« Le Ciel dans la tête », l’épopée de deux enfants congolais en quête d’une vie meilleure

À travers cette bande dessinée, trois auteurs espagnols racontent les aventures, en RDC, de deux gamins qui fuient le travail forcé et les combats entre milices rivales pour tenter de rejoindre l’Europe. Un album qui échappe de justesse aux clichés grâce à un fin scénario et, surtout, à une invention graphique hallucinante.

« Le Ciel dans la tête », en librairies le 20 septembre 2023. © Éditions Denoël

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Publié le 17 septembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Le risque de propager des clichés doit-il dissuader les créateurs de s’attaquer aux réalités amères du présent ? Cette question, les auteurs de la bande dessinée Le Ciel dans la tête – éd. Denoël, collection Graphic –, ont dû se la poser plus d’une fois. Comme bon nombre de ceux qui essaient, à la suite de Joseph Conrad (Au cœur des ténèbres, 1899), de raconter le Congo. Exploitation du sous-sol, violence militaire, corruption endémique, massacres, viols, pauvreté…

Comment dire et expliquer, sans alimenter l’incessant flux de sombres poncifs répétés en boucle dès qu’il s’agit d’évoquer cette région du monde ? Face à ce défi, les Espagnols Antonio Altarriba (scénario), Sergio García Sánchez (dessin) et Lola Moral (Couleur) ont choisi de ne pas se limiter, et de faire confiance à la fois à la puissance de leur récit et à l’originalité de leurs choix graphiques.

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Au cœur des ténèbres

Ainsi, Le Ciel dans la tête commence littéralement au cœur des ténèbres puisque le jeune héros, Nivek, a été enseveli dans la mine où il travaille, avec d’autres enfants, sous la surveillance de soldats armés. Les premières pages, noires, ne laissent entrevoir qu’un infime bout de ciel bleu et les visages des compagnons d’infortune qui essaient d’aider Nivek à sortir, en dépit des menaces proférées par leurs gardes. « Et vous vous arrêtez pour ça… ? Votre vie vaut moins que le minerai que vous extrayez en une demi-heure… Si l’un de vous tombe, vous devez continuer à travailler… », braille l’un des soudards.

Une fois remonté à la lumière, Nivek n’est pas encore sauvé, il doit affronter la furie des gardes, et à leur violence, il va répondre par la violence en égorgeant l’un d’eux sans pitié. Repéré par un gradé, le jeune mineur va devenir kadogo, c’est-à-dire enfant-soldat, et assassiner, sous l’influence de la drogue, trois membres de sa famille et trancher les seins de sa mère à la machette… Recruté, avec son ami Joseph, par les Raïa Mutomboki du Sud-Kivu, « shooté » à la dawa, Nivek va apprendre à tuer et va participer aux diverses exactions du groupe… Jusqu’à ce que celui-ci soit en grande partie massacré par un groupe armé rival.

Planche du "Ciel dans la tête". © Éditions Denoël

Planche du "Ciel dans la tête". © Éditions Denoël

Passés par Panzi et la clinique du docteur Denis Mukwege, Nivek et Joseph ne trouvent pourtant pas la paix et décident de tenter le long et périlleux voyage vers l’Europe. Un voyage qui commence par la jungle, se poursuit dans la savane, puis dans le désert pour s’achever… en Libye ? En Méditerranée ? En Espagne ? On l’aura compris, à travers l’épopée désespérée des deux enfants transparaît une Afrique violente et sombre, où le sang coule toujours en noir. Pourtant, Le Ciel dans la tête séduit. Sans doute parce que le scénariste Antonio Altarriba n’a pas son pareil pour nourrir son récit de détails humains, poétiques, historiques qui lui donnent une dimension universelle.

Graphisme hallucinant et halluciné

Ainsi, les chapitres qui se déroulent dans la jungle et dans la savane, d’une grande luminosité, emportent Joseph et Nivek dans une Afrique de légendes où nature et magie ont encore droit de cité. Reste que le scénario à lui seul ne suffirait pas à sortir le récit de l’ornière du déjà-vu s’il n’était porté par l’invention graphique hallucinante et hallucinée de Sergio García Sánchez.

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Ce dessinateur de 56 ans, actuellement professeur à l’université de Grenade et illustrateur de renommée internationale il a notamment publié dans la prestigieuse Book Review du New York Times  – explose le carcan traditionnel de la bande dessinée pour offrir un découpage d’un rare dynamisme. Avec une redoutable habileté, l’artiste parvient à se jouer à la fois du temps et de l’espace, si bien que plusieurs scènes peuvent se dérouler dans une seule case, laquelle s’intègre dans un tout plus vaste où le regard peut voyager du détail significatif à une vue d’ensemble.

Clair et assuré, le trait colle à la personnalité de chaque protagoniste et se développe tantôt en motifs géométriques, tantôt en entrelacs végétaux pour envahir jusqu’aux marges. Aucune page ne se ressemble, la perspective est maltraitée, les personnages entrent, sortent, se dédoublent, se superposent, s’offrent de profil et de face… si bien que l’on songe à plusieurs reprises, dans les passages les plus violents, au Guernica de Pablo Picasso.

Planche du "Ciel dans la tête". © Éditions Denoël

Planche du "Ciel dans la tête". © Éditions Denoël

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Si l’on souhaitait l’oublier, les auteurs nous rappelle que ce qui se joue en RDC concerne l’ensemble de la planète. Après avoir versé leur sang et leur sueur pour l’ivoire, puis pour le caoutchouc, bien des Congolais continuent d’être exploités pour tirer de leur sous-sol des richesses dont ils ne verront jamais la couleur. Le ciel, malheureusement, n’est pas donné à grand monde.

"Le Ciel dans la tête", en librairies le 20 septembre 2023. © Éditions Denoël

"Le Ciel dans la tête", en librairies le 20 septembre 2023. © Éditions Denoël

Le Ciel dans la tête, d’Altarriba, García Sánchez et Moral, traduit de l’espagnol par Alexandra Carrasco, éd. Denoël – collection Graphic, 144 pages, 28 euros.

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