Opération Barkhane au Sahel, à quand un vrai bilan ?
Malgré la fin du dispositif Barkhane en novembre 2022, l’enjeu d’un droit d’inventaire demeure essentiel, selon Marc-Antoine Pérouse de Montclos. Il importe, en effet, de tirer les leçons des échecs passés à l’heure où le Niger et le Gabon tombent à leur tour sous le joug de juntes militaires.
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Marc-Antoine Pérouse de Montclos
Chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), spécialiste des conflits armés en Afrique
Publié le 3 septembre 2023 Lecture : 4 minutes.
En visite à Bamako en septembre 2013, le président François Hollande avait très vite proclamé la victoire des troupes françaises contre les groupes jihadistes au Mali. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Le Point à la fin d’août 2023, son successeur Emmanuel Macron ne devait guère le démentir. Selon lui, les opérations Serval puis Barkhane « ont été des succès ». Sans elles, affirmait le président, « il n’y aurait sans doute plus de Mali, plus de Burkina Faso, je ne suis même pas sûr qu’il y aurait encore le Niger ».
Triple échec
Ce n’est pourtant pas l’avis de beaucoup d’Africains. Certains comparent ainsi l’échec de Barkhane à celui des Américains en Afghanistan. Dans une veine plus complotiste, d’autres vont même jusqu’à accuser l’Élysée d’avoir délibérément soutenu les jihadistes et les affrontements communautaires afin de diviser pour mieux régner, et recoloniser le Sahel. À preuve, soutiennent-ils, l’armée française n’a pas toujours réagi aux attaques des insurgés, laissant les rebelles massacrer des villages entiers alors qu’elle avait supposément les moyens de réduire à néant la menace terroriste.
Peu importe, à leurs yeux, que le mandat de l’opération Barkhane n’ait pas prévu de protéger les civils. La déception a en fait été à la hauteur des attentes. Les populations de la zone espéraient une aide concrète sur le terrain. Mais la France est seulement intervenue pour lutter contre une menace internationale désignée comme terroriste. Ses troupes ne pouvaient sûrement pas se substituer à des États défaillants pour contrôler des territoires immenses.
L’opération Barkhane a ainsi été un triple échec militaire, politique et diplomatique. La France s’est déconsidérée en s’ensablant au Sahel puis en étant chassée sans ménagement de la zone. À l’international, elle a notamment perdu la confiance de ses partenaires européens quant à sa capacité à être la mieux placée pour intervenir dans ses anciennes colonies. Bien sûr, on pourra toujours arguer que le retrait de l’armée française a été moins catastrophique que celui des États-Unis à Kaboul. Comparée au désastre américain en Afghanistan, l’opération Barkhane a sûrement été moins onéreuse et moins coûteuse en hommes, en particulier pour ce qui est des dégâts collatéraux sur les civils.
L’Élysée soutient également que Bamako serait tombée aux mains des jihadistes sans l’intervention des soldats de Serval en 2013. Mais on ne réécrit pas l’histoire, et cette version des faits est contestée par de nombreux spécialistes qui mettent en doute la volonté et la capacité des insurgés à s’emparer de la capitale malienne, à l’époque. Depuis lors, les groupes jihadistes n’ont en tout cas pas cessé de gagner du terrain. Au Sahel, la France a bel et bien perdu la guerre sur le plan militaire et pas seulement politique, controverse qui rappelle d’ailleurs les débats d’autrefois à propos de la perte de l’Algérie.
Enquêtes interdites
À défaut de parler de succès, certains mettent l’échec des opérations Serval puis Barkhane sur le compte de la mauvaise gouvernance des pays africains. Mais ce constat ne justifie rien a posteriori. La plupart des partenaires sahéliens de la France étaient déjà corrompus et autoritaires en 2013. Leur instabilité fut précisément l’une des raisons qui conduisit l’Élysée à engager des troupes dans la zone, quitte à venir renforcer des régimes peu recommandables.
Dès le début, il fallait donc s’attendre à ce que la conduite des hostilités pose des problèmes. La question des prisonniers de guerre, par exemple, devrait retenir l’attention. Dans leur base de Gao, les troupes de Barkhane ont en effet détenu des personnes capturées au combat en prolongeant leurs gardes à vue autant que nécessaire, par tranches de quatre jours. La Croix-Rouge internationale a certes été invitée à s’assurer que les prisonniers étaient en bonne santé. Mais ceux-ci ont ensuite été remis entre les mains des militaires maliens, dont on connaît la sinistre réputation en matière de torture et d’exécution extrajudiciaire.
Aujourd’hui, les Français sont en droit de demander un véritable bilan de l’intervention de leur armée. Les pays de la zone, eux, ont dû y renoncer. Dès avant les coups d’État à répétition de 2022, par exemple, les parlementaires du Burkina Faso ont été interdits d’enquêter sur les opérations de leur propre armée au prétexte que la lutte antiterroriste était une priorité nationale et que les conditions de sécurité ne leur permettaient pas d’accéder au terrain. Espérons à cet égard que la France fera mieux. Les possibilités de contrôle parlementaire sont sans doute moindres depuis que le dispositif de Barkhane a pris fin en novembre 2022 et qu’il n’y a officiellement plus d’opération extérieure au Sahel.
L’enjeu d’un bilan n’en demeure pas moins essentiel. En effet, il importe de tirer les leçons des échecs passés à l’heure où le Niger et le Gabon tombent à leur tour sous le joug de juntes militaires. Au Sahel, l’objectif n’est pas seulement d’interroger la conduite des hostilités dans le respect des droits humains, mais aussi de questionner le processus décisionnel qui a conduit les présidents Hollande puis Macron à surestimer leur capacité d’action en Afrique francophone.
Erreurs d’analyse, présomptions mal placées sur l’influence de l’ancienne puissance coloniale, évaluations surfaites du bilan des coopérations militaires et des programmes de développement : assurément, l’inventaire devra être complet.
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