de 48 degrés – de quoi suer comme un bœuf et tourner comme un moulin sans créer le moindre courant d’air.
Humanitaires éplorés
D’ailleurs, je dois avouer que j’ai dû déroger à mes principes et passer outre les recommandations des écologistes et des climatologues en colère. Je me suis acheté un climatiseur pour ne pas mourir étouffée. Et, comme les prix ont doublé sur le marché local, j’ai dû recourir à la méthode que tout Tunisien qui se respecte emploie, en me pourvoyant sur le marché parallèle : j’ai acquis le précieux engin chez un négociant de l’ombre qui se fournit en Libye. On appelle ça l’économie parallèle. Moitié prix.
Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais, en ce moment, les Libyens nous fournissent en tout. Cela va des écrans télé à la literie, des casseroles au café ou au riz et bientôt la baguette de pain. Ils essaient même de nous procurer une autre denrée : les droits humains ! Car il faut voir leurs reporters parader sur les chaînes occidentales dans le costume d’humanitaires éplorés et se poser en champions de la défense des Subsahariens jetés à leur frontière, alors que tout le monde sait ce que ces derniers ont enduré et endurent sur le sol libyen. Comme dit mon beau-frère , « le pays de feu Kadhafi aurait pu, s’il l’avait voulu, avec les moyens qu’il a, recueillir tous les clandestins d’Afrique sans se ruiner ».
« Es-tu Russe ? »
Bref, à la suite d’une bronchite causée par le climatiseur – bien fait ! –, j’ai résolu d’aller me soigner à l’eau de mer. Et c’est là, sur la plage, que j’ai fait une rencontre insolite. En avançant au milieu des « burkinisées » – souvent de souche immigrée, et dont les formes sont plus saillantes et plus expressives sous leurs tenues en semi-caoutchouc que si elles avaient été nues –, j ’ai vu venir vers moi une petite fille blonde comme les blés.
Elle m’a dit bonjour. Comme ça. Je l’ai saluée à mon tour, et là elle m’a posé cette question étrange : – Tu es russe ? Ma foi, non. Rien, ni mon physique ni mon accent, ne le laisse supposer. – Pourquoi tu me demandes si je suis Russe ? – Parce que je suis Ukrainienne. – Et alors ? – En même temps, je me dis, tiens, des Ukrainiens en villégiature pendant que leur pays est en guerre ! La gamine a poursuivi sur le ton de la litanie apprise par cœur : « Ils ne sont pas bien, les Russes. Ils tuent les Ukrainiens ». Là, je me suis interrogée : le conflit russo-ukrainien s’est-il déplacé sur les plages d’Hammamet, ou quoi ?
La fillette a continué dans un anglais que je comprenais avec difficulté, mais où j’ai saisi les mots « Poutine », « meurtrier » et ce « moi, je le tue » qui m’a fait frissonner. Je l’ai regardée en pensant à ces mômes élevés dans les camps de Daesh qu’on dresse pour assassiner. Devant moi, j’avais la même enfance qu’on faisait basculer dans l’horreur, qu’on nourrissait de haine et à qui on apprenait seulement les pages sanglantes et revanchardes de l’Histoire.
L’innocence assassinée
Du coup, c’était plus que la canicule dans ma tête. Les mots de l’enfant tapaient sous mon crâne, et je répétais à voix haute, en rentrant à la maison : « Voilà comment on tue l’innocence. Voilà comment on sème la violence dans les cœurs les plus purs ».
« Tata, tu veux un verre d’eau ? C’est le soleil sans doute », m’a interpelé l’épicier de mon quartier, me voyant passer devant sa boutique en parlant toute seule. Je me suis entendue lui répondre : « La guerre, c’est les hommes comme toi ! Tu devrais avoir honte, et avec toi tous les mecs de ton espèce ! » Le pauvre Tunisien a ouvert grand les yeux. Pour une fois, il croira aux effets du réchauffement climatique sur les corps comme sur les esprits.
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