Mahamadou Ouhoumoudou : « Il n’y a jamais eu de désaccord entre le président Bazoum et Sani Issoufou »

Après la publication de notre article « Coup d’État au Niger : et si le pétrole expliquait tout », le 22 août, nous avons reçu de Mahamadou Ouhoumoudou, Premier ministre du gouvernement du président nigérien, Mohamed Bazoum, renversé le 26 juillet, la mise au point suivante.

Mohamed Bazoum (à g.) et Sani Issoufou, fils de Mahamadou Issoufou. © Montage JA ; Tagaza Djibo pour JA ; Vincent Fournier pour JA

Publié le 25 août 2023 Lecture : 6 minutes.

« Le ministre du Pétrole [Sani Issoufou] étant indisponible du fait de sa détention, il m’est apparu utile, en ma qualité de Premier ministre, chef du gouvernement dont il est membre, de relever les erreurs et fausses informations afin d’éclairer vos lecteurs sur ce sujet.

1. La première erreur de l’article est de présenter le ministre du Pétrole comme un opposant à la création de la société PetroNiger.

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Cette information est fausse car c’est tout à fait le contraire. Le ministre du Pétrole est l’initiateur de la création de la société PetroNiger. J’ai été témoin du combat qu’il a dû mener, affrontant les avis divergents qui ne voulaient pas de la création de cette société et qui étaient favorables au statu quo, c’est-à-dire au maintien de l’amont pétrolier dans la même société en charge de la commercialisation des produits raffinés en aval, la Sonidep [Société nigérienne de pétrole].

Il a réussi à convaincre ses collègues membres du gouvernement, le Premier ministre et le président de la République de la pertinence de la création de cette nouvelle société. Le projet a été validé par le conseil de cabinet et devait être approuvé par le conseil des ministres du 27 juillet 2023. Il n’y aucune divergence entre le président de la République, le Premier ministre et le ministre du Pétrole sur cette question. Votre article dit tout le contraire de la position du ministre du Pétrole, le présentant comme un partisan du maintien de l’amont pétrolier dans la Sonidep et donc contre la création de PetroNiger et, par conséquent, en divergence avec le président de la République sur cette question. C’est totalement faux.

2. La deuxième erreur de l’article est d’annoncer la participation de CNPC [China National Petroleum Corporation ] dans le capital de PetroNiger.

Il n’y a jamais eu de discussion sur la participation de CNPC ou de tout autre groupe pétrolier dans le capital de PetroNiger. PetroNiger est une société d’État avec un capital détenu à 100 % par l’État. Elle a pour objet la gestion, au nom de l’État, des participations de l’État dans les activités de production, de transport et de commercialisation du brut pétrolier et du gaz. L’État ne peut pas s’associer à CNPC pour la création d’une entité qui a pour objet de contrôler les activités des sociétés pétrolières et de gérer ses intérêts. C’est totalement faux et c’est étonnant comme erreur pour un journaliste qui prétend avoir consulté les statuts de la nouvelle société.

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3. La troisième erreur est relative à une supposée divergence entre la présidence de la République et le ministère du Pétrole sur l’attribution des blocs R5, R6, et R7, que le journaliste présente comme très convoités.

Les blocs R5, R6, et R7 étaient sur le marché depuis 2018 suite à leur retour à l’État par CNPC. Il n’y a eu aucune demande sérieuse d’acquisition de ces blocs de 2018 à 2020. Ce n’est qu’au début de 2021 que le ministère du Pétrole les a attribués à la Niger Oil Company (NOC), une société créée par une association de trois sociétés que sont Sonidep, Amko et Frontera, cette dernière étant le bras technique du groupe et le principal partenaire financier.

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Conformément aux dispositions du code pétrolier, l’attribution des blocs a été faite sous réserve du paiement, dans un délai maximum de trois mois, d’un bonus de 8 millions de dollars par bloc, soit 24 millions de dollars. À l’issue de la période de trois mois, si le bonus n’est pas payé, l’attribution des blocs est nulle et de nul effet sans qu’il ne soit nécessaire de prendre un acte de retrait. Au bout de trois mois, la NOC ne s’est pas exécutée et les blocs sont revenus sur le marché. Il n’y a donc pas eu besoin d’une intervention du président de la République pour ce retrait qui est automatique. Il n’y a aucune divergence sur cette question.

En 2023, le ministère du Pétrole a reçu la demande de Sinopec [China Petroleum and Chemical Corporation], une grande société pétrolière chinoise, pour l’attribution des trois blocs R5, R6 et R7. Ces blocs n’ont pas encore été attribués à Sinopec, contrairement aux affirmations de votre journal. Seul un mémorandum d’engagement des négociations a été établi et c’est à l’issue de ces négociations, qui porteront sur le montant du bonus et sur le programme des travaux de recherche à effectuer, et en cas d’accord, qu’interviendra l’attribution. Ici encore, il n’y aucune divergence entre la présidence et le ministère du Pétrole, tous sont heureux de trouver un nouvel opérateur pétrolier de grande envergure intéressé par ces blocs.

4. La quatrième erreur ou contrevérité est relative à la présentation de Trafigura comme une société « qui fait le pied de grue pour convaincre le ministre du Pétrole de lui attribuer les blocs R5, R6, R7 ».

C‘est faux, Trafigura n’a jamais cherché à acquérir les blocs R5, R6, R7. Trafigura est une société de trading du brut pétrolier et non une société de recherche et d’exploitation du pétrole.

Forts de l’information que le Niger sera exportateur de brut pétrolier, plusieurs groupes de trading pétrolier se sont manifestés pour offrir leurs services au Niger pour la commercialisation du brut. Le ministère du Pétrole a reçu la visite de Trafigura mais aussi d’Addax et Vitol, entre autres. Aucun de ces groupes n’est intéressé par la recherche pétrolière sur les blocs R5, R6 et R7 car ce n’est pas leur domaine d’activité. Aucun des groupes n’a également été choisi par le Niger pour la commercialisation de son brut. Il n’y a donc pas de divergence entre le ministre et le président de la République sur l’attribution de ces blocs à Trafigura qui n’en est pas demandeur.

5. Cinquième erreur ou contrevérité, les manques à gagner relevés par l’audit externe sont présentés par le journaliste comme des fonds de Sonidep détournés pour servir de caisse noire.

L’audit parle de manque à gagner sur le chiffre d’affaires de Sonidep, dû à la fraude des hydrocarbures, soit du fait des importations en contrebande liées à la proximité avec le Nigeria où le carburant était subventionné, soit du fait du reversement frauduleux des produits pétroliers destinés à l’exportation vers le Mali et le Burkina.

Du reste, ces fraudes, qui n’ont rien à voir avec une quelconque caisse noire, vont cesser avec la décision récente du gouvernement du Nigeria de mettre fin aux subventions des produits pétroliers et avec l’arrêt par Sonidep des exportations vers le Mali et le Burkina.

Ainsi que vous pouvez le constater, le pétrole n’a rien à voir avec les raisons de l’évènement survenu le 26 juillet 2023, qui reste pour tous une énigme. Si jamais ces raisons existent, elles doivent être cherchées ailleurs. »

Jeune Afrique : Nous prenons acte des réponses du Premier ministre. Si la création de PetroNiger, qui devait récupérer une partie des attributions de la société Sonidep (dont la direction, que nous avons contactée, nous a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas s’exprimer), a fini par être acceptée, nous maintenons que d’autres divergences sont apparues au sein de l’actionnariat.

La dernière solution envisagée à notre connaissance prévoyait que l’État injecte 15 % du capital, le reste des fonds étant apporté par une entreprise chinoise et des actionnaires privés nigériens. Il n’était alors pas question d’une entreprise PetroNiger détenue à 100 % par l’État, ce à quoi certains partenaires internationaux se sont d’ailleurs, selon nos informations, opposés.

Enfin, nous maintenons que l’une des raisons de la création de PetroNiger était de mettre fin à la fonction occulte de « caisse noire » remplie par la Sonidep sous tous les régimes qui se sont succédés dans ce pays depuis sa fondation, en 1977.

Mathieu Olivier

[À la suite de la publication de notre réponse, Mahamadou Ouhoumoudou nous précise que les statuts de PetroNiger qui devaient être soumis au conseil des ministres prévu le 27 juillet stipulaient bien que cette société était à 100% étatique.]

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