Séisme au Maroc : mosquées, palais et tombeaux… Tout un patrimoine historique à reconstruire
Si les médias internationaux ont pointé les dommages causés à la médina de Marrakech et à la mosquée de Tinmel, les dégâts subis par le patrimoine du pays concernent en réalité de très nombreux sites, en cours de recensement.
« Des trajets qu’on fait habituellement en deux heures, on les a faits en huit heures », rapporte l’architecte Abderrahim Kassou depuis la route de Tinmel. Avec d’autres membres du bureau national d’Icomos, organe consultatif de l’Unesco, ainsi que des représentants du ministère de la Culture, il s’est rendu sur le terrain au lendemain du séisme qui a frappé la région d’Al Haouz, le 8 septembre dernier. La mission de cette équipe de spécialistes du patrimoine : établir un premier constat des dommages sur les constructions et les monuments historiques de la région. Sans toutefois perturber le travail des secours auprès des populations.
Si les monuments patrimoniaux représentent le premier accès du citoyen à la culture, investir juste après le drame, et annoncer la mise à disposition des moyen significatifs dans la restauration du patrimoine architectural, peut, dans l’immédiat, paraître indécent. Surtout au vu du bilan humain (2 946 morts et 5 674 blessés, selon les derniers chiffres). L’architecte nuance : « Il est évident que la question des secours et des soins est prioritaire. Mais on ne peut pas mettre en place un projet de développement sans culture, sans patrimoine, sans attaches au territoire. »
Arrivé aux alentours de Talat N’Yaaqoub, à 5 km à vol d’oiseau de l’épicentre, Abderrahim Kassou dresse un constat effarant : « Les routes sont encombrées quand elles ne sont pas complètement détruites. Surtout, on observe des dégâts considérables sur les maisons. Certains villages sont comme rayés de la carte. » Bâtiment historique emblématique de la région, la Kasbah du caïd Goundafi est à terre. Elle avait été construite en 1905 par le célèbre chef de tribu berbère pour contrôler la route de Marrakech.
Mosquée de Tinmel, retour à la case départ
À quelques minutes en voiture, l’un des monuments majeurs du patrimoine marocain, la mosquée de Tinmel, est presque entièrement effondrée. Minaret méconnaissable, murs en miettes, seuls quelques arcs sont restés debout. Parfait archétype de l’architecture amazighe – rebaptisée architecture maroco-andalouse –, cet édifice, qui était le point de départ des campagnes militaires almohades contre la dynastie almoravide, est d’ailleurs inscrit sur la liste indicative nationale du patrimoine mondial.
Un projet de restauration de ce site par le ministère des Habous et des Affaires islamiques était en cours depuis plus de quatre ans, avec l’accompagnement du ministère de la Culture et la participation d’architectes et d’ingénieurs spécialisés dans la restauration du patrimoine. Le projet, qui était avancé à 90 %, devait être livré dans cinq mois.
Pour l’heure, un examen plus poussé des dégâts n’y est pas encore envisageable. Le site reste dangereux car non sécurisé, en particulier à l’intérieur. « Nous avons réalisé un premier état des lieux, une simple constatation visuelle. Mais celle-ci devra être étayée par une autre mission, quand on aura consolidé les lieux », explique Abderrahim Kassou, qui a aussi été président de l’association Casa-Mémoire consacrée à la sauvegarde du patrimoine architectural de Casablanca.
Suite à la diffusion de photos de la mosquée de Tinmel dégradée, l’équipe marocaine d’Icomos confie avoir reçu « beaucoup de soutien » de la part du secrétariat international de l’organisation à Paris, mais également de confrères membres d’Icomos en Espagne, en Turquie, en Tunisie et en Jordanie, entre autres. Tous se sont portés volontaires pour faire partie de futures missions qui seront dépêchées sur place, voire pour réfléchir ensemble à la préparation de la phase de reconstruction du site de Tinmel, mais aussi de l’ensemble du patrimoine de la région.
Les remparts de Marrakech « très gravement endommagés »
Quatre-vingt-dix kilomètres plus loin, à Marrakech, dont la médina est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1985, les dégradations sont tout aussi impressionnantes. D’abord, le côté Est de la muraille est « très gravement endommagé », selon Jamal Aboulhoda Abdel Mounaim, conservateur des monuments historiques de la ville. Le spécialiste, qui fait état de « fissures majeures à de nombreux endroits », se dit inquiet de voir les Marrakchis continuer à « circuler très près de la muraille ou s’y adosser pour jouer aux cartes, par exemple ».
Il précise d’ailleurs que cette partie des remparts de la médina est historiquement très sujette aux dégradations : « Elle a été affectée lors de guerres passées. Mais aujourd’hui, c’est surtout la zone où se trouvent les portes principales et où il y ale plus de circulation. » Parmi les portes de la médina, justement, plusieurs ont été détériorées après le passage du séisme.
C’est le cas, selon Jamal Aboulhoda Abdel Mounaim, de Bab Debbagh, partiellement, de Bab Aylan, à cause de sa situation dans un angle, de Bab Taghzout, qui sans que les dégâts soient structurels a perdu certains de ses éléments décoratifs en plâtre et en bois, et de Bab Agnaou, qui a subi des fissures à l’intérieur, mais qui, selon la même source, était déjà abîmé avant le tremblement de terre du 8 septembre.
Mosquées interdites d’accès, mellah évacué
Plusieurs mosquées de la ville sont touchées, comme la célèbre mosquée Al Koutoubia, site touristique majeur de la ville ocre. Endommagée au niveau de la façade extérieure, elle montre aussi des fissures à l’intérieur du minaret, dont la plupart dateraient d’avant le séisme, comme le prouve un témoin en plâtre mis en place par les conservateurs de la ville pour surveiller l’évolution de sa vétusté naturelle, explique le responsable des monuments marrakchis.
En plus de la mosquée Kharbouche, construction moderne au minaret entièrement détruit, la mosquée El Mansour (ou « mosquée de la Kasbah »), qui souffre d’importantes dégradations, la mosquée Eloussta, touchée au niveau de son minaret, et la mosquée Ben Youssef, fermée également aux fidèles. Trois musées de la ville ont également souffert : le Musée des confluences, le Musée national du tissage et du tapis et le Musée du patrimoine culturel immatériel. Samedi, une équipe d’experts s’est rendu dans ces trois lieux, indique la Fondation nationale des musées.
Le mellah, ancien quartier juif, est toutefois, le plus gravement concerné par les écroulements de murs structurels, plusieurs de ses habitants ont été évacués et dorment actuellement dehors. En cause, selon le conservateur : l’étroitesse des ruelles et des bâtiments, en plus de sa densité démographique spécifique à ce quartier populaire. Pour toutes ces raisons, des maisons s’y sont déjà effondrées par le passé. Dans le souk du mellah, les habitants évoquent eux-aussi des cas d’effondrements de murs structurels durant les jours qui ont suivi le séisme. Les souks Sammarine et Semmata sont également en danger d’effondrement par endroits, même si plusieurs commerces ont rouvert depuis le séisme, au mépris des consignes de sécurité.
Palais Bahia et tombeaux saâdiens, l’urgence
Si le Palais Badii, fermé au public, est lui aussi fragilisé, deux autres sites patrimoniaux sont, selon le conservateur des monuments, plus prioritaires. D’abord le Palais de la Bahia, construit sur huit hectares au XIXe siècle, dont la terrasse, la coupole, le patio, ainsi que la façade extérieure méritent des travaux. Le lieu, qui devait accueillir un dîner à l’occasion des assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI prévues en octobre prochain, devra être fermé au public.
« Samedi, quand j’y suis allé, il n’y avait pas de dégâts majeurs. Trois jours plus tard, lors de ma seconde visite, après les nombreuses répliques, plusieurs zones avaient été fragilisées », raconte Jamal Aboulhoda Abdel Mounaim, précisant que dans certains cas, il faudra « tout démolir, pour reconstruire à partir de zéro ».
Opérations d’inspection en cours
Le second monument auquel il fait allusion n’est autre que celui des tombeaux saâdiens, nécropole royale située au sud de la médina qui présente de nombreuses fissures. Si sa structure n’est pas affectée, certains des bâtiments modernes attenants sont, eux, sévèrement endommagés. Sa réhabilitation sera un projet urgent, d’autant que le site est adossé à des habitations et se situe à quelques pas d’un hôtel de luxe, la Sultana.
La liste est déjà longue, mais d’autres sites vont continuer à s’y ajouter. Pour l’heure, aucun recensement officiel définitif n’a été communiqué par le ministère de la Culture à l’échelle nationale. La phase de diagnostic devrait durer plusieurs semaines, avec des visites de bureaux d’études et de laboratoires d’études spécialisées qui détermineront exactement le niveau d’intervention nécessaire.
Casablanca, Agadir, El Jadida, Oualidia touchées ?
Directeur régional de la culture à Marrakech-Safi, Hassane Hernane indique que jusqu’ici, les opérations d’inspection, qui ont débuté au lendemain du séisme, ont essentiellement concerné la mosquée de Tinmel, la maison du Sultan, les tombeaux des saadiens, Qubba de Lalla Mas’uda et la place des ferblantiers à Marrakech, en plus du site archéologique d’Aghmat, du Ksar El Bahr à Safi. Cette liste provisoire a été incluse dans le rapport présenté lors d’une réunion interministérielle qui a eu lieu lundi 11 septembre, et dont le but était d’élaborer un plan d’urgence.
Pourtant certains médias marocains, affirmant avoir eu accès à cette première ébauche de liste, évoquent déjà 27 sites patrimoniaux endommagés entre la ville ocre, la région Al Haouz, et les autres villes marocaines dans le rayon perceptible du tremblement de terre.
Les monuments recensés se trouvent notamment à Agadir (Kasbah Agadir Oufella), Casablanca (Maison de la culture Buenaventura, Centre d’interprétation du Patrimoine-Ecole Abdellaouia), El Jadida (l’Église portugaise, la Kasbah Boulaouane) et à la Kasbah de Oualidia. Selon les informations obtenues par Jamal Aboulhoda Abdel Mounaim, le mausolée Sidi Abdallah Ben Hssain et la Grande mosquée, à Tameslouht, seraient aussi endommagés.
Le Hollywood marocain peut s’écrouler
Certaines sources mentionnent aussi, à Taroudant, d’importants risques d’effondrement de la muraille et des différentes portes d’accès à la médina. À Ouarzazate, des dégâts sont observés au niveau de Kasbah Taourirt, de Kasbah Amridil et du quartier Tikkirt. Mais surtout au Ksar Aït Ben Haddou, connu notamment pour avoir été le lieu de tournage de films comme Lawrence d’Arabie, Gladiator ou encore une partie de la saison 3 de la série Game of Thrones.
Inscrits depuis 1987 sur la liste du patrimoine mondial, plusieurs bâtiments du site ont été fissurés et son grenier collectif est endommagé. Ce que confirme l’Unesco, dont une mission d’experts s’est rendue à Marrakech le lendemain du tremblement de terre, dans un communiqué publié le 13 septembre.
Selon la même source, « la catastrophe risque aussi d’avoir un impact notable sur l’économie créative […], ainsi que sur des traditions et savoir-faire constituant le patrimoine immatériel ». À l’Unesco toujours, une source ayant requis l’anonymat ajoute que « même si la question budgétaire n’est pas encore abordée par le gouvernement marocain, dont les organes financiers sont par ailleurs solides », l’organisation intergouvernementale se tient « prête à contribuer au financement en cas de demande d’assistance ».
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