Pour João Lourenço, il n’est pas trop tard mais il est grand temps !

La procédure de destitution déposée mi-août contre le président angolais a très peu de chances d’aboutir, mais peut-être le poussera-t-elle à revoir sa politique.

Le président João Lourenço au forum Angola – Russie à Moscou, le 3 avril 2019. © Maksim Blinov/Sputnik/AFP

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  • Daniel Ribant

    Auteur de « L’Angola de A à Z » et « Força Angola », parus chez L’Harmattan.

Publié le 24 août 2023 Lecture : 5 minutes.

En cette période de vacances, l’événement est passé quasiment inaperçu en dehors de l’Angola. Pour la première fois de son histoire, une procédure de destitution a été lancée contre le président en exercice, João Lourenço. Officialisée le 21 juillet par le principal parti d’opposition, l’Unita, la proposition s’est traduite le 15 août dernier par une demande formelle signée par 86 députés, soit plus que le tiers requis par la Constitution.

Après les congés parlementaires, une commission sera convoquée qui devra donner son avis dans les 30 jours afin que la motion soit débattue en session plénière. Le règlement de l’Assemblée nationale angolaise prévoit le vote secret pour ce genre de question de nature nominale. Si cette motion obtenait la majorité des deux tiers des députés, elle serait transmise à la Cour constitutionnelle pour validation.

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Un malaise qui dépasse l’opposition

Même si cette proposition inédite a très peu de chances d’aboutir, elle a déjà suscité pas mal de réactions au sein du landerneau politique angolais, révélatrice d’un certain malaise autour de la présidence actuelle qui ne se limite d’ailleurs pas à l’opposition.

Dans une interview donnée au média allemand DW, l’analyste Ilídio Manuel estime que la réaction du parti au pouvoir est disproportionnée par rapport à la demande, précisant que le MPLA « ne s’attendait pas à être confronté à une telle situation ». Dans ses nombreux communiqués, son bureau politique rappelle son soutien indéfectible au président, accusant l’opposition de remettre en question le résultat des élections démocratiquement tenues en août 2022, de saboter le processus de « réconciliation nationale » entamé à la fin de la guerre civile (en avril 2002) et de ternir l’image du pays à l’étranger. Mais au-delà de ce discours, il est clair que le vote secret inquiète le MPLA.

La destitution d’un président est explicitement prévue par l’article 129 de la Constitution. On y lit que le chef de l’État peut être révoqué pour trahison à la patrie, espionnage, corruption, inaptitude… On se doute que la procédure de l’Unita ne repose pas sur ces fondements. L’opposant Adalberto da Costa Júnior a qualifié la gouvernance du président Lourenço d’acte « contre la démocratie, la paix sociale et contre l’indépendance nationale » ce qui, selon l’article précité, peut laisser entendre qu’il a violé « a) l’État de droit démocratique, b) la sûreté de l’État et/ou c) le bon fonctionnement des institutions ».

Pour un certain nombre d’analystes de la vie politique angolaise, il est indéniable que les grands espoirs placés en João Lourenço en termes de gouvernance, d’ouverture vers la société civile, de développement du niveau de vie de la population ont été déçus, et qu’à mesure que sa présidence avance, on a le sentiment qu’elle prend un tour de plus en plus personnel, voire autocratique.

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L’Unita a déjà réussi son coup

À ce stade de la procédure, il est déjà possible d’en tirer certains enseignements. Tout d’abord, l’action menée par l’Unita, qui s’inscrit strictement dans le cadre constitutionnel, peut être considérée comme un « bon coup » et ce, quel qu’en soit le résultat. La représentativité renforcée du parti lors des élections d’août 2022 lui a donné les moyens d’une telle initiative. À laquelle le parti au pouvoir ne s’attendait manifestement pas, comme en témoigne sa réaction.

Dans un discours prononcé au lendemain du dépôt de la demande de destitution, le président de l’Unita s’est livré à un plaidoyer en faveur du bien-fondé de l’action menée par son parti. Il a notamment plaidé pour l’instauration « d’une nouvelle culture de dialogue, de transparence et de bonne gouvernance » et a rappelé « qu’un président qui se respecte et est respecté… ne doit pas accentuer les différences entre les différents groupes de la société ». Bref, ce serait une simple « contribution à l’effort de normalisation de l’édification démocratique du pays » et nullement un combat « dans une arène romaine, avec des gladiateurs qui vont s’écraser ». D’ailleurs, Adalberto da Costa Júnior aurait pu rappeler qu’en cas de destitution du président, la charge revenait constitutionnellement à la vice-présidente, membre du même parti que João Lourenço.

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La motion de l’opposition ne dénonce pas seulement les atteintes à la démocratie. Elle alerte également sur une mise en danger de la sécurité nationale en pointant du doigt les services de renseignement « qui sont autorisés à fonctionner en dehors du contrôle des entités qui devraient les superviser », ou encore « le blanchiment d’argent et la fuite des capitaux pratiquement négligés ». Des dysfonctionnements qui viennent d’être signalés dans le récent rapport du Groupe d’action financière (GAFI) qui donne un an supplémentaire à l’Angola pour se conformer à ses recommandations.

Pire que sous dos Santos ?

Force est de constater que les passes d’armes qui agitent les milieux politiques angolais trouvent très peu d’écho auprès de la population qui, dans sa majorité, est plus occupée par sa survie. Tous les rapports le confirment : on vit plus mal dans l’Angola aujourd’hui que sous la présidence de José Eduardo dos Santos. C’est un comble. La devise locale a perdu 80 % de sa valeur depuis 2018, les déficits s’accroissent et l’inflation est repartie à la hausse après une année 2022 (scrutin oblige) prometteuse. Quant aux réserves internationales, elles ont chuté de 23 % entre janvier 2018 et juillet de cette année pour s’établir à 13,8 milliards de dollars. Une dégringolade qui n’est sans doute pas terminée car le moratoire sur la dette décrété à l’occasion de la pandémie de Covid arrive à expiration, et que le remboursement de la dette chinoise pèse lourdement sur l’économie.

Il faut espérer que la menace de destitution conduise le président à revoir sa politique et à corriger certaines pratiques. D’aucuns croient déceler dans des décisions récentes une brise de changement. Le remplacement du ministre d’État à la Coordination économique par José de Lima Massano, ancien gouverneur de la Banque centrale en est une, de même que les changements opérés autour de la très controversée Réserve stratégique alimentaire. Pour João Lourenço, il n’est pas trop tard, mais il est grand temps.

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