Janis Otsiemi : « Ce coup d’État est un hold-up contre la souveraineté du peuple gabonais »

Virulent pourfendeur du pouvoir d’Ali Bongo Ondimba, l’écrivain gabonais Janis Otsiemi a accueilli avec satisfaction la chute du régime. Il n’en est pas moins lucide : pour lui, il faudra forcer les militaires à rendre le pouvoir. Interview.

© Montage JA : Hacquard et Loison/Opale

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Publié le 2 septembre 2023 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Comment avez-vous vécu la chute d’Ali Bongo Ondimba ?

Janis Otsiemi : Le 30 août, les rumeurs bruissaient : les résultats de la présidentielle seraient publiés dans la nuit, disaient-elles. Le couvre-feu était maintenu à 19 heures, deux chaînes d’information françaises et internet étaient coupés. J’ai veillé avec ma famille devant mon poste de télévision jusqu’à la publication des résultats par le président du Conseil gabonais des élections (CGE), à 3 h 30. Quand Ali Bongo Ondimba a été déclaré vainqueur avec plus 64% des voix, il n’y a pas eu des cris de joie, mais des clameurs de protestation.

Surprise par cette révolution de palais, l’opposition n’a pas su réagir à temps

Avez-vous été surpris par ce coup d’État ?

Non. Tous les facteurs étaient réunis pour qu’Ali Bongo Ondimba perde ces élections. Il est malade, à la suite d’un AVC survenu en 2018. Pis encore, il n’avait pas de bilan à défendre. Dès octobre 2022, à travers des lettres ouvertes publiées par des journaux locaux, j’ai été l’une des rares personnes à l’appeler à ne pas se représenter. Je n’ai pas été écouté, au contraire. Mes textes sont restés lettre morte. En réalité, mon intention n’était pas d’attirer l’attention du régime mais celle des populations sur l’incapacité d’Ali Bongo Ondimba à solliciter un troisième mandat, compte tenu de son état de santé et de son bilan catastrophique.

Ce coup d’État s’explique-t-il par des fractures au sein du clan Bongo et à l’intérieur de l’appareil d’État ?

La fracture était déjà profonde et perceptible au sein du clan Bongo. La candidature de Jean Boniface Assélé, oncle d’Ali Bongo, à cette présidentielle était un signe avant-coureur, même si elle a finalement été rejetée. Ceux qui survivront seront ceux qui donneront des gages aux militaires. Il ne faut pas être crédule. Les putschistes auront besoin d’une large fraction de l’ancien parti au pouvoir pour avoir la mainmise sur l’appareil d’État. La liesse populaire sera de courte durée si les résultats escomptés par les Gabonais ne sont pas perceptibles dans quelques mois. Pour l’instant, les putschistes sont en état de grâce.

Quel regard portez-vous sur l’attitude de l’opposition ?

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Surprise par cette révolution de palais, elle n’a pas su réagir à temps. Pendant les premières heures du putsch, elle a cru à une manœuvre malicieuse du pouvoir destinée à l’accuser de porter atteinte à la sûreté de l’État, compte tenu des menaces que le régime avait proférées à l’encontre d’Albert Ondo Ossa et d’Alexandre Barro Chambrier après qu’un enregistrement de leur rencontre ait fuité sur internet. Grisés par la chute des Bongo, les militants de l’opposition ne sont pas montés au créneau pour réclamer le respect des [vrais] résultats des élections, qui avaient été tronqués.

Au fond, je m’interroge. Le seul programme de l’opposition ne reposait-il pas uniquement sur l’envie de « dégager » le régime Bongo ? L’opposition ferait mieux de jouer son rôle de vigie et de défendre des idéaux démocratiques pour forcer les militaires à s’engager clairement à assurer une transition de courte durée et à organiser des élections transparentes dans un délai raisonnable. C’est la seule manière de sortir de cette impasse. Les militaires ne seront pas enclins à rendre le pouvoir aux civils sans pressions. Nous le savons tous. Le pouvoir ne se donne pas. Il s’arrache, par les urnes ou par la force. Les militaires l’ont pris par la force.

Beaucoup parlent d’une révolution de palais. Est-ce aussi votre avis ?

Ce coup d’État est, en effet, une révolution de palais. Brice Clotaire Oligui Nguema, qui s’est imposé comme le chef de la transition, est un « produit » des Bongo. Le clan Bongo a été défait par l’un de ses protecteurs. L’avenir dépend désormais de la volonté des militaires. Soit ils décident de faire cavalier seul, soit ils organisent une concertation avec la société civile et l’opposition en vue de gérer collectivement le pays jusqu’à la fin de la transition.

Je suis inquiet. Les putschistes vont-ils garantir nos libertés publiques ?

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À mon avis, et je suis sincère, cette révolution populaire est un coup bien orchestré par des militaires qui ont sauté sur un pouvoir moribond. En dénonçant les résultats tronqués des élections, ils les ont immédiatement annulées alors qu’ils auraient pu demander au CGE de présenter les véritables résultats. Ce coup d’État ou, plutôt, cette révolution de palais est un hold-up contre la souveraineté du peuple. Mais une chose est sûre, quelle que soit la durée de la transition, les militaires seront obligés de rendre le pouvoir aux civils. Nous avons attendu plus de cinquante-cinq ans…

Vous ne semblez pas très optimiste…

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Je suis inquiet. Nous ne connaissons pas les intentions des putschistes. Vont-ils garantir nos libertés publiques ? Combien d’années va durer la transition, et à quel projet de société va-t-elle aboutir ? Ce sont là autant de questions légitimes qui traversent l’esprit de nombreux Gabonais. Nous n’avons nulle envie d’échanger un autocrate contre un autre. L’idéal démocratique reste notre seule boussole.

Cette révolution a le mérite de nous avoir évité un bain de sang. Nous savions tous que personne n’accepterait les résultats annonçant la victoire d’Ali Bongo Ondimba. Plusieurs électeurs, dont je fais partie, étaient restés dans leurs bureaux de vote pour contrôler les résultats du scrutin. Nous savions tous qu’Ali Bongo allait perdre et que l’insurrection populaire serait le seul moyen de le faire partir, malgré les milliers de morts que nous redoutions. Nous espérons que les militaires rendront le pouvoir dans des délais raisonnables afin que nous puissions élire nos représentants sur la base de leurs projets, et pour résoudre les maux qui minent notre pays. Je reste confiant, mais cela ne m’empêche pas d’être objectif et lucide.

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