Rabah Ameur-Zaïmeche : « Le racisme est d’abord une arme dirigée contre les pauvres, pour mieux les diviser »

Le cinéaste d’origine algérienne livre avec son dernier film, « Le Gang des Bois-du-temple », un polar social nerveux, inspiré de faits d’actualité.

« Le Gang des Bois-du-temple », le dernier long-métrage de Rabah Ameur-Zaimeche, en salles le 6 septembre 2023. © Les Alchimistes Distribution

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Publié le 7 septembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Depuis Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ? sorti en 2002, Rabah Ameur-Zaïmeche impose sa patte dans le cinéma français. Le Gang des Bois-du-temple, son septième film, s’inscrit dans la veine sociale de sa filmographie. Celle-ci est traversée par la figure du héros luttant seul contre tous pour une certaine idée de la justice. En l’occurence, c’est monsieur Pons qui incarne le grain de sable qui grippe l’engrenage. La première scène est caractéristique du parti pris naturaliste du réalisateur, né en 1966 en Algérie. Une ambulance qui se gare au pied d’un immeuble, un bref échange entre les ambulanciers et un homme, un plan fixe sur le personnage en train de fumer une cigarette tandis qu’à l’arrière-plan, un corps est transporté. Il s’agit de la défunte mère de monsieur Pons, ancien tireur d’élite de l’armée française.

Le pouvoir destructeur de l’argent

L’octogénaire était un pilier du quartier des Bois-du-temple, à Clichy-sous-Bois, on l’apprend d’une bande qui croise monsieur Pons et le rappelle au bon souvenir de l’époque où sa mère leur préparait des crêpes. La caméra quitte ensuite l’homme endeuillé pour suivre le gang des Bois-du-temple, qui s’apprête à braquer la fourgonnette d’un richissime prince saoudien. Une intrigue née d’une histoire vraie, que raconte Rabah Ameur-Zaïmeche : « À l’origine, il s’agit d’un fait divers survenu en 2014, au cours duquel un gang lourdement armé de la Seine-Saint-Denis attaque, sur une bretelle de l’autoroute A1 à hauteur de la porte de La Chapelle, un van noir transportant les affaires personnelles d’un prince arabe, un homme parmi les plus riches du monde. »

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La bande d’une dizaine de copains, qui a grandi dans le quartier, exécute le plan parfait mais, à peine ont-il le temps d’imaginer la manière de dépenser leur magot – pour eux et pour les autres – qu’ils sont rattrapés par l’autre pouvoir, destructeur, de l’argent. Là encore, l’actualité a inspiré le réalisateur à travers l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite en 2018 : « J’étais sidéré à la fois par la brutalité de l’acte et par l’impunité d’une telle violence sanguinaire, commise par de hauts dignitaires si puissants qu’ils se croient au-dessus des lois et de la justice humaine. »

Les jeunes des quartiers ont intégré que nos systèmes économiques et politiques sont dirigés par une caste oligarchique qui ne propose que des rapports de prédation

L’insouciance des braqueurs, leur idéalisme, leur camaraderie trouvent leur contrepoint en la personne de Jim, incarné tout en sobriété par Slimane Dazi, qui mène discrètement l’enquête pour le prince saoudien. On pense au Cercle rouge, de Jean-Pierre Melville, dans la façon dont les fils s’emmêlent jusqu’à l’inévitable nœud. On retrouve aussi l’atmosphère économe en effets de ses films, que Rabah Ameur-Zaïmeche cite en référence : « C’est l’un de mes réalisateurs préférés, même si la représentation qu’il donne de ses personnages, dans Le Samouraï par exemple, exclut la question de leur condition sociale. Les miens apparaissent pleinement comme des enfants des quartiers populaires, ils sont totalement incorporés dans les rapports de classe. »

 © Les Alchimistes Distribution

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Lutte des classes

Pour incarner cette lutte des classes, Le Gang des Bois-du-temple met en scène des Arabes qui volent un Arabe : « En France, comme partout ailleurs, il vaut mieux être un Arabe riche, voire très riche, qu’un Arabe des quartiers populaires… Le racisme est d’abord une arme dirigée contre les pauvres, pour mieux les diviser. Les jeunes des quartiers issus des minorités en sont conscients et savent pertinemment qu’ils sont inscrits dans des rapports figés où ils sont les dominés. »

La violence est alors un recours pour changer l’immuable donne : « Certains préfèrent plonger dans des spirales délinquantes parce qu’ils portent en eux les germes de la révolte et de la contestation sociale, même s’ils sont loin des idéologies qui ont prôné la lutte des classes et dans lesquelles se retrouvait autrefois la jeunesse des milieux ouvriers. Ils ont intégré que nos systèmes économiques et politiques sont dirigés par une caste oligarchique qui ne propose que des rapports de prédation. »

Il arrive parfois qu’un ange fasse sauter un rouage des rapports de domination où l’argent est roi, et libère un espace poétique dans cet engrenage

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La bataille du pot de fer contre le pot de terre est trop inégale, et, pour rétablir l’équilibre, émerge la figure du justicier vengeur, qui rappelle celle des westerns de Clint Eastwood. Un personnage énigmatique déboule de nulle part et bouscule l’ordre des choses : « Il arrive parfois qu’un ange fasse sauter un rouage des rapports de domination où l’argent est roi, et libère un espace poétique dans l’engrenage fermé des déterminismes et des destins. »

Polar social filmé tout en langueur, parsemé de scènes d’actions nerveuses, Le Gang des Bois-du-temple est un croisement entre le cinéma de Jean-Pierre Melville et celui de Ken Loach. Rabah Ameur-Zaïmeche filme avec le même souci du détail les visages humains et urbains – les barres de cité – pour nous donner à voir l’éclat et la hideur qu’ils recèlent.

 © Les Alchimistes Distribution

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Le Gang du Bois-du-temple, de Rabah Ameur-Zaïmeche, sortie dans les salles françaises le 6 septembre 2023

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