« L’poufa », la nouvelle drogue qui sévit au Maroc

Son faible prix est l’un des facteurs qui expliquent sa large diffusion. Assimilable au crack, cette drogue séduit du lycéen au père de famille, toutes classes sociales confondues.

Cette drogue, également appelée « L’boufa », « L’crack » ou encore « la coke des pauvres », est un mélange de résidus de cocaïne, auquel on ajoute soit du bicarbonate de soude, soit de l’ammoniaque. © Marine Gonard / Hans Lucas via AFP

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Publié le 24 septembre 2023 Lecture : 5 minutes.

« Jam3ana poufa semmina wlad l9af » (C’est l’poufa qui nous réunit, traite-nous de fils de p…). C’est ainsi que démarre le titre « Poufa », du rappeur marocain de 22 ans Bou9al. Cette variante du crack qui a envahi l’imaginaire des Marocains est devenue, dans certains cas, un élément central de la vie sociale de ceux qui en sont dépendants.

Qu’ils soient initialement influencés par des amis dans un contexte festif ou multi-usagers cherchant toujours une drogue plus forte, leur nombre s’est multiplié en quelques années. Avec l’augmentation du nombre de dealeurs de L’poufa, selon une logique d’offre et de demande, le phénomène social est devenu un problème à la fois sanitaire et sécuritaire.

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Sur le clip de « Poufa » publié il y a à peine deux mois, et cumulant déjà un million de vues, on voit le rappeur consommer la drogue avec un bong. Méthode privilégiée pour fumer L’poufa, cette pipe à eau artisanale est réalisée à partir d’une petite bouteille en plastique, dont le bouchon a été retiré pour la couvrir d’un morceau d’aluminium percé, ainsi que du tube d’un stylo bille faisant office de paille et inséré à la diagonale dans la bouteille.

Cette drogue, également appelée « L’boufa », « L’crack » ou encore « la coke des pauvres », est un mélange de résidus de cocaïne, auquel on ajoute soit du bicarbonate de soude, soit de l’ammoniaque. Le cocktail est réalisé dans une cuillère dont on chauffe le dos, jusqu’à obtenir des cristaux. Ce sont ces cailloux opaques, posés sur la couche d’aluminium puis allumés avec des cendres de cigarette, qui sont fumés.

Hautement addictive

Les effets recherchés incluent une euphorie passagère qui peut durer de 5 à 15 minutes, procurant au fumeur un sentiment de toute-puissance, ainsi qu’une insensibilité à la douleur et à la fatigue. La substance est, pour le reste, parmi les plus addictives sur le marché. La phase de descente, quant à elle, peut être particulièrement violente.

Pour ce qui est des conséquences sur la santé, l’inhalation peut causer, suite à la prise d’une dose, maux de tête, nausées et vomissements. À long terme, elle peut provoquer de l’anxiété, une dépression, de la paranoïa, ou des hallucinations auditives et visuelles, en plus de problèmes de tachycardie et de détresse respiratoire. Certaines personnes qui en consomment quotidiennement voient également leur poids baisser, leur comportement changer pour devenir plus agressif, leurs dents et leur peau se détériorer.

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Quant à son origine, elle demeure incertaine. Selon une première version, elle serait apparue au Maroc dès le milieu des années 2010, d’abord à Tanger, sous le nom de « Lbasé » (en référence au deuxième nom du crack artisanal en anglais, free-base), à travers des personnes initialement venues du nord du pays (zone de transit de populations et de marchandises), pour se faire soigner dans des centres de désintoxication à Casablanca. D’autres considèrent que cette forme de détournement – bien que marginale – des restes de la cocaïne existe dans les couches les plus défavorisées depuis l’arrivée de la poudre, dans les années 1990.

En tout cas, l’explosion de sa consommation, en particulier à Casablanca, semble coïncider avec la période qui a suivi le confinement imposé lors de la pandémie de Covid-19, c’est-à-dire il y a moins de deux ans. En même temps que la drogue a perdu en pureté, son prix a dégringolé, attirant toujours plus d’usagers. Ce que confirment les chiffres en hausse des admissions dans des centres d’addictologie.

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Prix en baisse et primo-usagers

Si le nombre d’admissions pour addiction à L’poufa à Casablanca est encore inconnu, la zone nord du pays « dénombre plus de 3 000 patients recensés et suivis », selon les médias marocains. Certains spécialistes, en contact quotidien avec des personnes souffrant de cette dépendance, suspectent aussi qu’à Casablanca, L’pouffa pourrait être coupée avec des médicaments opioïdes ou de l’héroïne en poudre, décuplant ainsi le facteur addictif et faisant chuter le prix.

Elle est d’ailleurs vendue soit à la dose ou au fixe (entre 20 et 50 dirhams), soit au gramme (les prix allant de 400 à 1 200 dirhams selon l’altération de sa pureté), pour une dizaine de doses le gramme. Avec la baisse du prix de L’poufa, le profil-type des consommateurs a lui aussi changé, pour inclure davantage de primo consommateurs, parmi lesquels des lycéens, des filles, et des personnes issues de classes sociales aisées, tentées par une drogue aux effets plus puissants que ceux de la cocaïne (autour de 700 dirhams le gramme) ou de l’ecstasy (50 dirhams le cachet).

Aujourd’hui, la plupart des consommateurs l’achètent sous forme de caillou déjà préparé par leurs dealers, dont certains sont d’anciens vendeurs de cocaïne reconvertis récemment à L’poufa, avec l’augmentation de la demande. D’autres fumeurs préfèrent fabriquer leurs cristaux eux-mêmes, ce qui leur revient moins cher.

Concernant les dealers et les points de vente, d’après plusieurs témoignages, il est possible de se procurer des cailloux de L’poufa chez des dealeurs installés dans quelques quartiers du centre de la capitale économique, comme Derb Ghallef ou Derb Talian, dans l’ancienne médina. Mais qui peuvent également se déplacer à domicile pour leurs habitués.

Arrestations à Casablanca

Le 13 juillet dernier, les éléments de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) ont arrêté quinze personnes dans l’ancienne médina de Casablanca et saisi des doses de cocaïne, de L’poufa et de haschich. Les présumés trafiquants, armés de long couteaux, avaient en leur possession de fortes sommes d’argent et toute la panoplie de fabrication de L’poufa.

Mais la drogue est encore plus présente dans les quartiers périphériques et dans les banlieues proches de Casablanca. Avec à la fois des lieux de fabrication et des points de vente, où se côtoient des clients de toutes les classes sociales, certains s’y rendant en voitures de luxe. C’est le cas à Deroua, mais aussi à Lahraouyine, Mediouna, Errahma et Bouskoura, où les services de la sûreté nationale ont démantelé, entre le 4 août dernier et le 2 septembre, pas moins de six réseaux.

Ce coup de filet, réalisé en coordination avec les services de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) à Casablanca, Settat, Rabat, Fès, Tanger, Laâyoune, El Jadida et Khouribga, a permis l’arrestation de 112 trafiquants présumés et la saisie de 1,413 kg de L’poufa.

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