En Algérie et au Maroc, la colère monte contre les gardiens de parkings clandestins

Si le problème de ces « gardiens » clandestins, parfois menaçants, voire violents, n’a rien de nouveau, la vidéo de l’agression d’un automobiliste a enflammé les réseaux sociaux ces dernières semaines. Dans les deux pays, les autorités assurent tout mettre en œuvre pour éradiquer le phénomène.

Un gardien faisant payer son emplacement à un client dans un parking à Béjaïa, le 25 août 2023. © DR

Publié le 28 août 2023 Lecture : 7 minutes.

Comme chaque été, les faux gardiens de parkings sont un fléau au Maghreb. Manque de respect envers les automobilistes, insultes, voitures vandalisées, ou, pis encore, agressions physiques parfois mortelles… Les gardiens autoproclamés de parkings n’ont pas de limites. « Parkingueur » en Algérie, « 3assas » (« gardien », en arabe) ou « mol gilet » (« les gens au gilet ») au Maroc, ils font la loi durant la belle saison. Et n’importe quel conducteur peut devenir leur cible : touristes et vacanciers, bien sûr, mais aussi locaux habitués à se garer toute l’année sur des emplacements subitement transformés en zones payantes durant la saison estivale.

Dans les deux pays, le gardiennage illégal de parking est devenu un véritable business. Il suffit de garer sa voiture pour voir surgir de nulle part ces jeunes hommes, dont le « visage cassé » traduit le tempérament bagarreur. En Algérie, le prix du stationnement journalier, qui était encore de 100 dinars (67 centimes d’euros au taux officiel, 50 centimes d’euros sur le marché parallèle) il y a quelques années, est monté à 200 dinars dans les endroits les plus fréquentés (soit 1,34 euro, ou 1 euro sur le marché parallèle), alors que le Smic s’élève à 20 000 dinars (135 euros).

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« Je gagne en moyenne 6 000 dinars par jour », explique Ahmed, parkingueur à Alger, tandis que Karim, à Béjaïa, avoue récupérer en moyenne 3 000 dinars quotidiennement. Après une telle saison, ils n’auront plus besoin de travailler… jusqu’à l’été prochain. Les montants sont identiques chez les voisins marocains, qui se plaignent du racket qu’ils subissent à la saison estivale lorsqu’ils souhaitent se garer, alors que ces parkings sont gratuits tout le reste de l’année.

« Cinq, dix dirhams, parfois plus, réclamés par des gardiens de parking improvisés dès que l’on gare sa voiture au Maroc sur la voie publique. Pas d’horodateur, des ressources qui ne profitent ni aux municipalités ni aux habitants… », s’indigne Nassira El Moaddem, journaliste à France Inter et pour l’émission Arrêt sur images, sur le réseau social X (anciennement Twitter), après y avoir relayé la vidéo d’un homme témoignant de son agression à Agadir. Omar Nouib, propriétaire de l’entreprise agricole Semapro, dit avoir été passé à tabac, en août 2023, après avoir refusé de payer 30 dirhams pour une place. « J’ai été couvert de coups [par] un homme qui devait faire 2 mètres et 140 kilos », a-t-il déploré. Dans la vidéo, il interpelle Mustapha Bouderka, premier vice-président du conseil communal d’Agadir, afin qu’il soit immédiatement mis fin à ces pratiques.

Appels au boycott

Au Maroc, un hashtag #boycottmoulgilet a été lancé sur les réseaux sociaux, faisant plus de 13 millions de vues. Des comptes à ce nom ont été créés et sont suivis par près de 35 000 personnes. C’est le deuxième hashtag le plus recherché lorsque l’on tape le mot « boycott » sur TikTok, où sont postées des centaines de vidéos d’usagers protestant contre ces arnaques.

Plusieurs altercations similaires se sont soldées par un drame. En août 2018, un vacancier a été tué par un parkingueur dans la wilaya de Béjaïa, en Algérie, après qu’il a refusé de payer sa place de stationnement près de la plage de Lota. En août 2019, un jeune homme a succombé à Saïdia, au Maroc. Sa dispute avec un « moul gilet » portait sur le prix du stationnement. En 2021, c’est un « 3assas » qui a perdu la vie après une altercation avec l’un de ses « collègues » concernant le partage d’un parking, à Fès.

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Même quand les choses ne vont pas aussi loin, ces parcmètres mobiles font vivre un enfer aux vacanciers. Par peur des représailles, les automobilistes préfèrent capituler. Amel, une Française d’origine algérienne, a été confrontée à cette situation durant ses vacances à Alger. « Même si on ne veut pas payer, on y est contraint par peur de voir sa voiture rayée », affirme-t-elle. En allant à la plage de Aïn Taya, Amel n’a pas voulu céder à ce système où les tarifs n’obéissent à aucune logique et diffèrent en fonction du lieu de stationnement. « Comment saurais-je si ces hommes ne fixent pas les prix en fonction de la tête de l’automobiliste, de la marque de sa voiture, ou même en voyant ma plaque d’immatriculation française ? » argue-t-elle. Les parkingeurs ne peuvent certes pas obliger les conducteurs à régler leur place, mais, par vengeance, ils peuvent s’en prendre à la voiture des « clients » récalcitrants.

Souvent considérés comme des voyous par les habitants, ces jeunes n’hésitent pas à recourir à la menace, essentiellement envers les personnes âgées et la gent féminine, qui se voient obligées de payer des montants exorbitants. « On a organisé des opérations contre ces parkingueurs illégaux, explique Rafik, policier depuis huit ans dans la wilaya de Béjaïa. Certains étaient des délinquants, qui faisaient de la vente et de la revente de drogue. Sur les parkings, ils sont généralement armés de bâtons, de barres de fer et de couteaux. » « Plusieurs d’entre eux, arrêtés au cours de patrouilles, ont été présentés devant la justice », complète Samir, ex-commissaire de police à Béjaïa.

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Avec ou sans autorisation

Les gardiens de parkings clandestins trouvent une certaine facilité à exercer cette activité illégale : pas besoin de faire d’études, pas de taxes à payer, inutile de se déclarer, c’est un « métier » sans loi. « C’est leur job d’été à eux, confie Samir. Ce sont souvent des voyous qui n’ont d’autre perspective que ce travail clandestin », ajoute-t-il.

Visage balafré, air sévère, les gardiens peuvent être intimidants. Ils sont d’ailleurs bien conscients de l’image qu’ils projettent. C’est le cas de Karim, le parkingueur de Béjaïa, 29 ans et dans le « métier » depuis quatre ans. « J’ai fait deux ans de prison pour vol il y a quelques années, mais ce n’est pas pour autant que je suis un sauvage ou que je suis violent. Malheureusement, cette image nous colle à la peau et on ne peut pas s’en détacher, regrette-t-il. Je n’ai pas de diplômes. J’ai cherché n’importe quel emploi, sans résultat. Il n’y a pas d’autre issue pour nous. C’est vital. Je travaille pour subvenir aux besoins de ma famille, pas pour m’amuser. »

Pour pouvoir s’installer légalement sur un parking, un candidat au gardiennage doit adresser à la mairie une demande d’exploitation d’un espace public en vue de créer un parking gardé pour stationnement de véhicules. Montant : entre 20 000 et 50 000 dinars en Algérie, et l’équivalent au Maroc. Sans surprise, les gardiens agréés se plaignent : ils paient des droits à la mairie et se voient prendre leur travail par des jeunes qui n’ont aucune autorisation.

« Si un gardien vous demande de payer votre place et qu’il n’a pas de plaque autour du cou montrant qu’il est affilé à la mairie, ne [lui] donnez rien », met en garde un « moul gilet » assermenté, sur la chaîne nationale Le 7 TV. Ceux qui travaillent dans un cadre légal portent un gilet jaune et remettent un ticket aux clients.

Répression renforcée

Après ces différents incidents, ce trafic devient de plus en plus contrôlé. Au Maroc et en Algérie, des lois ont été votées depuis peu. En 2022, sous l’impulsion du président Abdelmadjid Tebboune, les dispositions de l’ordonnance n°66-156 ont été renforcées par la loi n°21-14. « Est puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 25 000 DA à 200 000 DA, ou de l’une de ces deux peines, quiconque exploite, à titre onéreux et sans autorisation de l’autorité administrative compétente, une voie publique ou une partie d’une voie publique ou un espace public ou privé à titre de parking pour véhicules. » Une réforme qui aurait « calmé la violence des parkingeurs », confie Rafik, l’officier de police précité. « Cette année, et après l’instauration des nouvelles lois, on n’a pas eu de problèmes avec eux et on n’a enregistré presque aucune présentation à la justice », témoigne-t-il.

Au Maroc, des mesures ont été prises à Marrakech, où les autorités ont installé, en 2020, une centaine de panneaux à l’entrée des parkings de la ville, notifiant les prix fixés par la municipalité. À Al Hoceima, dans le nord du pays, Sara décrit « un changement radical » dans sa ville de naissance. Les parkings sont désormais bien délimités et sous réglementation. « On a davantage confiance depuis. En recevant un ticket après chaque paiement et en voyant les plaques de certification sur les gilets des gardiens, on ne se sent pas arnaqué et on sait à qui on donne notre argent », souligne-t-elle.

En 2021, Noureddine Boutayeb, alors ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur, a indiqué que la responsabilité du contrôle et de l’encadrement des parkings avait été attribuée aux élus locaux. Quelques grandes villes marocaines ont mis en place des mécanismes modernes pour la gestion du service de stationnement sur la voie publique, ce qui aurait permis de mettre un terme aux pratiques illicites tout en offrant à leurs auteurs la possibilité d’accéder à un emploi au sein de structures agréées et régies par le code du travail. Cela n’a visiblement pas été suffisant, comme l’a montré l’agression d’Omar Nouib en août 2023.

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