Nigeria : Snake Island, l’île où naissent les plateformes
À l’ouest de la lagune de Lagos s’étend la zone industrielle de Snake Island, où Nigerdock construit des structures offshore. Reportage au coeur d’un immense chantier.
Pétrole et gaz : la ruée vers l’Est
Depuis le centre-ville de Lagos, le bateau est le meilleur moyen pour accéder à Snake Island. Sur l’eau, pas d’embouteillages pour rejoindre les rives de cette île au nom peu engageant, qui lui vient de son contour en forme de serpent. Située à l’extrémité ouest de la lagune, elle mesure une dizaine de kilomètres de long. Au début des années 1990, elle était l’un des rares lieux épargnés par l’urbanisation galopante. Isolée mais accessible aux navires à fort tirant d’eau, Snake Island a été choisie pour abriter la zone franche industrielle destinée au secteur pétrolier, lequel représente 80 % des recettes du pays.
Privatisée en 2000, l’île est désormais gérée par Nigerdock, filiale du groupe privé nigérian Jagal. Sous sa houlette, Snake Island a vocation à devenir un fleuron de la politique gouvernementale de promotion des intérêts nigérians – Nigerian Oil and Gas Industry Content Development Bill – dans le secteur extractif. Les bureaux de l’entreprise sont situés sur la pointe est de l’île, à quelques encablures du port d’Apapa, principale porte d’entrée maritime du Nigeria. Trois secteurs occupent les 2 500 travailleurs de Nigerdock : la construction de plateformes pétrolières ou gazières – de loin l’activité la plus importante -, la fabrication de conteneurs et de citernes, la réparation et la construction navales. À cela s’ajoute un centre de formation technique qui assure la mise à niveau de ses employés et de ceux de ses clients.
Ponts roulants, grues mobiles… Le groupe a investi 100 millions d’euros dans des équipements.
Christabel Bomi-Dore, responsable du développement, n’est pas peu fière de sa clientèle : « Total, Shell, Chevron, ExxonMobil et Egip nous font confiance, notre expertise est reconnue par tous », affirme-t-elle. Nigerdock s’enorgueillit de respecter les meilleures normes de qualité, avec une certification ISO 9001. Après la fabrication de la plateforme d’Usan pour Total en 2010, puis de celles d’Abang et d’Itut pour ExxonMobil fin 2012, les majors ont été rassurées sur la capacité de l’opérateur nigérian à mener à bien des projets nécessitant plusieurs centaines de milliers d’heures de travail.
Performant
En outre, « à Snake Island, on bénéficie d’avantages fiscaux, logistiques et techniques majeurs pour fabriquer une plateforme », souligne Emmanuel Hyest, directeur de projet pour Total. « D’abord, la proximité du port de Lagos permet des délais d’approvisionnement bien plus courts qu’à Port Harcourt [principale ville pétrolière du pays, à 450 km au sud-est de Lagos], et ce avec certaines exemptions de taxes, explique-t-il. Ensuite, la taille de son chantier en fait l’un des sites de construction de plateformes les plus grands d’Afrique de l’Ouest, à peine plus petit que celui du groupe Saipem à Port Harcourt. Enfin, Nigerdock a beaucoup investi pour acquérir un matériel performant : ponts roulants, grues mobiles, ateliers de peinture et nouvelle machine de découpe plasma. » Des équipements d’une valeur de plus de 100 millions d’euros, selon Nigerdock. L’accès au gigantesque bassin de main-d’oeuvre de Lagos (18 millions d’habitants) est un autre avantage crucial. Dernier point positif, et non des moindres, la sécurité : « Ici, pas de banditisme comme dans le delta du Niger. Le fait d’être sur une île nous protège », se réjouit Emmanuel Hyest.
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Ruche
Pour l’heure, trois grands chantiers sont visibles sur le site, véritable ruche d’ouvriers aux couleurs de Nigerdock, rouge et blanc. Deux sont liés à la fabrication d’Ofon 2, une nouvelle plateforme de Total qui complétera les installations d’Ofon 1, déjà en place en pleine mer, à 40 km au sud de Port Harcourt. « Après un appel d’offres, nous avons sélectionné Nigerdock pour un premier lot de 360 millions d’euros comprenant deux ponts satellites offshore de 5 000 tonnes. C’est la première fois qu’un chantier de cette importance est accordé directement à une société nigériane, avec près de 1,5 million d’heures de travail déjà réalisées, et ce sans aucun accident », précise Hyest, qui pilote l’ensemble du projet. Des grutiers manipulent d’énormes tuyaux métalliques et les agencent. Ils serviront à recueillir et à acheminer les 70 000 équivalents barils par jour d’huile et de gaz extraits du gisement d’Ofon et actuellement perdus car torchés (brûlés). Un système qui mettra fin à une pratique décriée pour ses conséquences sur l’environnement.
À proximité, toujours pour Ofon 2, le français Eiffage supervise la réalisation des « quartiers vie » de la plateforme, dont une partie est réalisée par Nigerdock. Environ 120 personnes logeront dans ce qui ressemble à un immeuble de gros Legos sur quatre étages. « Mi-novembre 2013, le quartier vie va être chargé sur une barge, puis remorqué jusqu’à destination », explique le chef de projet. Enfin, un peu plus loin, un dernier ensemble d’échafaudages délimite le chantier des plateformes Chevron pour les champs pétroliers Sonam et Meren, piloté par Hyundai Heavy Industries. Là encore, les équipes de Nigerdock interviennent en sous-traitance. Si Nigerdock a incontestablement gagné en savoir-faire, la société doit encore progresser « au niveau de la gestion et de la productivité », reconnaît Emmanuel Hyest, qui observe au passage que la quasi-totalité de la direction opérationnelle de l’entreprise est étrangère – si son actionnaire, la famille Jarmakani, est nigériane, le directeur général, Louis van Alphen, est néerlandais. Autre difficulté : se faire reconnaître à l’échelle internationale, notamment pour s’approvisionner. « La partie achat de matériel du projet s’est révélée un vrai défi. Il est plus difficile pour Nigerdock d’obtenir de bonnes conditions commerciales ou tout simplement une réponse à une commande. Les vendeurs en Europe se méfient parfois d’une entreprise nigériane », note Emmanuel Hyest.
Ces obstacles devraient progressivement disparaître, d’autant que la loi sur le local content – qui définit ce qui doit être produit ou assemblé sur place -, votée fin 2010, est devenue plus contraignante, avec pour objectif que 70 % de la valeur des marchés de fabrication, de maintenance et d’ingénierie soit octroyée à des entreprises locales d’ici à 2020. « Les inspecteurs mandatés par l’État viennent régulièrement à Snake Island pour vérifier que nous sommes dans les clous », affirme Emmanuel Hyest.
À terme, Nigerdock pourrait également se positionner sur le démantèlement de plateformes pétrolières et gazières. Selon Total, ce temps n’est pas encore venu, mais la question se posera bientôt. En 2020, les premières grandes plateformes offshore du pays auront 25 ans et seront en fin de vie.
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