Meiway : « En Côte d’Ivoire, le projet de réconciliation est un échec »

Après s’être produit au Festival international Nuits d’Afrique, au Canada, le chanteur évoque la politique ivoirienne et internationale, la mort d’Henri Konan Bédié, le football et, bien sûr, la musique.

Le chanteur ivoirien Meiway. © Facebook Meiway Officiel

Publié le 2 septembre 2023 Lecture : 8 minutes.

Le chanteur ivoirien Meiway a enflammé la scène à l’occasion de la 37e édition du Festival international Nuits d’Afrique, à Montréal, au Canada (11-23 juillet). Le temps d’un concert, il a fait vibrer son public. Car Meiway rassemble, donne et partage, sans limites. « Je suis juste moi, je suis vrai », dit-il. L’interview que l’artiste nous a accordée en marge de cet événement avait la même tonalité.

À quelques semaines des élections dans une Côte d’Ivoire endeuillée par le décès de l’ancien président, Henri Konan Bédié, et alors que des coups d’État se succèdent sur le continent, « le Professeur », de son vrai nom Frédéric Ehui Désiré, donne son point de vue sans détour. Et assume son franc-parler avec un soupçon de délicatesse : « Si, pour une raison ou une autre, je suis maladroit ou que je heurte des sensibilités, qu’on ne m’en veuille pas. Qu’on retienne une chose, la vérité peut blesser, mais elle ne tue jamais ». À bon entendeur…

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Jeune Afrique : Vous avez participé au Festival international Nuits d’Afrique pour la troisième fois. Ce rendez-vous a-t-il une saveur particulière pour vous ?

Meiway : Oui, très clairement, car nous sommes sur un autre continent. En Amérique du Nord, la musique africaine bénéficie d’une couverture médiatique assez réduite comparé à celle dont elle jouit en Europe. Pour les artistes africains, se produire au Festival international Nuits d’Afrique est donc comme un tremplin vers ce pays gigantesque qu’est le Canada. Cela nous permet, en outre, d’avoir un pied aux États-Unis pour nous exprimer.

Existe-t-il une différence entre les publics nord-américains, européens et africains ?

C’est à nous, artistes, de nous adapter à chaque public. Le répertoire que je choisis pour un concert à Abidjan n’est pas le même que celui que je planifie pour Paris, et il est encore différent pour Montréal ou New York. Nous devons adapter nos spectacles aux réalités de nos publics. À partir du moment où cette alchimie, conduite de manière experte, se produit, nous arrivons toujours à toucher le cœur des gens.

On dit vouloir aller vers la réconciliation alors que certains Ivoiriens sont encore en exil. C’est anormal

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En septembre 2022, vous deviez faire partie des artistes censés se produire à Dakar à l’occasion d’un concert panafricain donné en faveur de la limitation du nombre des mandats présidentiels africains à deux. Ce rendez-vous avait finalement été interdit par les autorités sénégalaises. Vous réitérez l’initiative le 14 septembre prochain, cette fois à Paris…

Il était important de nous faire entendre, malgré tout, et de montrer au monde que l’on existe, qu’un collectif a été créé et qu’il regroupe des artistes de différents pays qui interviennent tous pour le bien-être et le renouveau du continent. Dans la foulée de notre concert avorté à Dakar, nous avons aussi réalisé le clip « Limitons les mandats ! » Car notre constat est fait : il faut tout changer, et il y a du travail. Pour cela, il faut sensibiliser les populations, parler, communiquer, et c’est ce que nous allons démontrer le 14 septembre à Paris.

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En 2012, vous participiez à la Caravane nationale de sensibilisation à la paix aux côtés d’autres artistes. Dix ans plus tard, quel constat dressez-vous de cette action ?

Pour moi, le projet de réconciliation en Côte d’Ivoire est un échec. J’en veux pour preuve la situation toujours tendue politiquement entre l’opposition et le pouvoir. Il est anormal que l’on dise vouloir aller vers la réconciliation alors que certains Ivoiriens sont encore en exil. Ceux qui sont rentrés au pays sont exclus du débat politique. Il faut débattre différemment de la question de la réconciliation, et dialoguer. Pour réconcilier, le pouvoir doit jouer franc-jeu, ce qu’il ne fait pas.

Le rejet du recours introduit par Laurent Gbagbo à la suite à sa radiation des listes électorales en est-elle une illustration ?

Oui. Laurent Gbagbo a été condamné, puis blanchi après dix années d’emprisonnement. Il rentre dans son pays, et on lui refuse le droit d’être intégré dans le débat politique. Cela ne va clairement pas dans le sens d’une volonté de réconciliation.

Henri Konan Bédié était le dernier sage de la vie politique ivoirienne

Comment avez-vous appris la mort d’Henri Konan Bédié, et quelle a été votre réaction ?

Cette nouvelle m’a fait l’effet d’un coup de massue. Il était le dernier sage de la vie politique ivoirienne. Que son âme repose en paix. J’espère que, pour son parti, sa mort sera un mal pour un bien. Sa disparition va ouvrir les vannes à cette nouvelle génération qui a été en retrait pendant de très nombreuses années. Elle va se libérer et apporter une nouvelle énergie dans le paysage politique ivoirien.

Des élections régionales et municipales auront lieu, le 2 septembre. Le décès de l’ancien président peut-il changer la donne ?

Pour les élections de septembre, je ne pense pas que cela change grand-chose, car les candidats sont déjà connus. Je me projette plutôt dans l’avenir et vers la présidentielle de 2025. À ce moment-là, il y aura un réel enjeu politique, et je rêve d’un renouvellement de la classe politique.

Le président, Alassane Ouattara, a décrété 2023 « année de la jeunesse ». De quelle manière les jeunes Ivoiriens peuvent-ils contribuer au développement de leur pays ?

C’est l’année de la jeunesse, mais les vieux sont toujours là… Tant qu’ils seront en poste, nous ne pourrons avoir les mains libres. Les présidents successifs ont réalisé leur rêve en devenant chef d’État, il est temps qu’ils passent le flambeau aux jeunes afin qu’ils réalisent les leurs. Nous, qui formons la nouvelle génération, avons grandi. Nous sommes intelligents, libres et actifs. Nous sommes tous des experts dans nos domaines d’activité respectifs. Que les anciens nous laissent les commandes et qu’ils nous fassent confiance, voilà tout ce dont nous rêvons pour cette année et les années à venir.

Qu’a fait la Cedeao pour la région, et en quoi a-t-elle été utile pour le développement et l’indépendance – la vraie ?

Comment analysez-vous la situation au Niger et les réactions de la Cedeao ?

Faisons déjà le bilan de la Cedeao depuis sa création. Qu’a fait cette Communauté pour la région, et en quoi a-t-elle été utile pour le développement et l’indépendance – la vraie ? Cette institution doit être repensée. Tout ce qu’elle fait va à l’encontre des règles politiques et des règles de justice.

S’agissant du coup d’État au Niger, cette institution ne devrait pas braquer ses jumelles sur les bureaux du palais présidentiel, mais vers les rues de Niamey, Agadez ou Tiguidit. Car, lorsqu’un peuple, issu d’un pays souverain, se lève et exulte parce que son chef d’État est tombé, il faut le respecter et faire en sorte que le pays revienne à des élections qui mèneront à l’installation d’un chef d’État issu de la société civile. La Cedeao ne peut pas condamner et critiquer les militaires qui ont pris le pouvoir et déployer ses forces alors que ces dernières auraient pu faire tellement de choses pour l’Afrique et qu’elles ne l’ont pas fait.

Guinée, Mali, Burkina Faso, Niger, Gabon… Les coups d’État se succèdent. Une telle situation pourrait-elle se produire en Côte d’Ivoire ?

Tout est possible. L’étau se resserre sur nos gouvernants, qui n’ont toujours pas intégré que l’Afrique a grandi et mûri. Notre continent raisonne différemment et voit beaucoup plus loin qu’avant. Nos dirigeants doivent l’accepter et agir en conséquence.

On nous formate l’esprit pour nous faire croire que nous sommes les plus pauvres, alors que nous sommes les plus riches

Peut-on encore parler de coopération franco-africaine ?

Nous avons atteint un stade où la coopération franco-africaine doit être revisitée. Nous sommes à l’heure de la mondialisation, et, dans cette configuration, nous devons coopérer et fusionner. Cependant, les profits de chacun doivent être équilibrés, ce qui n’est pas le cas à ce jour. Nous ne voulons pas fermer la porte à cette coopération, qui reste historique, mais nous devons l’aborder différemment, de gagnant à gagnant. Aujourd’hui, il faut simplement respecter la souveraineté des États africains, comme le réclament leurs populations.

La Côte d’Ivoire reste l’un des plus solides alliés de la France en Afrique de l’Ouest. Paris compte d’ailleurs toujours des troupes sur le sol ivoirien. Est-ce une bonne chose ?

J’étais à Paris lors des émeutes [de juin-juillet 2023], j’ai vu des forces militaires débordées, et cela allait bien au-delà de la capitale. Je me pose donc la question : alors que ses effectifs militaires sont réduits sur son propre sol, quel est l’intérêt, pour la France, de maintenir des soldats en Côte d’Ivoire et des bases en Afrique ? Que se cache-t-il derrière cela ?

Après la pandémie de Covid-19, face à la guerre en Ukraine et au changement climatique, l’Afrique affirme de plus en plus son indépendance. Entend-on suffisamment la voix du continent sur les grands sujets internationaux ?

Dans l’état actuel des choses, je ne m’attends pas à ce que l’Afrique soit entendue, tout simplement parce qu’on ne l’écoutera pas. Nous croyons que nous sommes indépendants, en Afrique, mais nous ne le sommes toujours pas. Il faut d’abord que la page soit tournée, sur notre continent et ailleurs. Le monde a besoin de l’Afrique, mais il doit la considérer à sa juste valeur et mettre un terme à cette politique qui consiste à « pomper » toutes ses ressources. Nous en avons assez d’être considérés comme le tiers-monde. On nous formate l’esprit pour nous faire croire que nous sommes les plus pauvres, alors que nous sommes les plus riches.

Les politiciens devraient s’inspirer de nous, artistes et sportifs, de ce que nous faisons sur le terrain

Dans six mois, la Côte d’Ivoire accueillera la Coupe d’Afrique des nations (CAN). Le sport est-il, comme la musique, un puissant outil de cohésion sociale, qui rassemble au-delà des clivages politiques, ethniques et sociaux ?

J’adore le foot, c’est donc une année de bonheur à venir pour moi. Nous, musiciens, avons un point commun avec le sport : nous réunissons même les camps opposés. Nous nous produisons devant des supporters qui soutiennent des partis différents, qui ne votent pas pour les mêmes candidats, mais qui dansent ensemble durant nos concerts ou vibrent à l’unisson devant un match.

Les politiciens devraient de temps en temps s’inspirer de nous, artistes et sportifs, de nos métiers, de nos actions et de ce que nous faisons sur le terrain. Peut-être même nous intégrer dans leurs conseils politiques. Nous sommes le chaînon manquant dans la gouvernance, en Afrique. Nous pouvons faire le pont entre populations et gouvernants. Malheureusement, les politiciens ne voient en nous que des anticonformistes.

Le 14 octobre, les Éléphants disputeront un match amical contre les Lions de l’Atlas, l’équipe nationale du Maroc. Quel est votre pronostic ?

J’espère un match nul. Le Maroc et la Côte d’Ivoire se sont beaucoup rapprochés ces dernières années, et un match nul serait une façon de renforcer notre coopération bilatérale. Aujourd’hui, tout le monde critique les Éléphants, car les matchs amicaux qui se sont succédés ces derniers temps n’ont pas été convaincants. Moi, je dis tant mieux ! Mieux vaut perdre maintenant que pendant la CAN.

Préparez-vous un album ?

Ce n’est pour l’instant pas d’actualité. Peut-être l’année prochaine. Les mutations actuelles du showbiz nous obligent à nous conformer à de nouvelles règles. Et, puisque la tendance est au single, c’est ce que nous allons faire. Ce single sera en tout cas particulier, car il abordera un thème unificateur, cette unité dont on rêve en Afrique.

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