Le jour où Laurent Gbagbo a été élu président

Le 22 octobre 2000, Robert Gueï, qui a destitué Henri Konan Bédié quelques mois plus tôt, affronte le chef du FPI lors d’un scrutin d’où sont exclus le président déchu et Alassane Ouattara. Voici le récit qu’en faisait Albert Bourgi, dans JA.

Des militants du FPI de Laurent bagbo, le 23 octobre 2000 à Abidjan. © JEAN-PHILIPPE KSIAZEK/AFP

Des militants du FPI de Laurent bagbo, le 23 octobre 2000 à Abidjan. © JEAN-PHILIPPE KSIAZEK/AFP

Publié le 22 octobre 2023 Lecture : 3 minutes.

Dans la cour, face à un écran géant, plusieurs centaines de militants attendent, en musique. La rue est envahie par une foule de jeunes vêtus de tee-shirts à l’effigie du « président ». L’ambiance est à la fête, même si l’état-major du Front populaire ivoirien (FPI) reste prudent et analyse froidement les premiers résultats, ceux d’Abidjan. Sur un canapé du salon ont pris place Aboudramane Sangaré, le secrétaire général du parti, Émile Boga Doudou et Pascal Affi N’Guessan, le directeur de campagne. Les trois hommes se concertent. Une tendance semble se dégager : à Abidjan, Laurent Gbagbo obtiendrait deux à trois fois plus de voix que le général Robert Gueï. Ces informations sont aussitôt communiquées à Gbagbo, quelque part en ville. Sécurité, toujours… L’arrivée du candidat n’est prévue qu’après l’annonce de résultats significatifs.

« Laurent écrase le général »

Les bonnes nouvelles se succèdent, transmises par les 15 000 militants qui assurent une présence continue dans les 16 300 bureaux de vote du pays. À 20 heures, une grande partie des bureaux d’Abidjan ont livré leur verdict. Pas le moindre doute : « Laurent écrase le général. » De grands cris saluent les résultats dans le camp militaire d’Akouédo, à l’École nationale de police, à l’École nationale de gendarmerie. Partout, Gueï essuie une cuisante défaite. La preuve est faite que l’armée, dans son écrasante majorité, ne s’identifie pas à un régime soutenu par un groupe de cinq cents hommes prêts à tout, y compris à tuer, pour sauvegarder leurs intérêts personnels.

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À partir de 21 heures, au QG de campagne, l’affluence est à son comble. Les fidèles et les amis de toujours sont rejoints par la cohorte des opportunistes, ceux qui, sentant le vent tourner, viennent se montrer et préparent leur futur ralliement. Placide, Sangaré jette un rapide coup d’œil aux feuillets qu’on lui tend : tous les résultats vont dans le même sens. La cohue est indescriptible, et la musique de plus en plus forte. Chaque fois que le nom de Gbagbo est prononcé, des salves d’applaudissements retentissent. Chacun redoute un « coup » du général et de sa camarilla. Le risque paraît d’autant plus sérieux que la Commission nationale électorale (CNE) reste étrangement muette.

Tout le monde attend « Laurent ». Porté par la foule, qui scande son nom, il arrive à 0h30 et s’enferme, dans un bureau, avec ses plus proches collaborateurs. Il en ressort pour faire face à la nuée de journalistes. D’un ton calme, le candidat-président annonce qu’après le dépouillement de près de 1 million d’inscrits – un cinquième du corps électoral –, il obtient environ 65% des voix. Prudent, il souligne néanmoins qu’il convient d’attendre la proclamation officielle des résultats par la CNE.

Les sanglots de Simone

Le 26 octobre [Gueï ayant fini par reconnaître sa défaite], il est près de 15h30 quand Gbagbo regagne sa résidence privée. C’est de là que partira le cortège en direction de la présidence. À 18 heures, le nouveau chef de l’État, au son d’une musique militaire, fait son entrée dans une salle où se côtoient les membres du corps diplomatique, des corps constitués, les chefs traditionnels et les membres du FPI. Au moment de prêter serment, Gbagbo a certainement en tête les humiliations qu’il lui a fallu surmonter pour en arriver là. Dans l’assistance, l’émotion est intense, et Simone, son épouse, ne peut retenir ses sanglots. La réception qui suit a, en revanche, un petit air de fête populaire. Nul doute que la présidence ne sera plus l’enceinte hermétiquement close qu’elle fut, quarante années durant.

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