Mangosuthu Buthelezi : la classe politique sud-africaine préfère l’éloge aux critiques

Ancien chef de parti et Premier ministre zoulou jusqu’à sa mort, le 9 septembre, Mangosuthu Buthelezi est enterré ce samedi avec les honneurs de la nation malgré un passé controversé.

Mangosuthu Buthelezi, chef historique du parti zoulou Inkatha, est mort le 9 septembre 2023 à l’âge de 95 ans. © RAJESH JANTILAL / AFP

Publié le 16 septembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Des funérailles d’État avec les honneurs militaires, sur instruction du président de la République qui prononcera un éloge funèbre… Quelle cérémonie pour Mangosuthu Buthelezi, ancien rival belliqueux du Congrès national africain (ANC). À la fois homme de paix et chef de guerre, Mangosuthu Buthelezi était une personnalité clivante, que la pluie d’hommages, venus de toute la classe politique, ferait presque oublier.

Ancien camarade

Ancien membre de la branche jeunesse de l’ANC, Mangosuthu Buthelezi quitte le parti pour former l’Inkatha en 1975. L’ANC, qui a été banni, lui donne son accord et espère profiter de lui pour étendre son influence aux zones rurales. Mais Buthelezi veut rapidement s’émanciper. D’ailleurs, il s’oppose à la promotion de la lutte armée et des sanctions économiques par l’ANC pour contrer le régime de l’apartheid. Premier ministre traditionnel zoulou depuis 1954 et membre de la famille royale, cet inkhosi (chef de clan) veut aussi défendre les intérêts particuliers de son peuple et de la monarchie.

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La rupture est consommée en 1979 lors d’une réunion à Londres avec des représentants de l’ANC en exil. Buthelezi jouit d’une grande popularité et entend garder la main mise sur le bantoustan du KwaZulu qu’il dirige. Ses ambitions entrent en collision avec celles de l’ANC. La méfiance est réciproque et elle finit par tourner à la guerre civile entre militants des deux camps au milieu des années 1980.

Collaboration

Dans cet affrontement, « le chef Buthelezi s’est tourné vers l’appareil d’État sécuritaire qui lui a apporté son soutien », note la Commission vérité et réconciliation dans son rapport. Buthelezi franchit la ligne rouge et collabore avec le régime. Il envoie 200 de ses hommes suivre un entraînement en Namibie auprès des Forces spéciales de l’armée sud-africaine.

Cette guerre fratricide est une aubaine pour le régime de l’apartheid qui entend bien tirer les ficelles. Les opposants au régime s’entretuent et offrent l’image désastreuse du chaos dont le gouvernement afrikaner entend protéger sa population. Cette rivalité meurtrière dure une dizaine d’années et fait environ 20 000 morts. En avril 1994, l’ANC emporte les premières élections démocratiques et Mandela intègre Buthelezi dans son gouvernement d’union en lui confiant le portefeuille de l’Intérieur qu’il conservera jusqu’en 2004. Une page a été tournée.

Nelson Mandela célèbre sa victoire à la présidentielle de 1994. © Jerry Holt/AP/SIPA

Nelson Mandela célèbre sa victoire à la présidentielle de 1994. © Jerry Holt/AP/SIPA

L’homme de paix

Aujourd’hui encore, l’ANC préfère ne pas réveiller les démons du passé. « À la mort de quelqu’un, on préfère se concentrer sur le deuil et non rouvrir les plaies du passé », confirme Mahlengi Bhengu-Motsiri, porte-parole du parti au pouvoir. Elle laisse aux commentateurs le soin de faire l’exégèse du bilan de Buthelezi. « Il est probable que son héritage continue d’être le sujet d’intenses débat en Afrique du Sud, concède-t-elle. Mais c’était l’un des derniers pères fondateurs de la nation, de la génération des Nelson Mandela, O.R Tambo, Robert Sobukwe et les autres. Il fut l’un des pionniers à combattre le régime de l’apartheid, ça aussi il ne faut pas l’occulter. »

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Au diapason, le parti radical des Combattants pour la liberté économique (EFF) ne s’appesantit pas non plus sur le rôle de Buthelezi dans les violences politiques des années 1980-1990. « Son héritage devrait faire débat pour des années à venir », admet simplement un communiqué. Mais l’un de ses parlementaires va plus loin. « Restez insensibles à la négativité de certaines personnes mal renseignées et ignorantes qui profitent de la première occasion pour dire n’importe quoi. […] Nous sommes ici pour saluer la mémoire d’un homme de paix », haranguait le député EFF Mbuyiseni Ndlozi lors de la veillée funèbre.

C’était un homme d’État capable de maintenir la paix à une époque où les choses auraient pu dégénérer

L’heure n’est pas non plus à la critique du côté de l’Alliance démocratique (DA), le premier parti d’opposition. « Pour moi il représente un gentleman, un homme d’État capable de maintenir la paix à une époque où les choses auraient pu dégénérer », se souvient Christopher Pappas, jeune maire d’uMngeni dans la province du KwaZulu-Natal. « C’était un géant », appuie John Steenhuisen, leader de la DA, qui l’a côtoyé au Parlement, où Buthelezi a siégé pendant trente ans.

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Longévité

Sa longévité comme chef politique et sa carrière protéiforme expliquent en partie la révérence de ses pairs. « La classe politique a plusieurs expériences de Buthelezi, ils ont passé les trente dernières années ensemble au Parlement et ils ont été les témoins de ses contributions à l’Assemblée nationale », fait remarquer le politologue Lukhona Mnguni. Son rôle au sein de la monarchie zoulou – il a couronné deux rois – inspire également le respect.

Mais l’unanimité de la classe politique n’est pas sans rapport avec l’imminence des élections générales d’avril 2024. L’Inkatha Freedom Party (IFP) représente la quatrième force politique du pays et à l’heure des coalitions, c’est un poids qui n’est pas négligeable. L’IFP a d’ailleurs rejoint la DA dans une association de sept partis d’opposition pour tenter de gouverner ensemble si l’ANC venait à perdre la majorité en avril.

De son côté, l’ANC fait les yeux doux aux électeurs de l’IFP dans le KwaZulu-Natal (KZN), une province qui représente l’un de ses plus forts bassins d’électeurs et où la formation au pouvoir perd du terrain. Le parti de Cyril Ramaphosa n’a pas manqué de rappeler que Buthelezi souhaitait se réconcilier. « Il a dit publiquement qu’il aimerait redevenir un membre de l’ANC, c’est quelque chose qu’il avait sur le cœur », fait savoir Mahlengi Bhengu-Motsiri. À défaut d’une réintégration posthume, la réhabilitation a déjà commencé.

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