Crash d’Ustica en 1980, l’ombre de la France ?

En 1980, un DC-9 civil italien s’abîmait en Méditerranée, faisant 81 victimes. Une affaire qu’un procès, tardif, n’a pas permis d’élucider. Aujourd’hui, l’ancien président du Conseil italien, Giuliano Amato, accuse la France, qui aurait visé un avion à bord duquel se trouvait Kadhafi, d’avoir abattu l’appareil par erreur.

La carlingue reconstituée du DC-9 de la compagnie Itavia, le 15 décembre 2023, à Rome. © Emiliano Grillotti/AP/SIPA

Publié le 6 septembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Quelle mouche a donc piqué le démocrate Giuliano Amato, 85 ans, ancien président du Conseil italien, qui réclame de la France qu’elle présente des excuses à l’Italie pour le drame d’Ustica ? Selon lui, Paris serait l’auteur du tir de missile qui a abattu, le 27 juin 1980 à 21 heures, au-dessus de l’île d’Ustica, au nord de la Sicile, le vol 870 d’un DC-9 de la compagnie Itavia, qui assurait la liaison entre Bologne et Palerme. Jamais élucidée, l’affaire a été classée par la justice, mais demeure une douloureuse énigme pour les familles des 81 victimes.

Quarante-trois ans après, Amato sort de son silence et, parce que, dit-il, « le temps de la vérité est venu », somme Emmanuel Macron de prouver que la France n’est pas impliquée. Ou, dans le cas contraire, de présenter des excuses à l’Italie et aux familles. Ce proche de Bettino Craxi, charismatique président du Conseil balayé par une « opération mains propres » dans les années 1990, soutient l’hypothèse d’une manœuvre conjointe, montée par la France et les États-Unis, avec l’appui d’autres membres de l’Otan, et qui avait pour objectif d’abattre un appareil de l’armée de l’air libyenne à bord duquel était supposé voyager le leader libyen Mouammar Kadhafi.

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Toujours selon Amato, le Guide de la Jamahiriya aurait été averti de l’opération – probablement par le socialiste Bettino Craxi, alors député européen, ou, selon d’autres sources, par les services italiens – et n’a pas embarqué. Deux Mig libyens avaient effectivement décollé de Belgrade (ex-Yougolslavie) à destination de Tripoli. C’est au large de la Corse qu’un chasseur français, parti soit du porte-avions Foch, soit de la base militaire de Solenzara, aurait tiré le missile visant les appareils.

Ayant repéré l’attaque, les avions libyens se seraient alors placés à proximité du DC-9 d’Itavia et c’est ce dernier qui aurait finalement été touché par le missile. L’un des Mig, à court de carburant, s’écrasant ensuite au large de la Calabre (Italie), soit assez loin de la zone du crash de l’avion de ligne.

Pour comprendre la théorie avancée par Giuliano Amato, il faut rappeler qu’à l’époque le colonel Kadhafi, chantre du panarabisme et du panafricanisme, était un agitateur notoire qui avait notamment entravé les intérêts français au Tchad en annexant la bande d’Aouzou, puis en soutenant le président tchadien, Goukouni Oueddeï, contre Hissène Habré, poulain de la « Françafrique ». Le trublion libyen avait également aidé militairement l’Ouganda d’Idi Amin Dada dans son conflit de 1979 avec la Tanzanie.

L’ennemi de l’Occident

Bref, pour beaucoup, Kadhafi était un gêneur. Des mercenaires français, avec un appui logistique du Royaume-Uni, avaient d’ailleurs participé à un premier raid sur Tripoli, en 1970, commandité par l’ancien roi de Libye Idriss Ier. Un second, organisé par Bob Denard, avait été ordonné par le roi du Maroc, Hassan II, en réaction à l’ingérence de Kadhafi dans le dossier du Sahara occidental et à son soutien au Front Polisario.

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Le Guide, qui ne cachait pas non plus son animosité envers les États-Unis, était lié à tous les mouvements radicaux des années 1970-1980. Il finançait et hébergeait aussi bien des factions pro-palestiniennes durant la guerre du Liban que des groupes obscurs, soutenait l’IRA irlandaise, l’ETA basque, la Fraction armée rouge allemande, les Brigades rouges italiennes… Imprévisible, il était l’homme à abattre, l’ami de terroristes comme Carlos et l’ennemi de l’Occident.

Quant à Giuliano Amato, c’est, assure-t-il, dans les années 1990, quand il était au cœur du pouvoir en Italie, qu’il s’est forgé une conviction sur l’affaire d’Ustica, découvrant de nombreuses informations et constatant la gêne de l’armée de l’air italienne dès qu’il s’agissait d’évoquer le crash.

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Il dit en particulier avoir été intrigué par l’insistance de généraux qui voulaient que l’explosion de l’avion fût le fait d’une bombe placée à bord après que l’éventualité d’un défaut structurel de l’appareil eut été écartée. Malgré ces soupçons, c’est à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) que l’ancien président du Conseil italien avait confié la tâche de récupérer le fuselage, immergé par 3 700 mètres.

L’Ifremer avait alors détecté des traces d’explosifs sur le fuselage, mais, selon l’expert qui menait l’enquête, Frank Taylor (qui a également travaillé sur l’attentat de Lockerbie), rien ne permettait de valider l’hypothèse d’une bombe placée à bord, ni celle d’un tir de missile, volontaire ou accidentel.

Réponses évasives de Chirac et Clinton

À l’époque, les experts avaient toutefois relevé une activité aérienne militaire intense et inhabituelle dans la zone du crash, tandis que l’enquête du magistrat italien chargé de l’affaire, Rosario Priore, mettait en évidence une série de décès brutaux et inexpliqués en marge du dossier.

Les doutes avaient néanmoins conduit à une enquête et à un procès à l’issue duquel, en 2007, les délais de prescription étant atteints, les prévenus – de hauts gradés militaires italiens – ont été acquittés en cassation. En 2008, Francisco Cossiga, président du Conseil en poste en 1980, avait déjà porté la même accusation que celle formulée aujourd’hui par Amato. Il avait alors sollicité le président français Jacques Chirac et l’Américain Bill Clinton, qui s’étaient contentés de formuler des réponses courtoises mais évasives.

L’accusation à nouveau lancée aujourd’hui par Amato n’a évidemment rien d’officiel. L’actuelle présidente du Conseil, Giorgia Meloni, a toutefois réagi, lui demandant de transmettre les documents qu’il pourrait détenir. Il faut dire que les relations entre Rome et Paris sont particulièrement tendues depuis la prise de fonction de Meloni, en septembre 2022. Côté français, le Quai d’Orsay assure simplement que « la France a fourni tous les éléments en sa possession » et est « disponible pour travailler avec l’Italie ».

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