Pourquoi Tunis a refusé in extremis la venue des eurodéputés
La délégation d’élus européens attendue à Tunis pour discuter d’aide financière et de politique migratoire s’est finalement vu refuser l’entrée dans le pays. Une décision qui a viré à l’incident diplomatique.
Annoncée discrètement par quelques médias, la visite à Tunis, prévue du 14 au 16 septembre, de Michael Gahler, Dietmar Köster, Salima Yenbou, Mounir Satouri et Emmanuel Maurel, tous parlementaires européens membres de la Commission des affaires étrangères, n’aura pas lieu.
Dans une correspondance, le ministère tunisien des Affaires étrangères a fait savoir hier, 13 septembre, aux représentants de Strasbourg que « malgré les multiples réserves à son égard, cette délégation ne sera pas autorisée à entrer sur le territoire tunisien ». Une formulation pour le moins alambiquée, qui ne précise pas la nature de ces « réserves ». « Jamais la Tunisie n’avait fermé ses portes au Parlement européen, pas même sous Ben Ali », relève l’eurodéputée française Selima Yenbou. La décision tunisienne a en tout cas viré à l’incident diplomatique.
Dans les jours précédents sa visite, dont le but était, selon les termes du communiqué publié par le Parlement européen, « d’évaluer la situation politique actuelle du pays, de soutenir un dialogue national inclusif après les dernières élections et d’évaluer le mémorandum d’entente signé en juillet entre l’Europe et la Tunisie », la délégation avait été priée d’établir un programme. Mais dès cette étape, la tâche s’est révélée ardue.
« Le but était d’aborder des questions de développement et de partenariat, explique l’un des députés. Nous avions été invités dans le cadre de notre coopération avec la Tunisie, et avions demandé à rencontrer toute la Tunisie : le Premier ministre et son gouvernement, l’Assemblée tunisienne, la société civile, les syndicats comme l’UGTT, le secteur privé, ainsi que les familles des prisonniers politiques, poursuit Salima Yenbou. Tout le monde a répondu positivement à nos demandes de rencontres pour écouter et échanger avec les Tunisiens, mais le gouvernement a changé d’avis il y a quelques jours sans expliquer concrètement quelles étaient les “réserves” dont la lettre des autorités tunisiennes faisait vaguement mention. »
« Outrage »
Au programme final de la visite ne figuraient plus, dès lors, que des rencontres avec la société civile : organisations syndicales, figures influentes et dirigeants politiques de l’opposition. « Il est évident que le problème des prisonniers politiques allait être aussi à l’ordre du jour, commente un militant des droits humains. Et sur ce point précisément, Tunis ne veut rien entendre et estime que toute opinion est une ingérence. »
Le contexte européen ne simplifie pas non plus les choses, puisque cette affaire intervient sur fond de discussions, à Bruxelles, autour du mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique. Les États membres sont supposés se prononcer sur la question le 26 octobre, mais le débat est aussi lié aux discussions, plus larges et potentiellement plus polémiques encore, sur le pacte migratoire, qui devraient quant à elles se tenir fin septembre lors de la réunion des ministres européens de l’Intérieur. L’initiative, menée tambour battant par la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, suscite déjà de nombreuses critiques au sein même de l’Union.
Le refus de Tunis d’accueillir la délégation risque aussi d’embarrasser Ursula von der Leyen, qui, en présentant un bilan de son action le 13 septembre, venait tout juste de vanter le « partenariat stratégique » conclu en juillet avec la Tunisie, en ajoutant vouloir « maintenant travailler à des accords similaires avec d’autres pays ».
Elle a essuyé une salve de critiques des représentants allemands, qui considèrent que la question des droits de l’homme est un préalable à tout accord entre l’UE et ses partenaires. En coulisses à Bruxelles, le projet de mémorandum passe mal, d’autant que 12 États membres n’étaient pas informés de la démarche.
Le vice-président du groupe socialiste et démocrate au Parlement, Pedro Marquez, estime de son côté que le refus d’accueillir les eurodéputés est un « outrage ». Il invite Von der Leyen a mettre fin aux discussions avec Tunis autour de l’application du mémorandum. Et ce, alors même que le nombre de réfugiés arrivant en Europe atteint des niveaux records ces derniers jours. Entre les 12 et 13 septembre, l’île italienne de Lampedusa a enregistré 7 000 arrivées « clandestines », amenant le quotidien La Repubblica à titrer sur « la faillite de l’accord entre Meloni et Saïed ».
« Un luxe que la Tunisie ne peut pas se permettre »
« Cet incident diplomatique va compliquer singulièrement les relations entre l’Union européenne et la Tunisie. C’est un luxe que la Tunisie ne peut pas se permettre », souligne Ghazi Ben Ahmed, président du MDI Bruxelles. Salima Yenbou déplore quant à elle une « décision grave et contreproductive », soulignant toutefois que « l’Union européenne n’a pas laissé tomber la Tunisie et ne doit pas la laisser tomber ».
À Tunis enfin, certains rappellent que l’incident n’est pas sans précédent. En mai 2022, la Commission de Venise (Commission européenne pour la démocratie par le droit, un organe consultatif du Conseil de l’Europe sur les questions constitutionnelles) avait vécu une mésaventure similaire. Sa publication d’un rapport critique sur la tenue d’un référendum sur la Constitution en Tunisie le 25 juillet 2022 lui avait valu d’être accusée d’ingérence et, de fait, d’être jugée indésirable sur le sol tunisien par le président Kaïs Saïed.
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