Mamadi Doumbouya cherche-t-il à « caporaliser » l’administration guinéenne ?

Début août, le président de la transition a transféré le pouvoir de nomination des conseils de quartier et de district aux gouverneurs de région. Il ravive ainsi une vieille querelle entre le pouvoir et l’opposition.

Mamadi Doumbouya, le 3 octobre 2022. © Facebook Présidence de Guinée

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Publié le 1 septembre 2023 Lecture : 4 minutes.

La rentrée s’annonce-t-elle compliquée pour Mamadi Doubouya qui fêtera, ce 5 septembre, ses deux années à la tête du pays ? Un décret publié le 9 août dernier a suscité une levée de boucliers au sein de la classe politique guinéenne et trois semaines plus tard, le mécontentement peine à retomber.

Bon vouloir des dirigeants

À première vue, l’affaire paraît purement technique. « Le président et les membres de conseil de quartier ou du district sont nommés par décision administrative du gouverneur », stipule le décret présidentiel. Ce texte est censé aider à clarifier les choses : à l’époque de Sékou Touré, le vote se faisait à main levée. Depuis sa disparition, la gestion des conseils de quartier et de district répondait au bon vouloir des dirigeants du moment.

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En quoi est-ce un problème que le pouvoir de nomination échoit aux gouverneurs ? À l’instar des 33 préfets et des 335 sous-préfets que compte la Guinée, les gouverneurs de région ils sont huit – sont désignés par l’exécutif. La plupart de ces administrateurs sont issus des forces de défense et de sécurité. D’où l’inquiétude de voir le pouvoir central choisir plus ou moins directement les 4 290 conseils de quartier et district du pays.

Saloum Cissé, du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-ciel), l’ancien parti au pouvoir, y voit une volonté de « tordre le cou à la loi et d’installer des béni-oui-oui pour servir des causes politiques. Cela n’augure pas des élections transparentes. »

Dispositions contradictoires

Au-delà, le décret de Mamadi Doumbouya comporte des dispositions contradictoires, en ce sens que son article premier reconduit l’article 3 du code des collectivités de février 2017, en entérinant que « les quartiers et districts sont des sections des communes. Ils constituent les cellules de bases de l’administration territoriale participative ». Or les communes (urbaines et rurales) sont des collectivités relevant du pouvoir décentralisé, c’est-à-dire des structures élues par les populations. Par conséquent, on voit mal comment des conseils de quartier et de district nommés par les gouverneurs (administration déconcentrée) pourraient être sous la tutelle des communes (administration décentralisée). En outre, la hiérarchie des normes juridiques veut que le code des collectivités, qui est une loi organique, s’impose au décret (règlement).

Cela fait des années que la gestion des conseils de quartier et de district constitue un casse-tête et occasionne d’interminables débats entre pouvoir et opposition. En 1989, une tentative d’élection avait même provoqué « bagarres et tueries », se souvient Bah Oury. « C’est à partir de ce moment-là que le régime de Lansana Conté a recouru à des nominations administratives », ajoute cette figure de l’opposition guinéenne.

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« En 2004, nous avions été choisis par la commune, raconte Mohamed Aly Sylla, chef du quartier Bellevue Marché (dans la proche banlieue de Conakry) jusqu’en 2013. Ce choix avait été entériné par arrêté du ministre de l’Administration du territoire de l’époque, Kiridi Bangoura. La commune consultait les sages et il se trouve que mon père avait une certaine réputation dans mon quartier. »

« Les mécanismes par lesquels les gens sont devenus chefs de quartier sont très variés. Certains ont hérité de leur poste, d’autres le sont devenus par un acte administratif du maire, du sous-préfet ou du préfet, voire grâce à un adoubement populaire », résume un ancien ministre qui a requis l’anonymat.

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En 2010, alors que les militaires qui ont pris le pouvoir à la mort de Lansana Conté s’apprêtent – bon gré mal gré – à s’effacer et que l’élection présidentielle doit être organisée, deux camps s’affrontent. D’un côté, ceux qui pensent qu’il faut que les législatives et les locales se tiennent avant la présidentielle ; de l’autre, ceux qui estiment que cette dernière est prioritaire et que charge reviendra au nouveau président d’organiser les autres scrutins. Ceux-ci finiront par l’emporter.

Risque de politisation

Finalement élu à la magistrature suprême, Alpha Condé mettra huit ans pour organiser, le 4 février 2018, des élections communales et communautaires. Pourtant, ce scrutin ne met pas fin au problème : si l’on parvient, dans la douleur, à installer les nouveaux maires, ce n’est pas le cas des conseils de quartier et de district à cause de dispositions législatives contradictoires, d’un découpage électoral problématique et de l’incessant bras de fer entre le pouvoir et l’opposition. « On était contre la politisation de la nomination des chefs de quartiers et présidents de districts », résume Bah Oury.

Aujourd’hui encore, l’opposition guinéenne dit redouter une « caporalisation » de l’administration. Elle craint que cette réforme n’aide Mamadi Doumbouya à conforter son pouvoir, voire à s’assurer des soutiens nécessaires s’il devait un jour tenter de prolonger son bail à la tête de l’État. À plusieurs reprises, le chef de la junte a répété qu’il rendrait le pouvoir aux civils à l’issue de la transition, fin 2024, mais à Conakry, certains doutent de sa sincérité.

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