La mode selon Aristide Loua, des créations aux accents poétiques et politiques

Kente, pagne kita, bogolan du Mali, wax… Élu Designer Africa Fashion Up, le jeune ivoirien entend, avec sa marque Kente Gentlemen, valoriser et défendre le patrimoine du continent en privilégiant les tissus locaux.

Aristide Loua, créateur de la marque Kente Gentlemen, porte une veste de sa collection More Life. More Poetry, saison printemps été 2020. © Kente Gentlemen

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Publié le 3 septembre 2023 Lecture : 7 minutes.

La culture africaine se porte et s’exporte. La mode du continent est reconnue dans le monde : dans les clips, dans les défilés, etc. Mais les créateurs et les artisans africains ne bénéficient pas toujours de cette exposition, d’où le débat récurrent sur l’appropriation culturelle.

Rendre à l’Afrique ce qui appartient à l’Afrique, c’est l’une des raisons d’être de l’Africa Fashion Up, imaginée par Valérie Ka, mannequin et fondatrice de la plateforme de projets Share Africa : « Ça me révoltait de voir des clips avec Beyoncé, Rihanna qui portent des vêtements ou des accessoires africains sans que l’on puisse identifier les créateurs, leur site, leur boutique. Il est important de leur donner un nom, un visage et une visibilité. »

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L’Africa Fashion Up propose de braquer les projecteurs sur des jeunes créateurs, comme Mina Binebine, que nous avions rencontrée. Le 7 juillet 2023, le musée du quai Branly–Jacques Chirac a accueilli un défilé de mode où les cinq lauréats ont présenté leur collection : Aristide Loua pour Kente Gentlemen (Côte d’Ivoire), Shamyra Moodley pour Laaniraani (Afrique du Sud), Yonael Marga pour Yoanel Marga, (Éthiopie), Jafaru Larry pour Larry Jay (Ghana), Taju Ibrahim pour TJWHO (Nigéria).

Lieu prestigieux, diversité de styles et de savoir-faire, si l’organisation rend honneur aux créations africaines, l’Africa Fashion Up n’est pas seulement l’événement d’un jour : « L’idée, ce n’est pas que de faire de la mode, beaucoup le font déjà. J’ai eu la chance de travailler dans la haute couture et, souvent, dans les ateliers, il y avait des jeunes Indiens, Chinois, Africains, mais on ne les voyait pas lors de la Fashion Week, qui existe pourtant depuis des années. Il n’y a pas un événement dédié à la jeunesse africaine. Je veux mettre en avant ce que cette jeunesse sait faire en lui offrant une formation, un accompagnement. »

Égérie d’Alphadi

Elle-même styliste, la jeune femme née à Abidjan, égérie d’Alphadi dès 14 ans, veut montrer les talents lors des défilés mais aussi aux décideurs. Pour éliminer les nombreux intermédiaires entre les créateurs et les financiers, elle a un modèle : « Je suis allée plusieurs fois au Forum économique mondial de Davos. On peut y côtoyer un président, un ministre, un chef d’entreprise sans sans qu’il y ait de barrière. »

Collection The Birth of Cool, automne hiver 2022-2023 © Alexandre Tako

Collection The Birth of Cool, automne hiver 2022-2023 © Alexandre Tako

Partant du constat que « sans contact, on ne peut pas avancer », Valérie Ka a multiplié les partenariats avec des maisons prestigieuses : Balenciaga, les Galeries Lafayette, HEC et, pour la partie média, Trace Urban et France Médias Monde. Il ne s’agit pas d’empiler des noms ronflants ; chaque partenaire a un rôle dans la formation, l’accompagnement et la visibilité de l’événement.

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« Les lauréats de l’Africa Fashion Up ont des mentors qui échangent avec eux avant leur arrivée à Paris pour déterminer leurs besoins. Dans la capitale française, ils suivent une conférence à Sciences Po et une formation autour de la création et le développement d’entreprise à HEC. La partie mode est prise en charge par Balenciaga, et la partie vente par les Galeries Lafayette. Avoir une marque de prêt-à-porter, ce n’est pas que de la création, c’est aussi du business, de la communication, du marketing, des compétences qu’il faut acquérir. Pour travailler avec des magasins partout dans le monde, il faut avoir les codes et, pour les comprendre, il est primordial de fréquenter ces entreprises. »

Aucun soutien africain

Parmi les partenaires de l’Africa Fashion Up, on s’étonne qu’il n’y ait aucune société africaine, ce que déplore Valérie Ka. « On monte un projet pour la jeunesse africaine et pour la diaspora afin de valoriser le continent, et on n’a aucun soutien africain. C’est dommage que l’on n’ait pas encore compris que la mode fait partie de l’économie mondiale et qu’il est important d’accompagner les créateurs. »

Au début, faire connaître les styles locaux était un enjeu personnel, j’allais à la recherche de mes racines. C’est devenu un choix économique et politique

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Parmi les cinq lauréats, l’un d’eux reçoit le titre de Designer Africa Fashion Up. En 2023, c’est l’ivoirien Aristide Loua qui l’a obtenu. Modeste, le jeune créateur de la marque Kente Gentlemen a immédiatement adressé un mot pour ses quatre consœurs et confrères qui « n’ont pas démérité ». « C’était déjà une immense joie d’être parmi les cinq lauréats. Il y avait plus d’une centaine de créateurs qui avaient déposé leur candidature. Être en plus couronné du prix de designer de l’année est une reconnaissance de mon travail. À mon retour à Abidjan, on a célébré cela avec toute mon équipe », nous a-t-il confié à l’annonce des résultats.

Grâce à l’Africa Fashion Up, « [il a] pu faire des rencontres lors des ateliers avec Balenciaga et les Galeries Lafayette. [Il a] aussi découvert la galerie du 19M à Paris, échangé avec plusieurs bailleurs pour envisager des levées de fonds, rencontré différents acheteurs, eu l’opportunité de suivre une formation avec HEC Paris… » Tout cela est très nouveau pour Aristide Loua, lui qui ne vient pas du milieu de la mode.

Aristide Loua n’était en effet pas destiné à devenir créateur. Il a fait des études de… mathématiques ! « Je suis né à Gadouan, en Côte d’Ivoire mais je suis parti aux États-Unis en 2005, quand j’avais à peu près 15 ans. J’ai obtenu une licence de mathématiques actuarielles à la State University of New York , à Albany. J’ai ensuite commencé une carrière de comptable dans une entreprise de Caroline du Sud. » On est très loin de l’univers de la mode, mais un colis venu de son pays va semer une graine dans sa tête. « En 2013, j’ai reçu un cadeau de ma mère, des chemises en pagne wax. Je les portais souvent pour aller au travail ou pour sortir et j’avais en quelque sorte l’impression d’être de retour chez moi. C’est de là qu’est venue ma passion pour la mode. »

Dépression, foi et rêve

De l’envie à la réalisation, il a fallu dépasser des épreuves : « Mon départ des États-Unis a été forcé car je n’avais plus les moyens d’y rester et mon statut d’immigré expirait. À mon retour en Côte d’Ivoire, j’avais très peu d’épargne et j’ai connu une période de dépression intense. » Mais Aristide Loua s’accroche à son rêve. « J’ai toujours espéré, toujours eu la foi pour me lancer et créer ma marque. »

 © Kente Gentlemen

© Kente Gentlemen

Éloigné pendant douze ans de sa terre natale, le jeune créateur revient dans un pays différent : « Je pensais que le wax était l’étendard de la mode africaine. Lorsque je suis revenu à Abidjan, j’ai découvert des matières comme le kente ou pagne kita, le bogolan du Mali… Je me suis fixé pour mission de faire connaître les styles locaux. Au début, l’enjeu était personnel, j’allais à la recherche de mes racines. C’est devenu un choix économique et politique de privilégier les tissus locaux faits mains en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Burkina Faso… Je veux contribuer à l’économie locale pour aider nos artisans face à la concurrence des pays étrangers. »

« Poésie, couleur, culture », le slogan de Kente Gentlemen est aussi une philosophie : « Un vêtement est une deuxième peau, il dit ce que l’on est ou ce que l’on veut être. La poésie renvoie à l’émotion que l’on ressent dans cette quête de soi, à l’image de celle qui m’avait traversée quand j’avais reçu les chemises de ma mère aux États-Unis. La couleur est très présente en Afrique. Il ne s’agit pas que d’esthétique mais aussi d’un état d’esprit, d’une joie de vivre. Je reste sobre dans l’éventail des couleurs, pas plus de deux ou trois, pour traduire des émotions complexes dans un vêtement. La culture, on la trouve dans le choix des matières, le kente ou pagne kita existe depuis le XVIe siècle, contrairement au wax. Je défends le patrimoine culturel africain et, pour cela, je travaille avec des artisans africains. »

New Black Renaissance

La culture est omniprésente dans la dernière collection de Kente Gentlemen, The Birth of Cool, du nom de l’album éponyme de Miles Davis : « Elle m’a été inspirée par la New Black Renaissance après la colonisation. Des artistes de la chanson, de la photographie, de la mode, du cinéma ont explosé en Afrique et dans la diaspora africaine. Je cite pêle-mêle : Ernesto Djédjé, Fela Kuti, James Barnor, Malik Sidibé et, d’autre part, Marvin Gaye , John Coltrane, Nina Simone, Gordon Parks , Jean-Michel Basquiat… J’ai donné le prénom d’un artiste à chaque vêtement, par exemple Marvin est une veste confectionnée avec des fils en lurex en hommage à Marvin Gaye. Je veux célébrer ces géants qui ont contribué à l’essor culturel africain. »

Aristide Loua regarde le passé avec admiration et se tourne vers le futur avec optimisme : « Dans la musique, dans l’art, la culture, la mode, beaucoup de créateurs ou d’artistes occidentaux s’inspirent de ce qui se fait en Afrique. C’est l’opportunité d’être ambitieux, déterminés, de continuer de redoubler d’efforts pour être les gardiens de ce qui se fait chez nous. Ensuite, il faut être vigilants et veiller à ce que l’on ne vienne pas nos piller nos inspirations et nos ressources. On doit faire en sorte que les retombées restent sur le continent. »

Collection The Birth of Cool, automne hiver 2022-2023. © Keren Lasme

Collection The Birth of Cool, automne hiver 2022-2023. © Keren Lasme

Comme Valérie Ka, Aristide Loua déplore le manque d’accompagnement : « Si on était vraiment soutenus par les institutions et par les médias africains, on pourrait réaliser nos ambitions plus rapidement. » Les moyens limités sont compensés par une détermination hors-normes : « Le fait d’avoir été gagnant de l’Africa Fashion Up me donne encore plus d’envie, de courage, d’énergie pour aller encore plus loin. » Le chemin parcouru lui montre que rien n’est impossible. » Je pensais devenir actuaire ou statisticien dans une compagnie d’assurance mais je travaille désormais en relation avec des couturiers, des tailleurs, des artisans pour réaliser de très belles pièces portées partout dans le monde. Pour moi, c’est un rêve qui s’accomplit et qui va grandir, Inch’Allah. »

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