Au Maroc, Dakhla, de Saint-Exupéry au kitesurf
Les kitesurfeurs qui y affluent des quatre coins du monde l’ignorent, mais Dakhla est une ville chargée d’histoire. Des conquêtes espagnoles à l’Aéropostale, JA exhume les vestiges d’un passé oublié.
Avant d’être le spot privilégié des kitesurfeurs pour voler au-dessus de l’eau, la lagune de Dakhla, nichée entre l’océan Atlantique et le désert du Sahara, a été une escale de choix pour les mythiques pilotes de la compagnie Latécoère, puis de l’Aéropostale au cours des années 1920. À l’époque, la ville est un port sous protectorat espagnol et s’appelle Villa Cisneros. Sur place, un aérodrome de fortune, un fort militaire, une poignée de bâtiments, une garnison de militaires espagnols, ainsi que des tribus bédouines ou touaregs dont le système matriarcal est à ce jour ancré dans les mœurs. Mais aussi le phare d’Arcipèse, simple tourelle d’environ 10 mètres de haut, qui a démontré toute son utilité.
Le phare dans la nuit de Saint-Exupéry
C’est celui-là même qui sauva in extremis Antoine de Saint-Exupéry d’une mort certaine. Devenu pilote au cours de son service militaire en 1922, le jeune homme issu de la noblesse française est engagé par la compagnie Latécoère (future Aéropostale) en 1926 afin de transporter le courrier de Toulouse à Dakar, au Sénégal. Le Maroc compte alors trois escales : Casablanca, Cap Juby (Tarfaya) et Villa Cisneros (Dakhla). Un soir, le père du Petit Prince s’envole donc vers le Sud honorer sa mission. Mais tout au long de la nuit, les relevés radiogéniques sont faussés. Saint-Ex et son radio, Néri, croient longer la côte marocaine, ils piquent en réalité sur l’Océan.
L’aviateur redresse son avion mais il vole à l’aveuglette, et va alors d’étoile en étoile, seuls points distincts à l’horizon. Jusqu’à ce qu’il aperçoive enfin le phare de Cisneros et parvienne dès lors à maintenir son cap. L’auteur, qui n’aura de cesse de conter la fabuleuse histoire de l’Aéropostale dans ses écrits, relate cette aventure dans Terre des hommes, publié en 1939. Un ouvrage où il rend hommage à ses amis aviateurs Jean Mermoz et Henri Guillaumet, deux autres légendes de l’Aéropostale et deux habitués de l’escale Dakhla, où ils se posaient pour faire le plein de carburant et réparer les avaries. Car, à l’époque, chaque envolée vers Dakar était un chemin vers la mort.
Bières tièdes et dîners nocturnes
Dans les années 1920, Joseph Kessel, pilote pendant la Grande Guerre, romancier, reporter et aventurier, va suivre lui aussi la route aérienne de Toulouse à Dakar. Il vole avec un pionnier de la ligne, Émile Lécrivain, dit « Mimile », qui trouvera d’ailleurs la mort au cours de l’un de ces voyages. Alors que le désert et l’eau s’étendent à perte de vue, le coucou est pris dans une tempête de sable, à laquelle les deux hommes réchappent miraculeusement avant de se poser à Villa Cisneros.
Dans son livre Vent de sable, publié en 1929, Kessel fait part de son enchantement pour cette ville où l’on boit des bières tièdes dans une ambiance chaleureuse. L’auteur écrit : « En Espagne, on dîne tard. Cette habitude était strictement observée à la Villa Cisneros. » Un rythme de vie immuable puisque aujourd’hui encore, Dakhla s’éveille lorsque le soleil commence à se coucher.
Sur les traces de Jiménez de Cisneros
Cisneros est un nom qui, pendant un temps, a été donné à Dakhla en l’honneur du moine franciscain espagnol Jiménez de Cisneros (1436-1517), qui deviendra cardinal et sera l’un des plus proches conseillers d’Isabelle la Catholique. Car, en réalité, la première colonisation espagnole de la lagune remonte à 1502 à la faveur d’une bulle papale. En 1505, l’armée du cardinal lance ses premières expéditions contre Oran, en Algérie, avant de s’emparer de la ville en 1509. Mais c’est en 1884 que la place est réellement colonisée par le capitaine d’infanterie Emilio Bonelli, qui décide de la baptiser Villa Cisneros. À la suite de quoi, le royaume d’Espagne déclare un protectorat sur la côte africaine, environ 500 km de littoral faisant face aux Îles Canaries.
Jusqu’en 1958, avant Laâyoune, Villa Cisneros en est la capitale. Sur place, les Espagnols construisent des pistes d’atterrissage, aménagent un port et fondent un réseau militaire. Il faudra attendre 1954 et les plans d’urbanisation de Villa Cisneros et Laâyoune pour que soit érigée une église catholique, toujours en activité. Puis 1960, pour que le protectorat mène à une politique de sédentarisation des Reguibat (l’une des plus grandes tribus du Sahara) et aux premières explorations pétrolières, qui ne donnent rien.
Dans le même temps, Villa Cisneros devient aussi une escale pour les vols à destination de l’Amérique latine. Hormis le rythme de vie nocturne et quelques plaques d’égouts frappés du sceau Villa Cisneros, il ne reste rien de ces vestiges espagnols. Même le fort militaire a été détruit en 2004 par les autorités marocaines, au grand dam de l’Unesco.
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