Côte d’Ivoire : débat enflammé après la mort d’un mannequin à l’hôpital

Le décès d’un mannequin ivoirien mardi dans un grand hôpital d’Abidjan, que sa famille attribue à une série de négligences, provoque cette semaine un débat enflammé sur la vétusté du système de santé public en Côte d’Ivoire.

Des portraits de la mannequin Awa Fadiga, à Abidjan le 28 mars 2014. © AFP

Des portraits de la mannequin Awa Fadiga, à Abidjan le 28 mars 2014. © AFP

Publié le 30 mars 2014 Lecture : 3 minutes.

"La honte !" La Une vendredi du quotidien Nord-Sud – un journal pourtant proche du régime -, agrémentée d’une grande photo de la jolie Awa Fadiga, 23 ans, traduit l’indignation de la presse et de la société ivoiriennes.

Vraisemblablement agressée dans un taxi dimanche vers 22H00, retrouvée sous un pont, en sang, une heure plus tard, la victime est emmenée par les sapeurs-pompiers aux urgences du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody, un bâtiment massif construit il y a plusieurs décennies, où elle tombe dans le coma puis meurt le mardi à 7H00.

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Famille et autorités divergent sur les circonstances de son décès.

"De 23H00 dimanche jusqu’au lundi à 13H00, ma +fille+ n’a reçu aucun soin", s’indigne Sira Koné Fadiga, la tante de la victime, qui l’a élevée depuis qu’elle avait 6 ans.

"Quand nous sommes arrivés aux urgences, nous l’avons trouvée à même le sol, à demi-nue, ne portant qu’un collant bleu", sanglote-t-elle, tout en montrant des photos de sa nièce longiligne, adolescente puis adulte, souvent sur des podiums, "toujours choisie" dans des castings, sourit-elle tristement.

Awa Fadiga est "morte pour 12.000 francs CFA (18,3 euros) d’ordonnance médicale qu’elle n’a pu honorer", s’emporte sa tante, "révoltée", une liste de factures qu’elle dit avoir payées à la main.

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La version des autorités est toute autre. La jeune femme a reçu "les premiers soins médicaux que nécessitait son état", affirme le ministère de la Santé dans un communiqué, ce que confirme le personnel médical rencontré sur place par l’AFP.

Souffrant d’un "traumatisme crânien et de détresse respiratoire", Awa Fadiga a subi lundi un scanner hors de l’hôpital "en raison de la panne de l’appareil du CHU", au retour duquel elle a été placée sous assistance respiratoire en réanimation, explique le ministère.

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Réseaux sociaux en ébullition

Mlle Fadiga s’est éteinte le lendemain "des suites de son tableau gravissime", insistent les autorités.

Les réseaux sociaux ivoiriens, très actifs, s’emparent rapidement de l’affaire, organisent une manifestation devant l’hôpital, prévoient une marche commémorative ce week-end.

La belle Awa, égérie d’une campagne publicitaire pour un grand opérateur téléphonique de la place, devient dans sa mort l’incarnation des défaillances des services de santé ivoiriens, parfois corrompus.

Ancien îlot de prospérité dans la région la moins développée au monde, reconnue pour son excellence hospitalière du temps de son "miracle" économique (années 1960 à 1980), la Côte d’Ivoire vit mal son recul sanitaire, provoqué par une décennie de crise politico-militaire et de sous-investissement. Même si ses centres de santé restent de meilleure qualité que ceux des pays voisins.

Des cliniques privées proposent des prestations onéreuses aux plus aisés.

"Au nom de tous les morts anonymes dans nos CHU et nos hôpitaux, nous devons continuer à mettre la pression sur le pouvoir pour que les choses changent", pointe le groupe Facebook "Pour Awa Fadiga".

"Une seule nuit aux urgences m’aura permis de voir des cas aussi (sinon plus) attristants et révoltants que celui d’Awa", acquiesce un étudiant sur le réseau social. Et d’ajouter : "On dit urgences, mais la lenteur avec laquelle on s’occupe des gens ou l’immobilisme avec lequel on regarde des cas graves me fait comprendre que les séries télévisées du genre "Urgences" sont pour nous autres venues d’autres planètes."

Le Syndicat national des cadres supérieurs de la santé de Côte d’Ivoire rejette la faute sur "les conditions de travail difficiles" et "la vétusté du matériel" et demande de ne pas "jeter l’anathème" sur les médecins.

"Lorsque nous guérissons un malade, ce sont des miracles que nous faisons tous les jours", observe son secrétaire général, le Dr Ernest Atté Boka, qui appelle l’Etat à investir davantage dans la modernisation de son système de santé.

Le parquet d’Abidjan a ouvert une enquête et demandé à la famille un délai de 72 heures avant l’inhumation d’Awa Fadiga.
 

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